1942 : premiers engagements militaires - Chapitre 7
Jeudi 15 janvier 1942
Quinze jours que l’année a commencé, déjà quinze jours. Il me semble que c’était hier. J’ai eu le temps d’être informée qu’un délégué du général de Gaulle a été parachuté en zone libre, au début du mois. J’ignore son nom, enfin, son nom de code que mon frère, lui, connait. Mais, comme je n’appartiens pas au même réseau, il refuse de me le donner. Je serais bien tentée de le demander à René, même si je doute qu’il me le dise. Il y a peu, j’ai reçu un billet venant de Zone Occupée. J’ai été surprise qu’il me soit destiné. Je l’étais encore plus qu’il me soit parvenu. En date du 25 décembre dernier, il venait de loin. C’était Anna, ma cousine. Chez elle, en Zone Occupée, elle expliquait que les vivres commençaient à cruellement à manquer. Elle redoute les semaines à venir bien plus que moi, je n’en ai aucun doute. Une autre différence entre elle et moi, bien que nous ayons à quelques mois près le même âge : son père partage beaucoup de choses avec ma tante et elle. Je vais vous avouer que je ne trouve pas ça très prudent. D’autant qu’elle m’explique que la Gestapo est omniprésente dans sa région. Quand elle croise ses agents, elle m’explique qu’ils la regardent de façon, je cite « tellement.. bizarre ». Anna aussi a été informée de l’attaque de Pearl Harbor. Je n’ose pas imaginer ce qu’elle doit ressentir. J’ai également appris qu’il a quelques jours la RAF a effectué un raid en Bretagne, plus précisément sur le port de Brest. Je n’en connais pas l’enjeu militaire mais il y en a évidemment un.
Je n’ai pas pris de « bonnes résolutions » pour cette nouvelle année, c’est certain.
Mercredi 28 janvier 1942
Mes journées sont de plus en plus longues, et je peine très régulièrement maintenant à justifier mes retards à répétition. Ce soir maman et Ania étaient particulièrement inquiètes de ne pas me voir rentrer. D’ailleurs lorsque je suis rentrée sur les coups de vingt une heures trente passé, j’étais perdue dans mes pensées. Je ne me suis pas entendu fermer la porte derrière moi, ni maman qui me parlait. J’ai traversé le couloir sans un mot jusqu'à ma chambre. Je pense sans arrêt à la nouvelle de la journée : l’entretien entre les amiraux Darlan et Erich Reader, (Commandant en Chef de la Marine allemande depuis 1939) près de Corbeil, en banlieue parisienne.
Samedi 7 février 1942
Je suis tellement occupée par ces nombreuses activités de courrier, que je réalise mal l’inquiétude que portent mes proches à mon égard. En effet, ils ignorent tous qui je suis réellement maintenant. Du haut de mes 14 ans, je suis bien loin de l’image qu’ils se faisaient et se font encore de moi aujourd’hui. C’est certainement mieux ainsi.
Venons-en aux nouvelles politiques : la semaine dernière en zone occupée, à Paris, s’est tenu une manifestation au vélodrome d’hiver en faveur de la Légion des Volontaires Français. Cet évènement a été organisé par Deat, Doriot et Bonnard. Mais qui sont-ils ? Je ne le savais pas vraiment avant que René que j’ai entrevu et avec qui je suis allée boire un verre dans la rue de la République hier, me le dise. Quand je suis passée devant la plaque indiquant « Rue de la République » je me suis demandé un instant si, elle pouvait encore dignement porter ce nom. Oui même si j’ai grandi, même si j’ai mûri, j’ai toujours besoin de m’instruire. Il me semble que je me dois de vous présenter brièvement ces protagonistes : Deat, de son prénom Marcel, originaire d’une petite ville nivernaise est un ancien député et ancien ministre de l’Air. Je retiendrai qu’il est aujourd’hui collaborationniste. Doriot, lui, se prénomme Jacques. Originaire de l’Oise, il est ancien député de la Seine et actuel dirigeant du parti populaire français. Il est à présent devenu une figure de la collaboration. Bonnard, Abel Bonnard, maurrassien originaire de Poitiers, est l’actuel ministre de l’Éducation nationale. Il est lui aussi collaborateur notable.
Jeudi, la Royal Air Force, la RAF, a largué un peu plus d’un million de copies de deux tracts décrivant le programme d’armement américain sur huit agglomérations françaises occupées. Une petite lueur d’espoir dans mon coeur et ma tête de lyonnaise, le temps de quarante huit heures. Les mauvaises nouvelles rattrapent vite les bonnes. Bien trop vite à vrai dire. C’est bien connu, vieux comme le monde, il ne faut pas se réjouir trop vite. J’apprends à l’instant par mon frère que les autorités allemandes viennent aujourd’hui de publier une nouvelle ordonnance concernant le recensement des Juifs français en zone occupée. Que va-t-il se passer ensuite ? Que réserve l’avenir de la France qui à mes yeux n’existe déjà presque plus ? Je ne cache pas que je suis inquiète. Cependant je ne dois pas prendre peur, du moins pas maintenant. Anna aussi se pose cette question « Que sera notre avenir ?» A dire vrai, le sien est encore plus incertain que le nôtre. Quoi que … Je ne sais pas vraiment en fin de compte, en y réfléchissant bien.
