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Il aurait pu tout aussi bien être midi que l’heure d’être affamé. Samara était échevelée, elle tremblait à l’intérieur. Je l’ai prise dans mes bras pour la serrer fort, pour la rassurer.

  • J’ai passé la nuit avec Belice. Elle est inépuisable. Elle saute de rêve en rêve sans jamais se fatiguer. Elle voyage sans lumière. Je me demande comment elle peut faire cela. Continuez à me serrer, j’ai très froid.

Moi, je n’en menais pas large non plus, je faisais juste semblant.

  • Gweb a été direct et franc. Je m’attendais au pire mais il fut plein d’attention envers moi. Je ne l’ai pas vu, je l’ai juste entendu. Il aurait pu m’envoyer aux oubliettes rien qu’à sa voix. Il m’a simplement proposé de me reposer. C’est ce que j’ai fait. Je crois que nous avons parlé mais j’ai peut-être rêvé. Samara, vous connaissez un chemin, vous avez une voie vers eux ?
  • Mon galant ami, j’ai un rien de quelque chose qui ressemble à une certitude.
  • Allez, dites voir que je me débarrasse des doutes.
  • Vous vous souvenez d’un franchissement ?
  • Heu… oui, nous en avons fait plusieurs tout en délice.
  • Soyez sérieux. Est-ce que vous êtes capable d’en faire un autre avec moi ?
  • Avec vous ? Bien sûr que oui.
  • Je ne sais pas si nous reviendrons, Monsieur.
  • J’accepte volontiers.
  • Que voulez-vous pour déjeuner, du thé ou du café ?

Moi, je suis un animal. Il me restait d’abord une chose ou deux à résoudre. Dans la cour de graviers, dans ce coin, il y avait une vieille charrue, les bras en l’air. Je baissais mes pantalons pour faire le nécessaire quand une poule vint me picorer le cul. Je ne saurais pas dire si c’est agréable mais en tout cas, c’est très étrange. Et puis elle a tout bouffé avec ses copines. Là au-moins c’est propre, je saurai d’où vient le goût des œufs.

Samara avait une élégance surnaturelle. Elle sentait bon, même sale. Quand je m’approchais d’elle, elle se renforçait. Elle devenait invincible. Il ne lui fallait qu’un chevalier pour manifester son assurance et sa volonté. Mais ce matin ses yeux étaient lourds, engourdis, pleins de lenteur. Elle tournait sans arrêt son regard vers l’ailleur. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour la retenir alors qu’elle se fracassait, les ailes contre les fenêtres, d’impatience.

  • Je ne tiendrai pas longtemps, dépêchez-vous doux ami.
  • Vous voulez du beurre ou de la confiture ?
  • Êtes-vous prêt ?
  • Je serai prêt quand j’aurai mangé cette tartine de beurre à la confiture.

Elle aussi l’aura fut, et nous prîmes chacun un bol chaud de café frais. Je maugréais entre deux gorgées d’amer, de fruit et de gras. Je n’avais pas envie de sortir prendre le grand large. Elle posa sa main sur ma joue, ses yeux dans les miens et elle rota discrètement.

  • Mélangeons ces confitures pour nous, effaçons nos traces et partons aller voir si un chemin de sente veut bien nous conduire vers ma Belice et votre Gweb.

Elle planait. Samara était toujours en avance. Elle marchait au-devant des choses. On aurait dit que le monde la suivait. Elle écoutait avant que le son n’arrive. Quand elle était prise par surprise, elle se défendait des cheveux contre tout vent capricieux. Après une bataille gestuelle contre une feuille qui voulait tomber, elle m’invita à franchir sa passerelle de bois vert, un semi-sourire en victoire.

  • Rassurez-moi Demoiselle, vous continuez à voir les mulots, les mousses, les fougères et les arbres millénaires qui s’inclinent à notre passage ?
  • Vous êtes parfois… très sage.
  • Et ce pont, nous allons le franchir, n’est-ce pas ?
  • De grâce, cessez de parler un instant que cela soit accompli.

Un oiseaux noir était là, un gros rebec couvert d’une forte livrée argentée. Il oscillait son regard vers nous, une fois par œil. Il patientait en se grattant les plumes.

Je me suis retourné pour voir en arrière.

  • Vous ne devriez pas faire cela, vous allez épuiser votre attention.
  • Samara, il n’y a plus rien derrière. Il n’y a plus de rivière, plus de pont, plus de rochers ronds, plus de chemin vers la maison. Nous sommes perdus.
  • Regardez devant vous et allons rejoindre ce gros bec. Il sait très bien indiquer les chemins.
  • J’ai du mal à respirer. Je vais poser un genou à terre et ralentir un peu.
  • Je vous avais prévenu. Gardez courage, nous n’avons fait que quelques pas. Allez, relevez-vous et tenez mon bras contre vous.
  • Samara, où allons-nous ?

Cette femme trimbalait une volonté prodigieuse. Elle pouvait charmer n’importe quoi. Une poule, une chaise, un dé, un tas, rien ne lui résistait.

Subitement, elle me fit barrage. Elle me repoussa d’un geste sans violence avec une force que je ne lui avais pas encore prêtée. Sa chevelure dansa un peu au gré d’un courant d’air en vrille, elle planta son regard, des feuilles se mélangèrent et puis elle assena un ordre :

  • Grand-Route !
  • Crôa, crôa, grââ, grââ.
  • Montre-nous la route !

Alors donc, c’était ainsi qu’elle procédait. Elle réunissait ses forces et puis elle envoyait tout le paquet en projetant un commandement par le ventre. Ce qui jaillissait de son nombril palpait tout ce qui passait à sa porté. Elle était en éveil dans son élément, émettant une discrète lueur ambre-rosé, rien ne pouvait lui être refusé. L’oiseau noir s’exécuta.

Il se jeta dans notre direction, passa derrière, fit le tour et se posa doigts à terre, les ailes recroquées. Il lorgna un tas d’odeurs qui bruissait. Il le dégratta de ses griffes et picora quelques bestioles, un oeil tourné vers nous. Il avait eu le choix. Notre chemin se divisait de part et d’autre du trône de l’oiseau. Le corvidé s’était posé à droite de sa noble pierre et il sautillait des ailes à l’ascension d’un nouvel horizon.

Là-haut, à tout au plus sept perches d’arpent, le paysage s’ouvrit sur un large bocage de tendres enclos d’arbres vigoureux qui abritaient leur ombre sur de prometteuses cultures. Des oreilles de lièvres traversèrent par-là, nous entendîmes le rythme à quatre pattes d’un cervidé quand la puanteur d’un champignon nous fit faire un détour. Et par-ici, nous comprîmes que nous étions complètement perdus.

  • Nous devrions peut-être rebrousser ?
  • Pour l’instant, nous sommes égarés. Nous devons choisir.
  • Si vous voulez mon avis, Samara, nous ne sommes pas sur leur piste.
  • Êtes-vous empathique ?
  • Bah, oui.
  • Sachant ce que vous savez de moi, que feriez-vous à ma place ?
  • Bah, j’avancerais.
  • Allons voir ce qu’il-y-a après ce joli bois. J’aime bien quand ça descend.

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