Chapitre 12 Une hospitalité singulière - Partie 3

8 minutes de lecture

 Hank ne savait pas si c'était une invitation ou un ordre, mais il jugea préférable de ne pas faire d'histoires. Il sortit de la pièce à la suite de Iaevr, après avoir lancé un dernier regard vers Sin fo qui lui adressa un sourire désolé. Le vieux roi le conduisit à travers un dédale de couloirs faiblement éclairés par des torches, et lui fit monter et descendre plusieurs escaliers. Hank se demanda s’il essayait d’éviter de croiser d’autres revanis, ou s’il ne voulait pas que Hank puisse se repérer dans le palais et rejoindre seul la chambre de Sin fo.

 Enfin, après de longues minutes de marche, ils arrivèrent aux cuisines. Iaevr dit quelques mots dans sa langue à la jeune revanie présente, qui s’inclina et se dirigea en silence vers la sortie. Lorsqu'elle se faufila devant Hank en évitant son regard, ce dernier se souvint de la remarque de Sin fo et constata que sa tenue de travail ne gênait pas du tout ses déplacements.

– Prenez ce que vous voulez, puis je vous montrerai vos appartements, reprit le vieux roi.

 Le jeune homme fit lentement le tour de la cuisine en regardant les bocaux alignés sur les étagères et les quartiers de viande étalés sur le plan de travail. Du coin de l’œil, il vit que Iaevr montrait des signes d’impatience.

– Si vous avez autre chose à faire, je peux très bien…

– Je ne vous laisserais pas seul ici, répondit le revani d’un ton sans appel.

 Hank comprit qu’il ne valait mieux pas provoquer le vieil homme. Il se hâta donc de prendre quelques fruits dans ses bras et dit :

– Je mangerai dans ma chambre. Je vous suis.

 Après quelques nouveaux détours, le vieux roi ouvrit une porte de bois semblable à toutes celles du couloir dans lequel ils se trouvaient et précéda Hank dans une petite pièce sans fenêtre, sans décorations, et avec pour seul mobilier un lit qui semblait à peine plus confortable que celui du poste de garde dans la montagne.

– Je suis désolé de n’avoir pu faire mieux dans l’urgence. Ce temple n’est pas destiné à accueillir des habitants.

– Ainsi voila mes appartements, constata Hank ironiquement. Il ne manque que des barreaux pour s’y sentir parfaitement chez soi.

– Ne soyez pas ridicule, vous n’êtes pas prisonnier.

– Bien sûr. Pas plus que Sin fo je suppose.

– Notre Taeki est totalement libre de ses mouvements, tout comme vous.

– Parfait. J’irai donc retrouver Sin fo dès que j’aurai fini de manger.

– Ne vous donnez pas cette peine. J’enverrai quelqu’un vous chercher lorsqu’elle aura fini ses audiences.

– Et combien de temps est-ce que ça va prendre ?

– J’enverrai quelqu’un, se contenta de répéter Iaevr avant de claquer la porte derrière lui.

 Hank lâcha un juron à voix basse. Il avait compris que son statut d’invité ne tenait qu’à un fil, et qu’il ne devait pas donner la moindre excuse à Iaevr pour lui retirer sa prétendue liberté de mouvement. Il décida donc de s’en tenir aux consignes pour le moment et de ne pas sortir de cette pièce avant d’y être invité. Il mangea son maigre repas et s’allongea sur le lit. Puis il attendit. N’ayant rien d’autre à faire, il contempla le plafond en ruminant ses pensées.

 Comme il le craignait, l’attente fut très longue. Si longue qu’il s’endormit. Lorsqu'il sentit qu'on lui secouait l'épaule pour le réveiller et qu'il ouvrit les yeux sur le visage d'un revani, il eut une impression de déjà vu. Le jeune revani qui était venu le chercher ne devait pas parler sa langue, car il ne dit pas un mot et se contenta de gestes pour lui faire comprendre qu'il devait le suivre. Tout en avançant dans les couloirs, Hank tenta néanmoins d'entamer la conversation.

