T5B

4 minutes de lecture

Quelque soit notre point de vue, la vie cesse du jour au lendemain.

C’était une planète de notre système solaire. Nous avions atterri, un jour de beau temps. A croire que la nature nous conviait déjà à vivre sur ce monde recouvert de forêts.

Elle avait été repérée, quelques dizaines d’années auparavant, par un des télescopes spatiaux que les hommes construisaient pour comprendre l’Histoire de l’univers. Bien entendu, ils cherchaient aussi un moyen de fuir la planète primaire qu’ils avaient saccagée à force de déforestation. Pour tenter d’endiguer la progression de la pollution par les particules fines, les pouvoirs publics avaient préféré arrêter les centrales nucléaires et diminuer la production pétrolière. On parlait à l’époque d’un nouveau continent mouvant, celui du plastique. Les efforts pour trouver des moyens plus écologiques restèrent en deçà des besoins individuels et industriels.

La véritable raison de la déforestation venait d’une sorte de pierre angulaire morale, politique, économique, souvent religieuse, une conviction aveugle, que personne n’osait remettre en question : La liberté de procréation. Tout couple en âge d’enfanter pouvait mettre au monde un enfant, sans la moindre restriction. La procréation médicale assistée n’arrangea rien, au contraire, elle permit l’augmentation des naissances. Des voix s’étaient élevées pour la limiter en dénonçant les déficits en matière d’éducation, de nourriture et de logements aux quatre coins du monde. Pour elles, il fallait réguler les naissances pour assurer une éducation, une nourriture et un logement suffisants à tous les enfants de la planète.

Personne n’entendit ces voix. L’humanité se multiplia. Forcément, au bout d’un certain temps, elle atteignit plusieurs dizaines de milliards d’individus. La terre ne réussit plus à subvenir à ses besoins vitaux. Malgré une réglementation stricte du déboisage, on coupait les arbres plus rapidement que la nature pouvait produire. L’homme avait de plus en plus besoin de bois pour construire, vivre et se chauffer. Le nombre d’individus augmentant, la demande devint supérieure à l’offre. On constata trop tard que les forêts disparaissaient comme peau de chagrin. La famine, les réserves d’eau en baisse constante par manque de pluie, les canicules de plus en plus sévères, les ouragans de plus en plus redoutables, les gens commencèrent à mourir en nombre. Si les conflits armés s’étaient limités à quelques guerres civiles ici ou là, les virus, de mutation en mutation, prospérant sur des terrains favorables à leur prolifération, dévastèrent le reste de la population.

Quelques terriens furent envoyés sur T5B.

T5B était une planète dont l’environnement correspondait à celui de la terre. Deux tiers d’eau, une Pangée, deux cercles polaires. Quelques îles, sommets de quelques montagnes sous-marines, émergeaient ça et là. La surface de la planète présentait aussi une bande désertique parcourant le continent sur plusieurs degrés de latitude. Le reste n’était que forêts entrecoupées de vastes étendues d’eau. Cette terre d’un seul tenant présentait un avantage incontestable. La tectonique des plaques n’avait que peu d’influences. Bonne nouvelle, tsunamis, raz de marées et autres tremblements de terre ne viendraient pas pour le moment dévaster les insulaires.

Nous avions décidé d’atterrir sur une vaste bande de sable bordant l’océan. Le mélange dioxygène-diazote en quantité suffisante rendait inutile le port encombrant de toute protection. Dès notre sortie du vaisseau spatiale, nous fûmes assaillis par la beauté du site. L’air extrêmement pur nous permis d’apprécier toutes les nuances subtiles du spectre lumineux. Le timbre aussi, d’une autre qualité, semblait correspondre parfaitement à l’éventail sonore de notre ouïe. Ce foisonnement de sons primitifs nous enveloppa. Curieusement, nous restions détendus. Nous ne ressentions aucun danger. Une sorte de lucidité confinait à la clairvoyance. Nous devinions sans les voir les curieux à l’orée de la forêt. Sur terre, nous aurions probablement sorti nos fusils pour parer à quelques dangers éventuels. Ici, notre perception éprouvait les forces en présence et le taux d’agressivité. Assis sur ses grains de quartz et de micas, dans un silence peuplé d’une multitude de chants, de cris, de bourdonnements, nous avions le sentiment d’être retourné au carbonifère.

Serein et confiant, nous débouchâmes une bouteille de champagne. Nous trinquâmes face à l’océan, immense et calme. Les vagues venaient lécher la plage au rythme régulier des poussées lunaires. Rendue pâle et translucide par les clartés du jour, la lune ne brillait pas mais elle était bien présente, pleine et ronde.

Apaisée, je pris la main de mon ami. Son regard était pareil au mien, vivant. Son visage avait rajeuni. Sa peau tailladée de rides était redevenue souple et tendue. Une nouvelle jeunesse enveloppait son être. Nos deux enfants présentaient les mêmes caractéristiques. Sans le voir, je sentais que moi aussi je profitais de cette transfiguration, loin des préoccupations prosaïques. Nos autres compagnons présentaient les mêmes particularités. Ce monde inexploré nous avait offert une cure de jouvence. Tous, nous souriions à la vie, ivre et béat d’allégresse et d’admiration.

Nous étions six couples, chacun avait deux enfants. Un garçon et une fille. La parité avait été scrupuleusement respectée. Nous formions un groupe de vingt quatre individus dont la mission consistait à survivre tout en préservant la faune, la flore et les réserves minérales en présence. Ce ne serait pas simple. Malgré tout, nous avions tous, les enfants compris, de profondes connaissances dans toutes les matières afférentes au monde du vivant, suivi un entraînement rigoureux pour faire face à toutes les éventualités.

La nuit venue, couchés dans nos duvets, allongés sur le dos à regarder les étoiles, à nous imprégner de la fraîcheur nocturne, alter ego de la vitalité du jour, nous constatâmes que la lune ne bougeait pas. Elle évoluait à la même allure que notre nouvelle planète. En revanche, elle tournait sur elle-même. Penchée à une vingtaine de degrés, elle présentait à notre conscience toutes les caractéristiques de sa surface. Elle semblait froide et désertique.

Soudain, elle se transforma en une boule de feu. La lune explosait. Elle passa rapidement du rouge au blanc et finit, dans une dernière déflagration, en pluie de météorites.

Personne n’eut le temps de percevoir la déliquescence de chacun. Comme les mannequins de cire, les astronautes, rongés par l’attraction, se désagrégèrent. La chair se dissout doucement et tomba en lambeaux pour se fondre dans le sable. La planète, dérégulée, libre de toute influence, traversa l’espace comme un bateau ivre.

— Oh lune atroce, oh soleil amer, oh âme des aubes navrantes, je vogue vers ces nuits sans fonds vers lesquelles je m’exile.

Annotations

Vous aimez lire arcensky ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0