17 - 1 - Retrouvailles avec ses hommes, non mais non

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– Suivez-moi, il est maintenant temps de remonter. La Générale s'occupe de nous ramener à bon port et vous souhaite un agréable voyage. Elle vous reverra sur la terre ferme. Profitez-en pour vous reposer, vous aurez besoin de force pour accomplir votre mission.


Le Capitaine suivit donc la Commandante qui le précédait. Elle ouvrit la grande porte d’une main, sans effort particulier et sans l’aide d’un quelconque appel d’air. Tous deux la franchirent. Le Capitaine se retourna et, avant que la Commandante ne la referme, il put voir que la lumière à l'intérieur de la pièce avait changé de nuance. Un ton coloré rouge et jaune, tel le rougeoiement de flammes brûlantes, inondait la pièce. Une fois la porte refermée, la cloison en bois se mit étrangement à vibrer. Le Capitaine s’imagina aisément la Générale faire usage d’une puissante magie. Il ne préféra cependant pas demander à la Commandante qui, indifférente, se contenta de le regarder avant de reprendre sa marche. Il la suivit sans attendre.

Au fur et à mesure de son avancée dans la cale, les boules de feu en lévitation sur les socles, aussitôt dépassées, s’éteignirent une à une. Il tenta un regard en arrière et s'aperçut que l'obscurité reprenait pleinement possession des lieux. Plus surprenant, la brume faisait aussi son retour et le talonnait. Il accéléra un peu le pas.

Troublé et fatigué par cet endroit, il se dit que s’il avait eu à imaginer l'enfer, cette cale aurait pu en être le parfait exemple. Il s’y passait des choses qu'il ne s’expliquait pas et, bien qu'il ait réussi à ouvrir son esprit, il en avait largement assez vu pour aujourd'hui. Il souhaitait au plus vite retrouver ses hommes et leur plaisante compagnie ; ou en tout cas, une compagnie plus conforme, sans inattendu extraordinaire. Il augmenta encore l’allure.

Ils arrivèrent sans encombre au premier escalier et étrangement, remarqua-t-il, sans une seule parole prononcée. Pris dans ses pensées et ses angoisses, il n’avait pas eu l’envie ou l’idée de discuter. La Commandante ne paraissait pas non plus vouloir bavarder. Il se demanda si un jour ils auraient à nouveau quelque chose à se dire ; peut-être avaient-ils tant dialogué que maintenant tout était dit ; peut-être que jamais plus ils ne converseraient comme ils avaient pu le faire. Il trouva cela dommage, discutailler avec elle l’avait… rafraîchi.

La Commandante, toujours devant malgré le rythme imposé par le Capitaine, gravit, elle, les marches d'un pas tranquille ; le Capitaine la talonna de prêt. Une fois en haut, il respira mieux l’air devenu de suite moins oppressant. Il en profita pour souffler un peu ; le temps de se dire que l’idée ne lui était pas venue de la reluquer une dernière fois. D’ailleurs, la Commandante n’avait bizarrement, elle non plus, pas fait de remarques à ce sujet. Peut-être que jamais plus ils ne seraient physiquement proches ; il trouva cela regrettable, le contact avec elle l’avait… ragaillardi.

Juste au moment où il se remit à avancer, il entendit comme un grondement, ou plutôt un grognement rauque, provenir du bas des marches. Il était vraiment temps de ne plus s’attarder.

– J'ai comme qui dirait cru entendre un bruit. Vous croyez que c'est prudent de laisser la Générale seule en bas ? Et vous avez dû voir que les lumières se sont éteintes… tenta-t-il d’exprimer afin d'obtenir une petite explication.


La Commandante le fixa et prit la peine, en se faisant courage, de lui répondre :

– Pensez-vous vraiment que la Générale soit en danger dans sa propre demeure ?

– Non, mais, non…

– Voilà, c’est cela. Vous devriez plutôt vous préoccuper à bien formuler les phrases. « Non, mais, non », cela n’a aucun sens. Non, mais, non, vraiment, quelle pitoyable argumentation. Bon, autre chose ?

– Je… non, mais… je… je vous ai connue plus bavarde. Je voulais… juste je pense… être sûr de ce que j’avais pu voir ou entendre, tenta-il d’exprimer afin de donner une petite explication.

– Pensez-vous réellement que je doive vous rapporter ce que vous avez bien pu voir ou entendre ?! questionna-t-elle sèchement.

– Non, non, mais…

– Voilà qu'il recommence. Je ne suis pas vos yeux, je ne suis pas vos oreilles, laissez-moi en dehors de vos perceptions, merci !

– J’aurais apprécié une parole comme : « Mon pauvre petit bout de chou, le bruit et le noir vous effraient ? » Ou quelque chose de ce style, ça aurait été plus drôle et agréable.

– Je me suis habituée au silence. J’en avais presque oublié nos discussions insignifiantes et sans intérêt. Je pensais que nous nous étions tout dit et je trouvais cela fort bénéfique. M’entretenir avec vous m’a… accablée.

– Ah… Vous faites bien de me le dire, moi aussi j’aime le calme, je souhaitais vous faire plaisir à bavarder mais… oui, voilà, je me disais la même chose.

– Soit. Alors arrêtons de nous parler. Mais peut-être désirez-vous un petit câlin pour vous réconforter ?

– Quelle drôle d’insupportable idée ! Nous avons déjà eu bien assez de contact charnel ! anticipa le Capitaine, sachant très bien que la question de la Commandante n’était rien d’autre qu’un piètre piège et qu'elle ne comptait pas du tout l'enlacer.

