Gwernin

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Béryl se sentait mal à l’aise entouré de tous ces gens qui lui étaient pour la plupart inconnus. Habillés de gris pour le peuple, de rouge pour les Elus et de blanc pour les 5 apôtres, ils étaient venus de loin pour assister à cette cérémonie. Lui, habitant depuis son plus lointain souvenir dans le Moulin, il ne connaissait personne d’autre que les apôtres et les 13 autres enfants avec qui il faisait son éducation.

Tout ce beau monde était regroupé dans un amphithéâtre au pied du Moulin, face à une construction grande de 15 mètres, circulaire, creuse et faite d’or et d’émeraude. Une partie du cercle était manquante, coupée net il y a de cela des centaines d’années par le dieu du vent, Avel, racontait la légende. On appelait cet édifice le Portail.

Aine de ses frères et sœurs, Béryl s’assurait que ceux-ci se tiennent droit dans le coin qu’on leur avait réservé. Méfiant, il s’assurait que sur ces marches, personne ne les importunait ou ne cherchait à altérer leurs âmes, à eux, futurs enfants d’Avel.

Apôtre Maël, empoignant le sceptre des Gwernin, apparut en bas des marches et rejoignit ses confrères et consœurs jusqu’au Portail. Les murmures de la foule se tuèrent alors petit à petit jusqu’à ce qu’on ne puisse qu’entendre le sifflement du vent contre les montagnes alentours.

Béryl lança un regard plein d’appréhension à Apôtre Servane qui ne le remarqua pas, les yeux semi-clos comme si elle se trouvait déjà en transe. Il avait pourtant besoin de son réconfort et de son assurance pour le détendre. Une appréhension grandissait au sein de son cœur ; la peur du contact de ces inconnus, la peur de voir ce qu’il se trouverait au-delà du Portail… Il ferma alors les yeux un court instant et pria la clémence du dieu Avel et qu’il guide le peuple des Gwernin dans le monde qui avait été jadis le leur.

Apôtre Maël clama alors : « Peuple des Gwernin, aujourd’hui, nos enfants sont prêts. Notre terre natale est à portée de main ; aujourd’hui, nous reconstruisons le Portail ! ». Il n’en fallut pas d’avantage pour soulever les applaudissements et cris de joie du public. Béryl attrapa instinctivement la main d’Iseult qui la serra en retour et l’embrassa tendrement. De 4 mois sa cadette, elle était pourtant et certainement la plus sage et mature d’entre eux deux. Il ignorait son secret, mais elle ne laissait transparaître aucune angoisse. Briac, son jumeau, avait sûrement remarqué la scène et vint discrètement se placer à la gauche de Béryl, de sorte à ce que ce dernier se retrouve entouré de ses deux plus proches amis.

Apôtre Kenan fit signe aux enfants d’approcher. D’un seul troupeau, ses 14 élèves descendirent les marches de l’amphithéâtre et le rejoignirent sous le Portail. De son côté, Apôtre Deryn appela les Elus à préparer une file indienne jusqu’au pied de l’amphithéâtre. Béryl en compta une petite centaine.

« Mes enfants, murmura Apôtre Kenan, aujourd’hui, c’est le grand jour. Vous êtes prêts, j’en suis certains ; nous autres apôtres seront là pour vous guider, mais nous sommes trop vieux, trop faibles pour assumer la cérémonie en son intégralité. » Il les gratifia d’un sourire que Béryl qualifia de peu confiant. « Allez-y... »

Il leur tendit le bras et les invita à prendre leurs places. Chacun des enfants – 17 ans à peine en réalité – se plaça autour du cercle et commença à murmurer le Chant du peuple Gwernin. Béryl sentit peu à peu son appréhension s’envoler. Ce chant qu’il connaissait bien avait quelque chose de rassurant. Entouré de ses camarades, les yeux se fermant peu à peu, il se revoyait dans les sous-sols du Moulin, en salle de classe ; non plus immergé par ces inconnus venus d’à travers les plaines et montagnes.

À mesure que le chant progressait, leurs voix s’élevèrent plus fortes et le vent commença à grincer davantage. Béryl sentait ses cheveux battre contre son visage et voyait à mesure des lumières passer devant ses paupières. Il entendit au loin le peuple élever sa voix au travers diverses émotions. La curiosité l’emporta et il ouvrit alors lentement les yeux. Devant lui, le Portail s’était reformé et une lumière verte, chaleureuse dansait en son sein. Au fur et à mesure qu’il sentait son cœur s’accélérer, la lumière grossit jusqu’à atteindre les extrémités du Portail. Des dessins, des formes moins abstraites apparurent au centre de cette lumière. Puis le chant se finit et Béryl et ses amis tombèrent d’épuisement dans l’herbe.

Il lui fallut quelques secondes avant de reprendre ses esprits et de se rendre compte que le silence le plus total était retombé. Dans le Portail, un paysage, une vallée était apparue avec en son centre des fondations de pierre gigantesque qui s’apparentaient à une ville – c’était la leur terre natale.

Il était ébloui par ce que lui et ces camarades venaient d’entreprendre. Ils avaient été entraînés toutes leurs vies à assouvir "le destin des Gwernin", et ils avaient réussi. Le pouvoir qui leur avait été transmis lui sembla dès lors moins dérisoire, moins imaginaire. Prier Avel à toute heure n’avait peut-être finalement pas été vain. Il leur accordait aujourd'hui un chemin retour.

Il jeta un regard en direction d’Iseult, puis de Briac – ils semblaient aussi subjuguer que lui.

Soudainement, un éclair déchira le ciel et avec lui toute sérénité. Le ciel tonna et Béryl sentit son estomac se nouer. Des cris de panique s’élevèrent ; certains se précipitaient vers le Portail, d’autres quittaient l’amphithéâtre, mais ce fut vint. Le vent s’abattit sur le Portail et une lame sembla faire écrouler le Portail. Le paysage disparut dans un néant de fumée. Il ne fallut pas longtemps aux enfants pour se rendre compte que la moitié de leurs camarades avaient probablement péri dans l’accident.

Béryl entendit furtivement la voix d'Apôtre Servane, mais avant même qu’il n’ait eu le temps de courir dans sa direction qu’il se sentit soulevé du sol. Lui et ses amis lévitaient à présent et une voix tonna sourdement dans sa tête. Il n’en comprit pas le sens, mais n’eut pas le temps d’y penser. Il sentit ses os craquer un par un, ses boyaux se tordre et soudainement, son corps se déchira et il glissa dans les ténèbres.

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