Un gueuleton en enfer

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Il le trouvait beau à cet instant. La peau blanche, presque livide. Submergé, regardant le ciel comme on le fait d’un parent. Puis, une ombre s’abattît sur lui telle une nuit sans lune. Il vit alors l’entièreté de son compagnon être écrasé sous le poids d’une main de la taille de dix hommes. Celle-ci se retira avec lenteur, pour ne laisser sur le sol qu’une bouillie écarlate. Il pouvait encore y distinguer quelques fragments d’os, de ce qui fut encore son camarade quelques secondes plus tôt. Poussé à reprendre ses esprits par la fuite hors de son corps de ces derniers, il prit ses jambes à son cou pour les rattraper. Au même moment, ladite main transperça l’air en un mouvement circulaire pour le saisir. Mais l’instinct chevillé au corps, il l’esquiva en une roulade maladroite, se cognant et s’ouvrant les genoux sur la terre rocailleuse. Il se releva avec empressement et s’enfuit à travers la plaine, comme le font les proies face à la mort qui court bouche ouverte. Il sentit dans son dos son poursuivant accélérer, faisant se dresser chaque poils de son corps transpirant. Chacun de ses pas faisait trembler la terre et se répercutait dans toute son ossature, menaçant de la faire craquer sous les vibrations. Face à lui, une étendue, avec tout ce qu’elle comporte comme vide. Et nul part où se cacher. Après une course effrénée, il sentit sa jambe prise dans un étau et être soulevée du sol. Il finit au niveau d’un visage émacié, arborant un sourire à la fois rieur et carnassier, et dont le souffle chaud qui s’en dégageait le narguait avec nonchalance. Le regard de cet être aux trois yeux de couleurs différentes le déshabillait, tandis que son aura toute entière l’enveloppait d’une chape de terreur aux caprices gourmands. Il le rapprocha doucement au dessus de sa mâchoire, et son sourire se changea en un puit sans fond, faisant des quelques mètres qui l’en séparait, l’unité de mesure de l’enfer. Le pauvre humain pendu par le pied, contempla cette abîme où venait s’enfoncer ses gouttes de sueur. Il tenta d’en saisir la profondeur, mais l’obscurité qui y régnait rendait la tâche aussi aisée qu’attraper du brouillard. Puis, il cessa de respirer au moment où la créature le lâcha.

Il plongea dans la gorge du monstre comme un poids mort dans l’eau. À mesure qu’il dégringolait, la lumière s’éloignait comme un mouchoir blanc sur un quai, que le soleil remuait dans un adieu définitif. Il tenta vainement de se raccrocher aux parois de cette trachée sans fin, mais celle-ci paraissait s’agrandir plus il tombait. La descente lui parût longue. Éternelle. Tel un chemin de croix dans le noir total. Il ne trouvait de soutient que dans la résistance de l’air, faible support le devançant dans sa chute. Il se senti presque ridicule à gesticuler dans le vide. Il hurla longtemps. Suffisamment pour toucher du doigt l’absurdité cinglante de s’observer mourir. Et au bout d’un temps dont il avait perdu la notion, il aperçu un halo rouge au fond du gouffre. Plus il s’en rapprochait, et plus ce dernier s’intensifiait, l’éblouissant puissamment. Il se l’imaginait comme le centre du monde, fait d’une lave incandescente et opaque. Prête à l’accueillir mollement. Lorsqu’il atteignit la source lumineuse, le point d’impact céda sous son poids, et alors qu’il croyait mourir enfin, une brûlure insoutenable le saisit dans tout son être. Il lui sembla prendre un bain d’eau bouillante. Il se mit à s’agiter en tout sens, ses mouvements n’ayant d’autre possibilités que de réagir à l’extrême douleur. Et plus il se débattait, plus sa peau fondante se détachait par morceaux. Il réussit à sortir la tête hors de l’eau, et quand il pensa respirer de l’air, un vent tout de braise l’envahit jusqu’au ventre. Il n’était plus que souffrance. Il tentait de garder le visage hors de l’eau, et sa nage paniquée faisait jaillir des filets de ce feu liquide jusque’à lui, agissant comme de l’acide au contact des yeux. Il réussit néanmoins à distinguer une berge au loin sur laquelle se tenait une silhouette féminine, et qui le regardait de ses trois yeux. Et au moment où il tentait de comprendre, il se sentit saisi par la cheville et transporté d’un puissant mouvement continu dans les profondeurs.

Il ne se débattait plus. La douleur ne l’avait pas quittée, mais avait laissé place au détachement salutaire des âmes en peine. Après s’être enfoncé de plusieurs dizaines de mètres, une sensation inattendue de fraicheur l’étreignit. La chaleur se dissipa et l’environnement liquide se mua en une gelée bleue, avant de terminer sa métamorphose en pierre froide et scintillante aux reflets azurés. Il se retrouva allongé, dans cette nouvelle caverne lumineuse. Il émergea difficilement, et sentit la totalité de son corps engourdi. Il sursauta en repensant à sa cheville et tourna son regard pour découvrir celui qui l’avait saisie. Il se retrouva face à un homme au visage tuméfié, couvert de pustules, dont l’un des yeux était occulté par la paupière fondue, recouvrant le globe oculaire. Celui-ci lui souriait sincèrement. Il ne put retenir un cri en constatant les mêmes abcès sur son corps aux endroits où sa peau n’avait tout simplement pas disparue, laissant derrière elle le squelette visible. Étrangement, les parties à vifs qui auraient du le faire sauter de douleur ne lui causaient aucun mal. Les os apparents étaient tapissés d’une pellicule bleutée, formant comme une protection. Son attention fut ramené à l’homme qui le secoua par la cheville:

- Ca va ? Lui demanda-t-il.

