Fantasme d'une relation perdue
Absorbé dans la contemplation du ballet fou et hypnotique des bulles remontant le long de ma pinte de bière et bercé par le brouhaha des conversations mêlées aux basses profondes d’un morceau de black metal , je remarquais à peine qu’elle venait de s’installer à côté de moi au comptoir massif du Black Dog , l’un des bars metal ( un des seuls) les plus réputés de la capitale. Vendredi soir morose de fin d’été à Paris, je m’étais arrêté afin de m’offrir une parenthèse autour d’un breuvage houblonné et titré,de souffler un peu et réfléchir à certains évènements récents qui m’avaient impactés. Comme bien souvent mes pensées dérivaient vers de noirs endroits et me ramenaient à des blessures existentielles, et les nuages sombres du destin, remplis des imprécations de dieux oubliés s’amoncelaient dans ma tête.
« J’adore ce groupe. »
Il me fallut une seconde pour comprendre que cette remarque m’était adressée.
« J’adore ce groupe ! » répéta-t-elle .
Une seconde supplémentaire me permit de comprendre qu’elle faisait allusion au logo abscond et torturé qui ornait mon t-shirt , noir comme il se doit , à l’effigie de mon groupe favori
Je focalisais enfin mon attention sur elle, brune, les yeux verts, certainement dans la quarantaine avec ces petites rides si discrètes et pourtant charmantes qui commençaient à marquer le coin de ses yeux . Elle portait avec une élégance naturelle un jean élimé aux genoux et un t-shirt vintage à l’effigie de Metallica, dont le col large dévoilait un peu ses épaules . Un tatouage formait une arabesque le long de son bras gauche et disparaissait sous l’étoffe noire et rose
Son sourire franc et lumineux me désarma d’entrée et je balbutiai maladroitement un « Ah oui vous aimez … ? » peu assuré
« Un de mes groupes préférés, je les ai vu je ne sais combien de fois en concert »
Nous commençâmes ainsi à discuter à bâton rompu de nos groupes , genres , sous genres , artistes et albums préférés ; d’un genre musical si riche et si peu connu , tirant certainement sa force de son côté underground. J’appris qu’elle était photographe spécialisée et travaillait pour des magazines papier et en ligne ainsi que certains labels. Nous avions quitté le comptoir pour une table un peu plus à l’écart, plus tranquille et le vouvoiement un peu rigide avait laissé la place à un tutoiement plus chaleureux. La fluidité de nos échanges, et certainement un peu les tournées de bières , firent que la discussion bascula peu à peu sur nos gouts , nos vies , nos envies , nos failles et je m’aperçut bien vite que mon environnement immédiat s’était réduit à elle , l’éclat de ses yeux rieurs , ses lèvres surlignées d’un léger rouge à lèvres ; je détaillai les contours de son visage , ses formes girondes et son sourire ravageur.
Je ne me souviens plus qui d’elle ou de moi fit le premier pas, seule me revient la décharge électrique du contact fugace de nos doigts qui d’abord se frôlèrent , puis se cherchèrent et s’agrippèrent dans une acceptation mutuelle , nos mains se nouant bientôt au milieu de nos pintes de bière. Quelle sensation, quelle magie !!!! Quelques secondes d’éternité figées dans la trame du temps, de ces moments que l’on goute encore de tout ses sens des années plus tard : les picotements dans les bras, les jambes qui flageolent , le souffle qui se coupe et les papillons dans le ventre . Nos regards soudés l’un dans l’autre, dans lesquels un violent désir , qui se tenait jusque-là en embuscade, jaillissait enfin dans un pétillement irisé. Sa bouche, si délicieusement, entrouverte exhalait un soupir silencieux et nos jambes se joignaient sous la table propageant une chaleur diffuse
Les mot devinrent superflus, témoins muets d’instants charnels à venir, communs à travers le monde , mais qui ce soir n’appartiendraient qu’a nous.
Main dans la main, nous sortîmes du bar . Elle s’appelait Romane …
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