Intensification de la répression - Chapitre 14

7 minutes de lecture

Lundi 29 mars 1943

Depuis janvier et en raison de l’intensification de la répression, je n’ai pas trouvé le temps d’écrire. Il ne m’est rien arrivé de grave pour autant. J’entends par grave : arrestation, maladie… C’est que maman n’est pas revenue. Et je dois m’occuper de ma sœur. En effet désormais, c’est moi la « maîtresse de maison », si je peux dans cette période trouble me définir ainsi. Ania est toujours avec moi, ce qui ne me permet pas d’être aussi active qu’avant. Peut-être que c’est mieux ainsi finalement avec le recul. Elle me sert de couverture. Cependant mon frère me dit que nous devons absolument nous séparer, déménager chacun de notre côté et confier notre petite soeur à un centre de l’OSE_. Au moins Ania serait à l’abri.

Déménager. Reste à savoir, pour aller où ? Le climat d’insécurité se fait de plus en plus ressentir ces derniers temps. À 16 ans, j’ai pris énormément de recul depuis que je n’ai plus de nouvelles de nos parents.

L’inquiétude a fait place à désillusion. Par moment j’aurai envie d’avoir l’insouciance de ma si petite sœur .

Ici à Lyon comme dans beaucoup d’endroits en France, la répression se fait de plus en plus ressentir. Dans le courant du mois de février, j’ai reçu un certain nombre de télégrammes normands. Ils partaient tous des environs de Colleville sur Mer.

Klaus Barbie, un soldat allemand qui était, en 1941 au Pays-Bas, a été nommé dans le courant du mois dernier chef de la Gestapo lyonnaise.

Ici, les traboules me sont de plus en plus précieuses, en « sécurité » mais jamais vraiment lorsque je les emprunte. Je les connais toutes sur le bout des doigts. Je les traverse au quotidien le cœur battant. Ces endroits qui pourtant autrefois étaient si paisibles, si agréables à traverser, ne le sont plus vraiment. J’y dépose et récupère discrètement le courrier lorsque Angélique ne peut le faire, mais pas seulement. J’aurais aimé donner plus de détails, mais cela ne serait vraiment pas prudent. En écrivant, je ressens à la fois une liberté relative et une angoisse. C’est étrange non ?

Début février, j’ai appris par Madeleine que les fréquences de patrouilles ont augmenté en Normandie. Nous avons toutes deux appris la défaite allemande lors d’une importante bataille en Union Soviétique. Il s’agit de la capitulation du 11e corps d’armée allemand dans le quartier d’Aleksandrova. Elle met fin à la bataille de Stalingrad. 90.000 soldats allemands ont été faits prisonniers par l’armée Rouge et envoyés à pied en Sibérie.

Le 2 février dernier, une foule a fleurit la tombe de deux hommes tués par les Allemands et le 9, 80 juifs ont été arrêtés dans le local de l’U.G.I.F. ou travaille (travaillait ?) maman. Je suis très inquiète, ne sachant si elle a été emmenée par la même occasion.

Ah oui, j’allais oublier, le 30 janvier, la veille de ma dernière « lettre », le vote de la loi n°63 a permis la création d’une milice. Joseph Darnand a été nommé secrétaire général, et Bout de l’An (dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à ce jour, du moins dans mon souvenir) est son adjoint. Je crois que c’est tout pour aujourd’hui. J’ai essayé du mieux que je pouvais de faire un petit résumé.

Enfin, il y a trois jours, Laval a modifié son gouvernement afin de renforcer son pouvoir. Ce qui nous met encore un peu plus dans l’incertitude.

Vendredi 30 avril 1943

Un mois et un jour que je n’ai pas donné de nouvelles. Trop occupée, je m’en excuse. Il y a 20 jours, j’ai eu 16 ans. 16 ans mais j’ai l’impression d’en avoir au moins 20 de plus. Concernant la « Résistance », il semblerait que ça commence à s’organiser avec la création du SNM_ par Nef, dirigé par un certain Michel Brault.

Hier, Hitler aurait rencontré Laval à Berchtengaden que l’on surnomme en français « la tanière du loup ».

Le 6 avril, Joseph Lécussan est nommé chef de la milice française de la région lyonnaise, collaborant avec la Gestapo et dès le 10 le tribunal d’Etat de Lyon condamne 20 militants Combat et Franc Tireur à des peines de prison. Je sais que mon frère fait partie de ces 20 militants. Je ne peux pas agir. Et Maman et papa ne sont pas revenus. Heureusement qu’Ania est à l’abri.

Lundi 10 mai 1943

Peu de temps pour moi même lorsque je ne me déplace pas, quand je n’ai aucun message à coder ou décoder. J’essaye au maximum de profiter des instants à partager avec Ania. Je tente de la rassurer tant bien que mal alors que moi-même je ne le suis pas. C’est extrêmement dur pour moi.

Le 28 du mois dernier, un camarade de mon frère s’est fait arrêter, ce qui me met dans une position délicate sachant que Maxime a réussi à s’échapper.