– Ce palais est vraiment grand. Vous y vivez ou vous venez seulement y travailler ?

– …

– Qu'est-ce que vous faites exactement ? Vous êtes un garde ? Non vous avez l'air un peu jeune. Alors vous êtes domestique ?

– …

– C'est comme ça qu'on dit ? Domestique ? Vous êtes au service du vieux Iaevr ?

– Iaevr, répéta le jeune homme en regardant par dessus son épaule.

– Oui Iaevr. Qu'est-ce que vous pensez de lui, entre nous ? Il a l'air un peu… dit Hank en baissant la voix et en faisant la moue.

Iaevr triv nataka regaer. Vi triv kvert, naeni vi treviv natae. Vi treviv da caen, da caeni, da revae, da revan. Tki vi treviv da Taeki, conclut le jeune en tournant à nouveau la tête vers Hank.

 Celui-ci resta silencieux un instant, tentant de trouver un sens à ce qu'il venait d'entendre, et s'aperçut que le jeune semblait attendre une réponse. Il répondit donc au hasard :

– Je vois, c'est un peu comme chez moi en fait.

 Le jeune lui lança un regard circonspect, puis lui sourit et continua son chemin en silence. Après de longues minutes de marche et un peu moins de détours que n'en avait fait Iaevr, le jeune toqua à la porte de Sin fo. La jeune femme ouvrit et les accueillit avec un grand sourire.

– Enfin te voilà ! Entre je t'en prie. Nerka, ajouta-t-elle à l'adresse du jeune revani, qui s'inclina respectueusement et s'éclipsa en vitesse.

– Tu parles leur langue, s'étonna Hank en pénétrant dans la chambre.

– Oui, tu verras c'est une langue très simple en fait. Je te l'apprendrai si tu veux.

– Plus tard peut-être. Pour le moment j'aimerais surtout que tu m'expliques cette histoire de déesse.

– Viens, nous serons mieux dehors pour discuter.

 Sin fo fit coulisser une grande baie vitrée débouchant sur une terrasse. Il y avait là une mare où des gros poissons aux écailles iridescentes s'ébattaient tranquillement entre les joncs et les nénuphars, une table ronde et des petits bancs en pierre blanche, des parterres de fleurs sauvages et des arbres aux branches chargées de fruits. Hank réalisa qu'ils étaient dans le bosquet jouxtant le temple qu'il avait vu depuis la vallée. Les deux jeunes gens s'assirent sur un banc de pierre, sous un arbre au tronc épais et aux branches garnies de fleurs roses. De là, ils avaient une vue imprenable sur Zivatanerae, et sur les soleils qui se couchaient derrière les montagnes, tout en étant protégés des regards par les branches longues et basses des arbres fruitiers.

– Quel panorama ! s'extasia Hank.

– Bienvenue chez moi.

– Sin fo, que s'est-il passé ? Comment en es-tu arrivée à ça, demanda Hank en désignant la nouvelle tenue de cérémonie que portait Sin fo.

– Commençons par le début. Je pense que tu es arrivé par le même chemin que moi, donc tu ne seras pas surpris d'apprendre que je suis entrée dans ce monde en émergeant des flots.

– En effet.

– En revanche cela a quelque peu étonné le revani qui passait par là. Il semblerait que les revanis ne flottent pas. Il m'a regardée nager jusqu'à l'île, puis il est venu m'aider à installer un camp et allumer un feu pour me sécher. Il parlait beaucoup mais je ne comprenais rien, je ne parlais pas encore le revani. Alors il m'a fait comprendre par des gestes que je devais rester sur la plage et l'attendre.

– Et tu l'as fait ?

– Bien sûr ! Où voulais-tu que j'aille ? Il est revenu quelques heures plus tard avec le seigneur Iaevr et un cheval ailé.

– Vaen ?

