Chapitre 18 Brusque rappel à la réalité - Partie 4

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 Avant que Jacob ait pu porter la main au fourreau, le djaevel lui sauta dessus et le fit rouler dans le sable. Jacob tenta de se dégager et de se remettre debout, tandis que les autres djaevels couraient vers les trois jeunes. L'un d'eux bondit sur Hank et vint s'empaler sur sa lance. Deux autres djaevels le bousculèrent dans leur course, l'obligeant à lâcher son arme. Les cinq djaevels restants les dépassèrent et encerclèrent les deux filles.

 La situation n'était pas brillante. Jacob et Hank étaient désarmés, Tabatha était trop jeune pour se battre, et il restait huit djaevels à abattre. Mais il n'était pas dans la nature de Sin fo de baisser les bras. Elle aurait volontiers attaqué la première, mais en faisant cela, elle laissait le champ libre à trois djaevels pour s'en prendre à Tabatha.

 Elle n'eut pas à attendre longtemps. Un premier djaevel bondit sur elle. Elle se fendit en avant et lui enfonça son épée dans la poitrine. Elle la retira en tirant un coup sec, laissant le djaevel s'effondrer face contre terre, et une mare de sang coula sous son ventre, souillant peu à peu le sable. Soudain Sin fo entendit un cri derrière elle. Elle se retourna pour voir un djaevel qui avançait les bras tendus vers Tabatha. Sin fo saisit la garde de son épée à deux mains, la souleva au dessus de sa tête, et la planta entre les omoplates de la créature qui poussa un long cri guttural avant de tomber inerte.

 Les trois derniers djaevels gardaient pour le moment leurs distances, mais ils n'allaient pas tarder à charger, et Sin fo savait qu'elle ne pouvait pas protéger Tabatha contre les trois à la fois. Elle réfléchit à toute vitesse. Elle ne vit qu'une solution.

– Taby ne bouge pas !

 Sin fo se mit à genoux et plongea les mains dans le sable. Elle ferma les yeux et se concentra de toutes ses forces pour agir au plus vite. Après quelques secondes, le sable autour de la princesse se souleva, comme porté par le vent, puis tourbillonna autour d'elle jusqu'à l'envelopper complètement. Lorsque Sin fo se releva, Tabatha était protégée par un dôme de sable aussi solide que le roc. Tout en ramassant son arme, Sin fo s'adressa à Tabatha :

– Ne t'inquiète pas, je te sors de là dès que j'en aurai fini avec ces monstres.

 Sans leur laisser le temps de réagir, la jeune femme attaqua les trois djaevels en même temps. Elle courra, sauta, frappa, trancha, donna des coups d'estoc, tournant sur elle-même et roulant sur le sol pour éviter les mains qui tentaient de la saisir. Après un combat acharné, elle parvint à mettre à bas le dernier djaevel. Elle reprit son souffle quelques instants puis s'approcha du dôme.

 Elle passa sa main sur la paroi, et s'apprêtait à lever l'incantation, quand quelqu'un la saisit par derrière. C'était le premier djaevel qu'elle pensait avoir tué. C'était donc vrai, les djaevels ne pouvaient pas être tués. Il l'avait saisie à la gorge et s'apprêtait à la mordre. Elle sentait le sang chaud et poisseux contre son dos, et l'haleine fétide dans sa nuque. Elle voulut crier, appeler à l'aide, mais la main du djaevel lui serrait la gorge si fort qu'elle fut incapable de produire le moindre son. Elle commençait à suffoquer. Des larmes coulèrent sur ses joues. Elle ne voulait pas mourir ici. Pas comme ça. Pas maintenant. Pas sans avoir vu Hank une dernière fois. Et soudain elle le vit. Il se tenait debout sur le dôme, la lance à la main, agrippant la tête tranchée d'un djaevel par les cheveux. Il la lança avec force et elle vint heurter le visage du djaevel derrière Sin fo, qui fut déséquilibré et relâcha la jeune femme. Hank cria à sa femme :

– Baisse-toi !

 Il bondit au dessus d'elle et renversa le djaevel en le percutant à la poitrine avec ses genoux. Avant qu'ils ne touchent le sol, Hank lui avait enfoncé sa lance au milieu du front. Il se redressa, saisit le bois de son arme à deux mains, tourna la pointe à travers le crâne de la créature et la retira en faisant craquer les os et éclabousser le sang. Il tendit la main à Sin fo et l'aida à se relever. Elle lui sauta au cou et le serra dans ses bras.

– J'ai cru que c'était la fin, dit-elle le souffle court.

– Il faudra autre chose que quelques pèlerins nécrosés pour te débarrasser de moi.

 Des râles se firent entendre derrière eux. Tous les djaevels que Sin fo pensait avoir éliminés étaient en train de se relever, malgré des blessures ouvertes à l'abdomen ou des membres estropiés. Hank se détacha de l'étreinte de Sin fo et lui tendit son épée.

– Il faut attaquer la tête, c'est le seul moyen de les vaincre.

 La jeune femme posa sa main sur celle de Hank et lui dit :

– Tiens-moi cela une minute, je vais nous faciliter la tâche.

 Les djaevels s'approchaient d'eux à nouveau, mais ils avaient perdu de leur vigueur. Ils avançaient les bras en avant, en clopinant ou même en rampant. Sin fo s'accroupit et joignit ses mains une seconde, avant de les plonger dans le sable à nouveau. Après un instant, il se mit à couler lentement, comme attiré par les djaevels. Les quelques grains se transformèrent en un torrent de sable qui coulait vers les créatures, puis sous leurs pieds, pour s'enfoncer dans le sol en les entraînant peu à peu dans des sables mouvants.