La question, à la fois simple et spontanée, le désarçonna tant elle contrastait avec l’absurde violence dont il venait à peine de s’extirper. Cette légèreté l’atteignit comme une lame dans un ventre tendre. Il ne sut que répondre, et l’autre l’invita alors à le suivre. Ils traversèrent de longs couloirs, éclairés par les pierres qui composaient les murs, et dont les rayons bleus rappelaient curieusement la fine couche recouvrant ses os. Il en profita pour analyser cet être étrange. Il ne lui restait de sa condition d’homme que sa silhouette, et de son lien avec la vie que son sourire, le reste n’était plus que croûtes, pustules et plaies béantes. Il tenait une poupée par la jambe, qui disposait de trois boutons de couleurs différentes à l’endroit du visage.

Il lui fit parcourir de nombreux couloirs. À aucun moment le nouveau guide ne montra le moindre doute quant à la route à suivre. Il avançait pareille à une ombre, épousant la forme du sol et se contorsionnant au rythme de son relief. Il caressait les parois comme pour en capturer l’odeur, ayant l’air de vouloir se fondre dans l’environnement. Soudainement, il stoppa net son avancée, dans cette posture tendue qui présage un danger. Il montra du doigt un coin de mur où se mouvait une créature étonnante. De la taille d’un chat, on eut dit un félin mais sans la queue. Ses grandes oreilles pendaient et se balançaient au gré de ses déplacement, comme si elles ne contenaient aucun cartilage. Ces dernières se laissaient devancer par un museau en biseau, surmonté de trois yeux vairons. Il se tenait sur quatre courtes pattes qui lui donnaient un air pataud. Il pouvait adhérer au mur, tel un insecte égaré dans le corps d’un mammifère. Il reniflait délicatement le sol avant de se figer truffe en l’air. D’un mouvement sec, ses longues oreilles pendantes s’étaient emplies de vie en remontant brusquement à la verticale, comme tenues par des muscles invisibles. Puis il tourna lentement sa tête vers eux. Le silence qui résonnait entre ces trois êtres se fixant, glaça le sang des deux hommes. Une aura très particulière se dégageait de cet animal. Celui-ci brisa le silence en un cri monstrueux. Le ventre des deux humains se retourna et tout le reste de leur anatomie leur somma de fuir. Ce qu’ils firent sans demander leur reste, tandis que l’animal les poursuivait en mugissant. Ils se cognaient souvent aux parois de la grotte dans leur course, faisant éclater leurs furoncles qui laissaient alors des traces entre le sang et le pus. Cela attirait la créature qui léchait sur son passage toutes empreintes laissées par les fuyards. Aucuns de ces couloirs ne s’avéraient déboucher sur autre chose qu’un autre couloir. Les pierres bleutées incrustées dans les murs continuaient d’illuminer leur course et participaient presque à les rassurer. Soudain, l’homme à la poupée se coinça le pied dans une fissure au sol, et se rompit la cheville en tombant. Il poussa un cri d’outre-tombe avant d’être rattrapé par la bête qui l’attaqua directement à la gorge. Elle y planta son museau, et ses oreilles se mirent à tournoyer, déchiquetant le cou du malheureux qui s’éteignit dans un râle étouffé. L’autre faillit vomir d’écoeurement, lorsqu’il il vit la poupée que tenait son nouveau et déjà ancien compagnon prendre vie, se défaire des doigts qui l’entravaient et se mettre à courir dans sa direction. Elle lui passa sous les jambes sans même un regard. Il la suivit sans trop se poser de questions et parcouru le reste du chemin qui les fit sortir de cette caverne infernale.

Ils débouchèrent sur une forêt dense toute faite de lianes et de feuillages touffus. Il en exhalait une odeur pestilentielle, une émanation d’organe pourri qui lui fit vomir la bile qu’il avait retenu quelques instants plus tôt. À y regarder de plus près, ses plantes grimpantes ressemblaient presque à des boyaux. Il suivit la poupée jusqu’à un arbre donc le tronc était suffisamment creusé pour les faire rentrer à deux. Là, il s’assirent sans un mot. L’homme jeta un regard de biais à cette étrange figurine. Ce qu’il avait prit pour un jouet était en fait un être organique. Sa peau était lisse, d’une couleur marron clair et ne présentait aucune aspérité. Ses bras, ses jambes et son buste étaient d’une épaisseur égale, donnant l’impression d’un entrecroisement de saucisses. Ses trois yeux se mouvaient indépendamment les uns des autres, ce qui lui permettait à la fois de surveiller l’entrée de l’arbre, d’analyser son environnement et d’observer l’humain. Ce dernier le fixait intensément, presque amorphe. Le silence fut rompu par un gargouillement. Subitement, l’homme le saisit brusquement et le porta voracement à sa bouche, lui arrachant un bras. La poupée, toujours enserrée dans la main de cette humain devenu avide de chair, tendit son membre amputé vers la gorge du géant qui mâchonnait goulûment. Le moignon s’agrandit soudainement et se mua en pointe qui alla se loger directement dans sa trachée, faisant jaillir du sang par gros paquets noirâtres. L’humain, comme s’il n’avait pas senti s’ouvrir son cou, continuait d’ingurgiter le bras devenu une pâte savoureuse, presque sucrée. Il salivait et se réjouissait du festin. Et tout en se vidant de son sang, bouchée après bouchée, il se mit à penser:

Ça a quand même bon goût la vie.

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