Jeudi 19 février 1942
Il y a trois jours, le général Karl Heinrich Von Stülpnagel a été nommé à la tête des troupes allemandes en France occupée. Je vais peut-être paraître vulgaire et mal élevée, je le conçois, c’est d’ailleurs pour cela que je ne peux le dire qu’ici puisque personne ne me juge entre ces lignes : « Si ça ne tenait qu’à moi, je lui ferai bouffer son titre de général, sa particule et son statut hiérarchique ! Merde ! Sale Boch ! » Voilà c’est dit. Mon dieu que ça soulage ! Ça défoule en somme.
De nouveaux engagements militaires se confirment pour cette année 1942. En effet avant-hier, les Alliés, nos Alliés américains, ont débarqué un bataillon de civils entrainés militairement appelés Seabees ce qui signifie « abeilles de mer » à Bora-Bora, dans les îles de la Société, pour y installer un terrain d’aviation.
Enfin aujourd’hui s’ouvre le procès de Riom, qui a pour mission de juger les hommes politiques de la Troisième République rendus responsables de la défaite : Blum, Daladier, Gamelin dont j’avais parlé précédemment. On y ajoute aujourd’hui Reynaud, ancien président du Conseil qui avait démissionné en juin 1940, Jacomet et la Chambre.
Pour ma part, je poursuis mes études même si je suis moins en classe, je l’avoue sans trop de mal d’autant plus que je ne suis pas la seule dans ce cas. J’arrive encore à suivre. En parallèle je continue mes activités. Je déambule dans Lyon et ses environs au quotidien ! Le soutien de Lina m’est très précieux. Parfois je trouve que je ne suis pas assez reconnaissante en vers elle. Elle, qui a déjà vécu tellement de choses en l’espace d’à peine deux ans.
Vendredi 27 mars 1942
Plus d’un mois que je n’ai pas donné de mes nouvelles. Revenons tout d’abord au 28 février dernier. J’ai su par hasard que les ou des commandos britanniques ont organisé un raid sur Bruneval. Mais où se situe cette commune ? Jusque là, je l’ignorais. Je me suis donc empressée d’aller demander l’atlas de maman en prétextant en avoir besoin pour un devoir de géographie. Maman le prête sans difficulté. Bruneval se situe donc en Seine-Maritime. Le but de ce raid était de prendre l’équipement du radar allemand et de le rapporter en Grande-Bretagne afin de pouvoir l’examiner. Cette opération a été un véritable succès. Ce qui pour moi est très important, me redonne foi en l’utilité de mes missions.
Il y a six jours le Führer a nommé Frank Sauckel (dont je n’avais jamais entendu parler jusque là) le Gauleiter de Thuringe, « plénipotentiaire du recrutement et l’emploi de la main-d’oeuvre », ce que l’on appelle le STO qui vient d’être créé ce mois-ci. Quand on y pense, heureusement que mon frère n’est pas encore en âge de devoir y aller. Je dois tout de même vous avouer que je ne savais guère ce que signifie « plénipotentiaire ». C’était la première fois que ce mot qui me paraissait étrange résonnait dans mes oreilles et sortant de la bouche de Raymond. J’ai même pensé instant que c’était un gros mot. Alors que signifie enfin ce mot qui m’était jusqu'à présent totalement méconnu ? « Plénipotentiaire » désigne un agent diplomatique ayant également les pleins pouvoirs.
Autre information, mais information dont la source n’est pas certaine puisqu’il s’agit de mon frère mais pas du même mouvement que le mien. Il semblerait qu’un régiment d’infanterie américain aurait, je dis bien aurait, débarqué à Bora-Bora.
Ces derniers temps, je constate que de nombreuses actions militaires se réalisent, ce qui confirme des engagements militaires mais aussi politiques. Serge nous a informés qu’il a appris qu’une rencontre secrète entre deux hommes politiques du gouvernement de Vichy avait eu lieu hier dans la forêt de Randan, si je ne me trompe pas de nom. Par contre, on ignore qui a rencontré qui.
Lundi 30 mars 1942
Il s’en est passé bien des choses en trois jours ! Pour commencer, dans la nuit du 27 au 28 mars dernier, 241 hommes d’un commando britannique sont parvenus à détruire l’écluse de la cale sèche du port de Saint-Nazaire, la seule de la côte atlantique en mesure de recevoir les cuirassés de la classe du Tripitz. D’après ce que l’on m’a raconté, la méthode fut audacieuse voire périlleuse puisqu’elle s’apparentait à une sorte de mission suicide. Je m’en explique. Il s’agissait d’un destroyer bourré d’explosifs, le Campbeltown, qui devait éperonner l’écluse et faire sauter celle-ci à retardement.
Pour finir ce « billet », si l’on peut appeler cela un « billet », hier le Major Cecil B. Lessing est devenu un « héros » - puisque premier pilote de la huitième US Air Force - en effectuant une mission opérationnelle aux commandes d’un Spitfire mark VB du escadron 64 du RAF Fighter command.
Sur ce, il est très tard je vais donc me coucher. J’espère pouvoir donner quelques nouvelles très prochainement.
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