 Sin fo ne s'arrêta que lorsque tous les djaevels furent ensevelis jusqu'aux épaules. Elle empoigna ensuite l'arme que lui tendait Hank et ils se postèrent tous les deux devant ces figures grotesques qui continuaient à grogner et tentaient de les mordre aux chevilles. Sans un mot, ils assenèrent deux coups chacun, fendant tous les crânes et mettant fin à ce concert sinistre.

 Ils jetèrent leurs armes au sol et Hank reprit Sin fo dans ses bras. Ils restèrent ainsi jusqu'à ce que Jacob les rejoigne. Tout comme Hank, il était couvert de sang, mais ne semblait pas blessé.

– Est-ce que tout va bien, demanda-t-il à Sin fo.

– Oui merci. Et vous, avez-vous été touché ?

– Ce n'est pas mon sang, ne vous en faites pas. Écoutez, dit-il en cherchant ses mots et en évitant de croiser leurs regards, je… je suis désolé. J'aurais du vous faire confiance.

– Ce n'est rien.

– Si vous n'aviez pas été là, Tabatha et moi aurions été... D'ailleurs où est-elle, demanda-t-il en cherchant autour de lui.

 Sin fo lui désigna le dôme de sable.

– Je l'ai mise là-dedans pour la protéger. Je la fais sortir tout de suite.

– Attendez. Nous pourrions peut-être lui épargner ce spectacle, dit-il en montrant les cadavres éparpillés tout autour.

 Les deux jeunes gens acquiescèrent et Sin fo se chargea d'enterrer les djaevels. Dès qu'elle eut fait disparaître toutes les traces de leur confrontation avec les djaevels et rendu sa pureté au sable du désert, elle s'approcha du dôme et d'une simple pression lui fit perdre toute densité. Le sable fin s'écoula en cascade, laissant apparaître la silhouette fine de Tabatha. La petite princesse s'avança vers eux en se frottant les cheveux, qui étaient couverts de sable. Elle lança un regard noir à Sin fo et lui dit :

– Tu étais obligée de m'en mettre partout ? Je vais avoir les cheveux rêches à cause de toi !

 Sin fo n'eut même pas la force de s'énerver et se contenta de lui répondre en soupirant :

– Oui Taby, je suis désolée. Vraiment, quelle journée éprouvante tu passes par ma faute.

 La princesse ne perçut pas le sarcasme et renchérit :

– Je ne te le fais pas dire !

 Sin fo leva les yeux au ciel, tandis que les deux hommes échangeaient un regard amusé. La candeur et la vitalité de Tabatha étaient une vraie bouffée d'oxygène après l'épreuve qu'ils venaient de traverser. Ils reprirent la route presque immédiatement et, malgré la fatigue, ne s'arrêtèrent qu'à la nuit tombée. Ils ne dormirent que d'un œil cette nuit-là, craignant une nouvelle rencontre avec des djaevels.

 Le lendemain, la température était beaucoup moins élevée, car le ciel était chargé de nuages menaçants. Vers le milieu de la matinée, nos quatre héros assistèrent à un spectacle étonnant. Le tonnerre émit quelques grondements menaçants, puis la voûte de nuages se fendit et déversa une pluie torrentielle qui les trempa jusqu'à l'os et changea en quelques secondes le sable sec en boue collante.

 Mais le plus surprenant, c'était que des dizaines de plantes sortirent du sol et poussèrent presque instantanément. Des fleurs, des buissons, et même des arbres, atteignirent leur maturité en quelques minutes. Fougères, fétuques, palétuviers, pampres de jibsas, anches d’alikë, gavatiers, trèfles, amaryllis, c'était une véritable explosion de couleurs et de parfums. Nos héros évoluaient désormais dans une jungle dense aux allures de jardin d'éden.

 Il continuait de pleuvoir et tandis que Tabatha se frictionnait la tête pour retirer le sable de ses cheveux, les trois autres frottaient leurs vêtements pour tenter de faire disparaître toutes les taches de sang. Ils trouvèrent des feuilles de lotus géantes qui retenaient l'eau de pluie comme des saladiers et en profitèrent pour remplir leurs gourdes. Cette eau tout juste tombée du ciel était pure et fraîche, et avait un goût de jouvence après le liquide chaud et croupi qu'ils buvaient depuis trois jours.

 Il plut encore pendant deux heures, puis cela s'arrêta aussi brusquement que ça avait commencé. Les nuages se désagrégèrent et les soleils refirent leur apparition. La chaleur monta très vite, mais la température n'était pas aussi suffocante que les jours précédents. Malgré cela, les plantes souffraient des assauts des soleils, et la plupart commençaient déjà à flétrir. À la fin de la journée, nos quatre voyageurs marchaient au milieu de fleurs fanées et de buissons séchés. C'était comme si un incendie avait ravagé l'oasis qu'ils avaient traversé plus tôt dans la journée. Cette vision de la fugacité de la vie leur laissa une certaine amertume après avoir été les témoins du spectacle merveilleux de la nature en fête.

 Enfin, alors que la nuit tombait, leurs pieds foulèrent de l'herbe fraîche, qui avait poussé naturellement. Ils étaient enfin sortis du désert. Pour la première fois depuis près d'une semaine, ils dormirent cette nuit-là sous le couvert d'un arbre.

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