– Oh… Vous faites bien de me le dire, je souhaitais simplement vous faire plaisir en vous cajolant, dorlotant, caressant. Tant pis.

– Ah… Non, non, mais… euh… dit un Capitaine stupéfait.

– Soit. Alors restons en là, continuons.

– Non, mais, euh… Oh non… mais pourquoi ? dit un Capitaine dégoutté d’avoir laissé passer une si belle occasion.


Le premier palier…


Savez-vous ce qu’il va se passer dans c’premier palier ? Un monstre va arriver ? Non. Une autre licorne va faire son apparition ? Non. Ils vont se faire un bisou ? Non ! Il va se tordre la cheville ? Non, non. Il va lui regarder les fesses ? Non, on n’recommence pas avec ça. Il va donner un cadeau à la Commandante ? Hein, quoi ? Ah non, mais non ! J’t’ai dit d’oublier l’chapitre du Père Noël !

Alors personne d’autre ? Ils vont faire l’amour ?! Non, mais non… euh… non ! N’importe quoi ! Mais pourquoi tu dis ça ?! Non, i’ vont pas faire l’amour, faut pas toujours penser qu’à ça ! Ils ont aut’e chose à faire.

Bon, ça m’apprendra, j’arrête avec mes questions. Je continue.


Le premier palier fut traversé rapidement.


Il ni s’y passa rien de particulier. Bah oui quoi ! Ils sont juste en train d’monter des escaliers, i’ vont pas y passer trois heures !


Dans ce palier rien n’avait changé : toujours humide mais pas brumeux, toujours un peu sombre mais rien à voir avec une obscurité totale, et toujours cette odeur agréable de nourriture ; ce qui fit dire au Capitaine qu’il avait un peu faim :

<< – Ça sent bon, ça me donne faim. >>


Ils montèrent tous les deux le deuxième escalier. Cette fois-ci, ce fut le Capitaine qui précéda la Commandante. Lorsqu’il arriva tout en haut, soulagé d’être enfin à la lumière du jour, il ne put s’empêcher d’en rajouter. Il porta son regard vers le ciel, leva les bras bien grand au dessus de sa tête et déclara modestement :

– Voici revenir, victorieux, triomphant, le seul, l’unique, l’héroïque : MOI ! Ne retenez pas vos acclamations, alléluia, alléluia, alléluia !


Le Capitaine respira l’air marin, le huma, s’en rassasia. Baissant la tête et quittant le ciel des yeux, il reporta son regard sur ses hommes. Comme il s’y était attendu, ils s’étaient rapprochés des femmes. Mais, contrairement à ce qu'il s'imaginait, hormis un ou deux qui le fixaient, un qui l’applaudissait des deux mains et l’acclamait en sautant de joie, les autres n’avaient même pas tourné la tête vers lui. Tous donc, excepté un fayot, et le "un ou deux" déjà désintéressé de son arrivée, n’avaient cure de le voir revenir.


Tous n’avaient cure ? Essayez de comprendre le sens de la phrase pour en deviner la définition. Alors, quelqu’un s’y essaye ? Ils se mettent un doigt dans le nez. Non. Ils nettoient les toilettes. Non. Ils vont faire une thalassothérapie. Tu connais thalassothérapie et pas « n’avoir cure » ?! Non, suivant. Ils se transforment en cure ? Hein ? Avec des longues robes marrons et le crâne chauve au-d’ssus d’la tête ? Et des sandales ? Ah non, mais non ! Non, ça c’est un curé, avec une soutane, rien à voir !

Bon allez, on arrête, c’est définitif vous êtes nuls, zéros, incapables d’interpréter le sens d’une phrase ! Quoi ?! Qu’est-ce qu’il y a toi là bas la toute petite ? N’fait pas ta timide, vas-y, exprime-toi. Tu dis que n’avoir cure, c’est qu’ils se fichent de l’arrivée du Capitaine. Oui mais, oui ! Parfait ça ! Voilà enfin une petite qui réfléchit ! Bien joué, j’t’aime bien toi, en plus t’es toute mimi. Vous les autres affreux, prenez exemple, et réfléchissez correctement.

Car la moralité, mes p’tits pirates, c'est qu'j’aime bien les enfants qui se servent de leurs têtes et qui pensent intelligemment ! Les autres j’ai, presque, envie d’les taper !

Quoi ? C’n’est pas une moralité, c’est un fait ? On fait un compliment à la d’moiselle et v’là qu’elle en oublie qu’elle est timide !

La moralité, mes p’tits pirates, c’est qu’ceux qui la ramènent trop, on a, toujours, envie d’les taper ! Dans la vie il faut savoir naviguer entre l’assurance et la discrétion. Voilà, méditez là-d’ssus !

Quoi ? T’as pas d’bateau. Non mais, non... Non, c’n’est pas grave, je n’vais pas m’emporter. J’ai juste une chose à t’dire, c’est qu’toi, contente-toi de toujours êt'e discret.


– Et oui, voyez-vous, vous en avez peut-être trop fait avec vos alléluias, dommage, pour le reste je pense que vous n’étiez pas mal, dit la Commandante avant d’éclater de rire.

– Non, mais, non… c’est juste que…

– Bon ! Vous allez resté planter là en haut de ces marches encore longtemps ?! Voulez-vous bien vous pousser que je puisse passer ? s’impatienta-t-elle.

– Oui mais… oui.

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