L'été 41 - Chapitre 5
Jeudi 16 octobre 1941
Plus d’un an que je livre une partie de ma petite vie de Lyonnaise entre ces lignes. C’est pour moi comme un refuge. Enfin, un refuge de fortune, croyez-moi ! Car en un an beaucoup de choses ont changé. Pour moi la rentrée avait lieu il y a quinze jours, elle était loin de ressembler aux précédentes. Je suis rentrée en résistance, plus que jamais déterminée.
Il y a une dizaine de jours six des sept synagogues parisiennes ont été dynamitées. Nous avons également appris que Pétain avait commué en peine de prison la peine de mort de Paul Collette qui avait tenté d’assassiner Laval et Deat.
Enfin, nous apprenons que Pétain a ordonné aujourd’hui même d’emprisonner les « responsables » de la défaite de juin 1940. Il s’agit donc de Blum, Daladier, Gamelin et Reynaud.
Jeudi 23 octobre 1941
Une semaine chargée dans tous les sens du terme ! La résistance, même discrète est en action. Pour ma part, du haut de mes 14 ans, je suis sur le qui-vive. Je ne peux pas prendre le risque d’en parler en détail ici, mais sachez-le, ce n’est pas l’envie qui m’en manque : mesure de sécurité. Par contre, je peux dire que depuis le début la semaine deux commandants allemands ont été tués par la résistance FTP-MOI française. L’un à Nantes, l’autre à Bordeaux. Bien entendu, doutez-vous bien que cela n’est guère sans conséquence : plusieurs otages sont tués en représailles. Quand cela va-t-il s’arrêter ? Si seulement quelqu’un le savait ou pouvait le savoir.
Jeudi 6 novembre 1941
Que dire hormis que le climat dans lequel nous vivons, ici, en France, à Lyon, à Grenoble et toute autre ville de la zone libre est plus qu’incertain ? Même entre nous, en famille, nous parlons peu pour pouvoir nous protéger les uns les autres. Cependant mon frère m’a tout de même informée que son réseau a fusionné avec un autre. Aurait-il dû ne rien me dire ? Je n’en sais trop rien et je n’ose lui poser la question. Moins d’informations circulent, plus on est « protégé ». Enfin, c’est une sécurité qui n’en est pas vraiment une.
Pour ma part, je poursuis les missions qui me sont confiées par mon supérieur. Je fais tout de même acte de présence au lycée afin d’éviter les éventuels soupçons. Ce que je peux affirmer c’est que mes journées sont bien remplies. Malgré cela, je trouve bien souvent le sommeil avec difficulté.
Jeudi 13 novembre 1941
Une semaine riche en déplacements pour moi. Je connais mieux que jamais ma ville et sa région. J’ai dû transmettre plusieurs centaines de messages. Et puis, pour que vous puissiez vous rendre compte de l’effort physique que c’est, il faut savoir que Lyon se situe à proximité du massif des monts du Lyonnais. J’alterne selon les parcours que je dois emprunter pour mes missions entre vélo et marche à pied. Une fois ces missions quotidiennes terminées, je me rends à la Croix-Rousse pour retrouver ma fidèle amie Lina qui m’aide un petit peu à garder un niveau correct en classe. En première L le niveau est plus élevé que l’an dernier, en seconde, et si on l’additionne à mes activités extra-scolaires tout cela se complique. Je ne parviens plus à me concentrer, l’actualité peu réjouissante m’obsède, jour et nuit. Je manque de tout, de sommeil principalement.
Dimanche 23 novembre 1941
En dix jours beaucoup de nouvelles politiques et militaires. Tout commence la veille de ma dernière lettre, le mercredi 1er novembre. Blum, Daladier, ancien président du Conseil, et le général Gamelin, ancien commandant en chef des armées françaises, sont internés par le gouvernement de Vichy dans un fort des Pyrénées. Je précise que tous les trois étaient arrêtés depuis l’été 1940.
Jeudi, ce même gouvernement a annoncé le retrait des responsabilités du général Weygand en Afrique du nord, cela en réponse aux pressions des autorités allemandes. Le lendemain le général Weygand est mis à la retraite d’office à la demande des autorités allemandes.
Jeudi 11 décembre 1941
Depuis quelques temps mes lettres sont de véritable billets d’information que personne ne lit, tellement elles sont courtes. Cela dit, elles correspondent à leur temps. D’écrire entre ses lignes me permet de m’évader un peu. Je m’auto-censure afin de me protéger mais pour combien de temps encore ? D’autant que les nouvelles de France ne sont pas vraiment bonnes. Je m’en explique : le lundi 1er décembre le maréchal Pétain a rencontré Goering à Saint Florentin (ne me demandez pas où c’est, j’ai cherché mais je n’ai pas trouvé) pour s’entretenir avec lui de l’avenir (tiens ! encore un mot qui résonne constamment dans ma tête : « avenir ». En avons nous un d’avenir ?) des relations franco-allemandes et l’intégration de la France dans « l’ordre nouveau » instauré par Hitler en Europe.
Jeudi 25 décembre 1941
C’est sans grand étonnement que le réveillon n’en était pas vraiment un. La pénurie continue. Et puis chaque membre de la famille est dans ses pensées. Je suis certaine que l’on pense tous à la même chose de manières différentes. Que doit-ont faire à part attendre ? Et, attendre quoi au fait ? J’espère que l’année 1942 sera meilleure. Remarquez que peut-on espérer d’autre, surtout à mon âge?
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