Alice

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Il était blasé. Des années qu’il faisait le même métier.

Elle était résignée. Des années qu’elle était enfermée entre ces murs.

Il était fatigué. Une rude journée venait de s’achever.

Elle était en pleine forme. Elle s’apprêtait à recevoir une bonne nouvelle.

Il entendit quelqu’un frapper à la porte de son bureau.

Elle frappait à la porte du bureau où on venait de l’envoyer.

– Entrez !

Elle entra.

– Asseyez-vous.

Elle s’assit.

– Dr Maurice André.

– Alice.

– Vous savez pourquoi vous êtes là ?

– Evidemment qu’elle le sait !

– Oui, je sais.

Le docteur hocha la tête. Il tapait frénétiquement sur les touches de son clavier alors qu’elle n’avait encore qu’à peine parlé.

Il avait les traits durcis par les années.

Elle avait un visage juvénile.

Il avait une vie monotone.

Elle ne savait jamais de quoi demain serait fait.

– Vous allez signer mon papier ?, demanda-t-elle.

– Ça dépend de vous, mademoiselle.

– Je te l’avais dit !

Le docteur releva les yeux vers elle.

– Pourriez-vous aller fermer la porte ?, demanda-t-il en remarquant qu’elle l’avait laissée ouverte.

– Bien sûr, répondit-elle.

Elle se rassit tout de suite après.

Il la regardait. Il avait le regard fixe.

Elle le regardait. Elle baissait parfois les yeux.

– Vous comprenez bien que je ne peux pas signer ce papier sans vous poser de question, lui expliqua-t-il.

– Je comprends, soupira-t-elle.

– Puisqu’elle te dit qu’elle comprend !

Il était psychiatre depuis des années. Il ne prenait jamais à la légère les missions du genre de celle qu’on venait de lui confier. Alice était une patiente parmi tant d’autres. On avait demandé au Dr Maurice André de la psychanalyser. Il devait s’assurer qu’elle ne constituait plus une menace pour elle-même ou son entourage.

En fait, non, Alice n’était pas une patiente parmi tant d’autres. Il était rare de voir une fille aussi jeune dans la peau d’une tueuse en série.

– Pourquoi avez-vous assassiné les jumeaux Lambert ?, demanda le psychiatre.

– Il me disait qu’ils se ressemblaient trop et qu’ils étaient trop ronds.

– Qui est celui qui vous a dit ça ?

– Je ne sais pas son nom, mais il m’a obligée, répondit-elle péniblement.

– Oh, tout de suite les grands mots !

Le psychiatre notait.

– C’est lui aussi qui vous a obligée à tuer l’homme qui fumait la pipe ?, questionna-t-il.

– Oui. Il disait qu’il aimait beaucoup trop l’orthographe et la langue française.

Le psychiatre notait toujours.

– Et la femme aux cheveux noirs vêtue de rouge ?

– Il la trouvait beaucoup trop autoritaire.

– Et l’homme en retard ?

– Il trouvait sa montre horrible.

– L’homme au chapeau ?

– Un ami à lui qui avait oublié son anniversaire.

Le psychiatre trouvait que les mobiles évoqués par la jeune fille étaient parfaitement inadmissibles. Il le lui fit remarquer.

– Je sais. Et je m’en sens coupable chaque jour. Il a tenté de m’utiliser encore, mais je ne veux plus faire ça, peu importe à quel point il me menace.

Et la discussion allait bon train dans ce registre. Elle s’apitoyait sur le sort des victimes et blâmait son ami dont le nom restait inconnu de tous.

– Maintenant, quand il essaie de me manipuler, il trouve porte close, avoua-t-elle.

– Même ici, il vous menace ?

– Oui.

– Tu mens.

Le psy nota encore. Elle lui paraissait saine d’esprit, point comme autrefois, le jour où on l’avait amenée ici. Elle décriait avoir un travail à terminer. Plus il passait de temps avec elle, plus il réalisait à quel point elle était fragile et malléable. Elle souffrait d’un mal qui était celui d’avoir été une enfant abandonnée. Petite, elle parlait avec un ami imaginaire. Celui qu’elle accusait d’être l’instigateur des crimes paraissait, quant à lui, bien réel.

Il l’écoutait.

Elle parlait.

Il la trouvait saine d’esprit.

Elle se sentait parfois tourmentée.

– A l’heure d’aujourd’hui, comment vous sentez-vous ?, demanda le psychiatre.

– Je me sens bien. J’arrive à ignorer les mots incessants de ce manipulateur. Avant, il suffisait qu’il me sourie, avec sa tenue rose et violette, pour m’hypnotiser.

– Tu me dénigres ? Tu ne perds rien pour attendre.

– Il vous contacte par quel moyen ?

– Il est inventif. Il sait toujours comment venir à moi sans jamais être vu.

– Beau compliment.

Il avait du mal à la cerner.

Elle savait exactement ce quoi dire.

Il attrape le stylo.

Elle jubile.

Il pose le stylo sur le papier.

Elle jouit.

Il signe.

Elle exulte.

Il lui tendit le papier.

Elle le pris.

Alice se leva de sa chaise, son papier si précieux entre ses doigts. En sortant, elle laissa encore la porte ouverte.

– Tu fermeras la porte, lança-t-elle en empruntant les escaliers.

Intrigué, le psychiatre se leva et la suivit du regard. Elle souriait d’un sourire qu’il lui semblait avoir déjà vu. Soudain, son cœur s’arrêta. A travers la baie vitrée de son bureau, il vit Alice tenir la porte en verre, en bas. Personne ne sortit, mais elle parlait. Il se souvint où il avait vu ce sourire, ces yeux-là. Il comprenait tout.

Alice avait tué Tweedle Dee et Tweedle Dum, Absolem, La Reine de cœur, le lapin blanc et le Chapelier fou. Son ami vêtu de rose et de violet au sourire maléfique était le Chat de Cheshire. Il ne l’avait jamais quittée depuis le jour où il avait commencé à hanter l’enfance d’une enfant abandonnée dans un monde qu’elle égayait avec l’imaginaire. Le Chat de Cheshire n’avait jamais quitté Alice aux pays des merveilles.

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Commentaires & Discussions

AliceChapitre25 messages | 9 mois

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