– Non, c'était une jument à la robe totalement blanche, une vraie merveille. Ils m'ont conduite à travers la montagne, mais je n'arrivais pas à avancer dans le tunnel accidenté, donc j'ai usé de mon pouvoir pour aplanir le sol.

 Hank fit semblant de ne pas comprendre.

– Ton pouvoir ? Mais de quoi tu parles ?

– Ah c'est vrai que je ne t'ai jamais montré, répondit Sin fo en posant ses mains sur le bras de son ami. Je ne savais pas si je pouvais... Mais cela n’a plus d’importance maintenant. Regarde bien.

 Elle tendit une main au dessus du sol et ferma les yeux. Il y eut un faible tremblement et une colonne de pierre s'éleva lentement devant eux, puis elle se façonna en un cheval ailé se cabrant. Hank avait vu quelques semaines auparavant que Sin fo pouvait soulever de grosses quantités de roche, mais il ne la savait pas capable d'un travail aussi précis.

– C'est... magique !

– Je te l'offre, dit Sin fo avec un sourire satisfait. Toujours est-il que cela a conforté les revanis dans leur idée que j'étais une déesse réincarnée.

– Mais pourquoi ont-ils pensé ça au début ?

– Cela leur a rappelé la légende de la Taeki, une femme sans ailes venue visiter leur monde. Le seigneur Iaevr m’a montré sa représentation dans un livre quand il m’a offert sa chambre. Je te le prêterai si tu veux. Je ne l’ai pas lu jusqu’au bout, je ne suis pas encore très à l’aise avec leur écriture, mais c’est vrai qu’il y a une petite ressemblance, s’amusa Sin fo. Mais cela je ne l’ai compris qu’un peu plus tard. Le premier jour, ils m'ont emmenée directement au temple, ils m'ont faite me changer et je me suis retrouvée dans la salle du trône - il n'y avait pas encore mon trône d'ailleurs, seulement le petit fauteuil – devant une foule de revanis qui me regardaient en silence. Le seigneur Iaevr a parlé et ils se sont tous agenouillés. Je t'avoue qu'à ce moment-là je me suis sentie un peu perdue. La semaine qui a suivi, je n'ai vu personne d'autre que le seigneur Iaevr qui m'a appris le langage revani, tandis que je lui enseignais notre langue. Quand nous avons enfin pu nous comprendre, il m'a expliqué qu'il était roi, et qu'il m'avait cédé ses pouvoirs en raison de ma divinité.

– Tu as accepté comme ça ?

– Évidemment pas, pour qui me prends-tu ? J'ai eu beau leur expliquer que je n'étais pas une déesse, que si je savais nager, c'est parce que je venais d'un autre monde, rien n'y a fait.

– Il faut avouer que ce n'était pas la meilleure des défenses dans ta situation.

 Cette remarque fit rire Sin fo.

– C'est vrai. Donc j'ai fini par me résigner. La charge est surtout honorifique. Iaevr me conseille, et en réalité, c'est lui qui prend toutes les décisions importantes. Il reste le roi des revanis, je suis là pour l'apparat.

– Et ça te plaît d'être prisonnière ici ?

– Que veux-tu dire par prisonnière, s'étonna Sin fo. Hank regarde ce décor ! Peut-on imaginer plus enchanteur ?

 Avant que Hank ne puisse répondre, ils furent interrompus par Iaevr qui sortit de la chambre de Sin fo et s'avança vers eux à grandes enjambées.

– Noble Taeki, votre repas est servi.

– Excusez-moi, est-ce qu'on pourrait avoir quelques minutes de tranquillité, demanda Hank en s'efforçant de rester calme.

– Les gens du palais se sont donnés beaucoup de mal pour vous, répondit le roi en prenant soin d'ignorer Hank. Ils seraient tous extrêmement déçus si vous ne faisiez pas honneur à ce repas.

– Il a raison, dit Sin fo en se tournant vers Hank. Allons-y, nous pourrons toujours parler à table. Tu vas voir, la cuisine revanie est vraiment succulente.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire William BAUDIN ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0