Martin  3

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  Après l'enterrement, le propriétaire m'a demandé ce que je comptais faire au sujet de l'appartement. Comme la famille d'Eugène était venue prendre ses quelques affaires personnelles et comme je ne savais pas où aller, j'ai été content de rester et j'ai donc signé un bail. J'avais enfin un logement.

  Pour trois fois rien, j'ai acheté un vieux canapé, un frigo et une télé d'occase, à un copain de bistrot. J'étais dans mes meubles. Je repartais pour une nouvelle vie. D'autant que j'avais récemment appris que la compagnie d'assurance allait enfin me verser mon fric, j'en avais bien besoin.

  J'avais accumulé quelques dettes, mais ne trouvait plus crédit. Les commerçants estimant que mon assureur faisait trop traîner, que mon affaire ne paraissait pas saine et donc, qu'ils ne pouvaient plus compter sur un remboursement rapide. Je devais payer cash.

  J'avais également téléphoné à ma femme, et là, divine surprise ! On s'est pas engueulés. Faut dire que j'avais évité tous les sujets qui fâchent. Je l'ai même un peu draguée. Eh ! et ça marchait !

  Bref, la vie était belle, il ne manquait qu'Eugène. Moi, sans les copains, je suis un peu paumé, surtout maintenant que je vis seul. Alors dans les troquets, j'ai fait des tas de connaissances. Des gens biens et d'autres pas recommandables. Des gens comme moi, seuls, qui ont besoin de parler, et qui viennent boire, trouver dans la bibine le bien-être tout en s'inventant une vie. Des gens qu'on écoutera délirer comme s'ils racontaient la vérité, et qui en rajouteront encore, "pour faire plus vrai " et qui, pour un moment, seront heureux. Heureux d'être écoutés. Heureux d'être, même un court instant, le centre du monde. Et puis, il y a les escrocs, les trafiquants en tout genre, les arnaqueurs. Tous ceux qui ont entendu parler d'un "gus "qui allait toucher un gros paquet de pognon. J'en avais des copains ! Pour ça oui ! Mais pour le pognon, ils pouvaient toujours se fourrer le doigt dans l'œil ou dans l'œillet si ça leur bottait. D'abord j'ai touché beaucoup moins que prévu, ensuite j'en devais une bonne partie et pour finir, j'avais décidé d'aller voir mes mômes et leur en filer un peu.

  Mais ça c'est pas passé tout à fait comme ça.

  En fait, avant de repartir dans le Nord voir les gosses, j'ai décidé de descendre sur la côte rendre visite à la sœur de Marc. Elle m'avait écrit deux ou trois fois après l'accident et surtout on avait longuement parlé au téléphone quelques semaines après qu'elle eût largué son mec. On s'était découvert pas mal de points communs. On parlait de tout et de rien, de la vie et surtout de son frère. C’est sûr qu’elle l’aimait son frangin. Je crois qu’ils ont été très proches, leurs parents ne les aimaient pas beaucoup, ou plutôt, ne s‘occupaient pas vraiment d’eux et finalement ils ne pouvaient compter que l'un sur l’autre. Par contre, elle n'aimait plus du tout son ex. Qu’est-ce-qu’elle m’a balancé sur lui ! petit à petit, j’ai commencé à la draguer. Et puis, à vrai dire, j'avais essayé de joindre ma femme, mais elle n'était jamais là. Alors j’appelais mes enfants pour avoir des nouvelles. C'est ma fille, tout à fait par hasard, au détour d‘une conversation anodine, qui m'a appris qu'elle vivait avec un autre type. J'en suis tombé sur le cul ce jour là et j'ai fini par avoir ma femme au bout du fil, c'était vrai. Ça durait même depuis plusieurs semaines. On s'est même bien engueulé, pour sûr, « ça a chié » comme on dit vulgairement, on s’est traité de tous les noms, j’ai même du en créer deux, trois nouveaux ! Mais que faire dans ce cas ?

  Alors au lieu d'aller voir mes enfants (et ma femme), je suis descendu sur Nice voir Magali. Au bout de deux jours, j'en avais déjà marre. Je n'sais pas si c'était la mort de son frère, ou si elle avait toujours été zinzin, mais elle n'arrêtait pas de me dire qu'elle voyait son frangin heureux, qu'il avait retrouvé leurs parents, qu'ils lui prodiguaient soins et protection depuis l'au-delà, qu'ils la guidaient dans tous ses actes etc. et bla, bla, bla. Tu parles ! Elle se souvenait plus m’avoir dit que ses parents s’étaient toujours désintéressés de leurs mômes, d’autant que Marc il me l’avait dit également. Et puis moi, je n'ai jamais vraiment cru en Dieu et tout ce fatras de niaiseries religieuses. En tout cas pas en ce Dieu là, barbu et Pédégé du Paradis. Elle, si ! Dur comme fer ! Alors comme on se serait pas entendu longtemps, j'ai préféré partir tout de suite et je suis monté dans le Nord pour voir mes gamins et, je le reconnais, essayer de revoir ma femme et de la faire changer d’avis.

  J'ai été bien accueilli, normal ! J'arrivais en poussant la porte du pied tellement j'avais les bras chargés et du pognon plein les poches.

  Avec mes gosses, on a essentiellement parlé de leur avenir, leurs projets, combien ça coûte et ce que j'envisageais pour eux. J’étais le bienvenu car j’arrivais déguisé en papa gâteau, en Père Noël.

  Avec ma femme, ça s'est réduit à deux minutes au téléphone pour me dire que comme je le savais, elle vivait avec quelqu'un désormais et qu'il était inutile de se rencontrer. J'ai encaissé comme j'ai pu, c'est à dire mal et je suis rentré chez moi, la tête vide, comme un zombie, incapable de penser à quoi que ce soit d'autre, perdu comme un gosse qui a lâché la main de sa mère et qui se retrouve tout seul dans la foule avec l'impression qu'on l'a abandonné et qui pleure silencieusement en espérant qu'une âme secourable le prendra en charge.

  Mais j'étais pas un gosse, j'avais l'air de ce que j'étais, un grand escogriffe avec la tête dans le cul et personne ne m'a tendu la main. Alors, j'ai acheté une bouteille de Calva, deux packs de bière et je suis rentré dans ma piaule pour me soigner méthodiquement la tête en extirpant les mauvaises pensées une par une à grandes lampées d’alcool.

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