Lundi 31 mai 1943

On vient de faire un grand pas dans la lutte. En effet, il y a quelques jours s’est tenue une des plus importantes réunions à Paris. Du peu que j’en sache tout cela marque un tournant positif pour nous.

J’ai aussi appris que le général de Gaulle avait quitté Londres pour l’Afrique du Nord.

Mardi 1er juin 1943

Au fil du temps, j’ai l’impression d’être moi sans vraiment l’être. Ces derniers temps, j’ai dû me remettre en question en raison de la situation. Je ne me sens pas tout à fait à ma place. Comme beaucoup je pense, je n’ai pas le temps d’avoir peur même si la répression continue à s’intensifier. Même s’il est vrai qu’ici à Lyon, elle s’était déjà intensifiée à la fin de l’hiver.

Je sens bien qu’Ania est triste. Pourtant, elle se confie beaucoup moins qu’avant. Elle aussi grandit bien trop vite à mon goût. En même temps les circonstances n’y sont pas étrangères.

Mercredi 9 juin 1943

Voilà six mois passés que je n’ai pas revu mon père et que je n’ai plus aucune nouvelle de lui. Et autant de temps que les Allemands ont franchi la ligne de démarcation.

Il y a peu, j’ai reçu un billet personnel datant du mois de mars. Il venait de Normandie. C’était Madeleine : elle me disait qu’en Zone Nord la répression s’intensifiait aussi et qu’un soir à une heure tardive elle s’était faite contrôler. Après tout ce que m’avait raconté Angélique dans le passé, j’ai senti mon ventre se nouer d’inquiétude. Je n’ose pas lui écrire pour lui demander plus de détails sur ce contrôle.

Vendredi 18 juin 1943

Voilà trois ans jour pour jour que le général de Gaulle a appelé à continuer le combat où que nous soyons. Un espoir, peut-être de trop, renait en moi en apprenant les derniers évènements de résistance dans le pays mais aussi et surtout du fait que les Alliés contrôlent maintenant la totalité du détroit de Sicile. Dans notre région, des groupes de la résistance ont notamment effectués une opération de sabotage à l’usine Michelin de Clermont-Ferrand avec des agents britanniques. Par ailleurs, j’ai appris que des actions en vue d’une libération prochaine sont en cours en Afrique du Nord. Je n’en sais pas plus pour le moment. Avec tout ça, je traverse toujours et quotidiennement la ville de long en large. Les absences de Rex et la création du CNR le 27 mai dernier à Paris n’arrangent rien car toute l’équipe d’Alain l’a suivi.

Je suis plus sereine aussi car j’ai pu mettre Ania à l’abri depuis mercredi. Je sais que ma petite sœur est entre de bonnes mains. Le soir en fin de journée lorsque j’ai le ventre serré, c’est surtout parce que je pense à mes parents. Où sont-ils ? Sont-ils encore en vie ? Ces questions m’obsèdent, surtout au moment de m’endormir. Je ne suis même pas sûre de vraiment dormir… Quoi qu’il en soit, ce n’est ni le moment ni l’endroit de rentrer dans un débat philosophique. Cependant en l’absence de toutes personnes de ma famille je me sens seule sans vraiment l’être. Du moins, je me sens un peu isolée. Une autre chose vient de me traverser l’esprit. Que ressentirait Ania si en plus de la disparition des parents, mon frère et moi disparaissions aussi ? Alain, bien que Rex le lui avait déconseillé, est arrivé à Lyon pour des rendez-vous. La bonne nouvelle c’est qu’il a nommé un nouveau chef pour la Zone Sud. Il faut à tout prix que je prenne contact avec lui alors qu’à ce jour j’ignore tout de sa situation.

Mercredi 30 juin 1943

Encore un mois qui se termine. La chaleur est si présente, comme chaque année à Lyon. Je retrouve une part de plaisir à déambuler à travers les traboules, même si je préfèrerais m’y promener pour toute autre raison. Lorsque j’y passe, toujours sur mes gardes, je revois défiler dans ma tête des souvenirs d’enfance pêle-mêle avec mon frère.

Avec l’arrestation de Vidal en début du mois au métro La Muette à Paris et de Rex il y a quelques jours, je dois avouer que cela m’a porté un coup au moral. De toute façon quand y a une « bonne » nouvelle c’est toujours dans une avalanche de mauvaises. On finit par s’y faire, sinon cela ferait longtemps que nous aurions tous baissé les bras. Etrangement, cette baisse de moral peut paraître paradoxale puisque je sais alors encore plus pourquoi je fais de tels choix, et cela renforce donc ma détermination bien que les liaisons sont difficiles.

C’est toujours le nouvel homologue de Germain qui me donne ce genre d’informations depuis que Germain a suivi l’équipe d’Alain. Pendant cette deuxième moitié du mois de juin, le rythme de mes missions s’intensifie.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Lucie Sophie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0