Chapitre 5 - Nicolas

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Novembre 2008 (vacances de la Toussaint)

Depuis quelques jours, Louise et ses frères étaient chez Mathie. A chaque période de congés, les deux garçons aimaient quitter Clermont-Ferrand, et se ressourcer dans la montagne. A la belle saison, ils en profitaient pour passer du temps dehors, à randonner. En hiver, ils poussaient jusqu’à une station de ski où ils retrouvaient des amis pour quelques heures de glisse. Mais par-dessus tout, ils tenaient à passer du temps avec leur père et leur grand-mère. Pour cette dernière, ils savaient que c’était important. Que cela ne durerait pas éternellement, et qu’un jour viendrait où elle ne serait plus là pour leur mitonner de bons petits plats et les affubler de surnoms démodés.

Louise avait suivi le mouvement, ils ne lui avaient pas vraiment laissé le choix à vrai dire. Silencieuse comme toujours, elle avait préparé ses affaires et celles de son chien, était montée dans la voiture quand on lui avait annoncé l’heure du départ, s’était installée dans la chambre préparée par Mathie – meubles cirés, draps frais et oreiller de plume. Comme à l’appartement, elle vivait en silence, semblait se faire toute petite, de sorte qu’on la remarque le moins possible. Elle ne s’animait que dehors, quand elle sortait avec Attila. Nicolas l’avait parfois accompagnée, lorsqu’elle avait accepté. Il n'aimait pas tellement courir, mais il avait pris son vélo pour les suivre dans leurs longues promenades, jusqu’au parc Montjuzet où Louise semblait se transformer. A l’écart des aires de jeux pour enfants, sur une hauteur près du petit bois, elle détachait son chien et jouait avec lui, lançant un bâton qu’il lui ramenait inlassablement. Dans ces moments-là, Louise souriait, elle parlait, criait des encouragements à Attila, sautait de joie quand il parvenait à attraper au vol le bâton qu’elle lui lançait haut et loin. Elle avait l’air vivante. Joyeuse.

Nicolas soupira en voyant sa sœur sortir du jardin avec son chien, elle venait de refuser que Virgile et lui l’accompagnent. « Y’a pas de vélo ici, vous allez nous retarder… » avait-elle marmonné en enfilant ses baskets. Comme si c’était une course, qu’elle avait un objectif à atteindre. Comme s’ils étaient incapables de courir, aussi. De la suivre.

Les deux frères échangèrent un regard déconfit, s’affalèrent dans le canapé, désœuvrés. Mathie faisait sa sieste de début d’après-midi, et leur père allait s’enfermer dans son bureau pour travailler, comme chaque jour. Ils auraient pu aller marcher, le temps était agréable, mais le refus de leur sœur avait douché toutes leurs envies. Jean-Philippe passa la tête par la porte du salon :

« Ah, vous êtes là, les garçons. Louise n’est pas avec vous ?

_ Elle vient de sortir avec le chien.

_ Vous auriez pu aller avec elle. » Quasiment un reproche, comme à des gamins qui n’y auraient pas pensé tout seuls.

« Elle a pas voulu. » grogna Virgile, plus vexé encore que Nicolas.

Leur père soupira et s’assit face à eux sur le petit fauteuil de Mathie.

« Il va falloir qu’elle se calme, hein ! Elle fait tout le temps la tête, c’est insupportable. »

Virgile haussa un sourcil : « Ah ouais, insupportable ? Pour toi, bien tranquille ici, ou pour nous ? C’est pas toi qui te coltines sa mauvaise humeur et son absence d’enthousiasme, je te signale.

_ V., arrête… » tenta mollement Nicolas.

« Non, mais c’est vrai ! Ose me dire que j’ai tort, Nico ?

_ Elle est comme ça tout le temps ? » demanda encore Jean-Philippe.

Nicolas se leva du canapé pour leur faire face à tous les deux : « Oui, elle est comme ça tout le temps. En même temps, ça fait pas quinze jours qu’elle est là. Elle vient de passer sept ans avec sa mère, et allez savoir ce qu’Héléna lui a raconté sur nous ? On l’a déracinée, là. La seule constante dans sa vie, c’est son chien. Alors c’est normal qu’elle veuille du temps avec lui pour vivre leur vie tous les deux.

_ Oui, enfin elle pourrait montrer qu’elle est contente de nous revoir, quand même… » lâcha leur père. « Parce que là, c’est pas flagrant. Et ça fait souffrir Mathie.

_ Mathie va faire comme nous Papa, et prendre son mal en patience. Encore une fois, Louise est déracinée. Ça a été soudain, peut-être violent, à aucun moment elle n’a eu le choix. Elle aussi, elle souffre. Et sans doute plus que nous. Honnêtement, il lui faudrait un bon suivi avec un psy. Mais tu aurais vu sa tête quand j’en ai parlé… »

Virgile et Jean-Philippe le regardaient, sans trop savoir comment répondre à ce plaidoyer en faveur de Louise. Ils devaient bien avouer que Nicolas n’avait pas tort.

« Certes… » soupira le père. « Mais son attitude reste…

_ Difficile à vivre. » compléta Virgile.

« Je sais bien. Juste… Laissez-lui un peu de temps, d’accord ? La semaine prochaine elle retourne au lycée, c’est encore un changement, ça doit la travailler aussi… Laissez-lui du temps pour s’acclimater, pour nous retrouver… Virgile ça te tente une rando demain ? Ils annoncent du beau temps. Je voudrais emmener Louise. Ça lui plairait sans doute, de se dépenser.

_ Pourquoi pas. On peut essayer, en tout cas. T’appelles Gauthier pour lui proposer ?

_Nan V., juste nous trois. »

Quelle idée, inviter leur ami ! Et puis quoi, encore…

Il avait fallu insister un peu, mais Louise n’avait pas refusé au premier abord d’aller randonner avec eux. Elle avait seulement dit qu’elle n’aimait pas marcher.

« Tu passes ton temps à courir, pourtant ! » s’étonna Virgile.

Il n’eut pour réponse qu’un froncement de sourcils et une moue boudeuse.

« Allez, Lou… » insista Nicolas. « Passer la journée en montagne, c’est vraiment chouette. Et je suis sûr que ça plairait à Attila, de se dépenser au grand air. »

L’argument fit son chemin, et elle accepta finalement de partir avec eux le lendemain matin. Virgile portait un sac à dos contenant leur repas du midi, de l’eau et une petite trousse de secours. Nicolas et lui avaient enfilé leurs chaussures de marche, Louise ne disposait que de ses baskets habituelles. Virgile était sceptique à ce sujet, mais Nicolas lui assura : « Ça ira, pour aujourd’hui. C’est quasiment que du chemin à touristes, ce qu’on a prévu. Mais si ça te plait, Lou, on t’achètera une paire de chaussures de montagne pour les prochaines fois. »

Attila sentait que quelque chose d’inhabituel se préparait, et ne cessait de s’asseoir et de se lever, de tourner autour d’eux, fouettant l’air de sa queue enthousiaste.

Les deux garçons devisaient calmement en marchant, Louise les suivait en silence avec Attila. Mais Nicolas et Virgile ne perdaient pas une occasion de solliciter son attention, que ce soit pour s’assurer qu’elle n’était pas fatiguée, lui demander si elle avait soif, lui expliquer comment fonctionnait le balisage du chemin qu’ils empruntaient…

Ils n’avaient pas toujours de réponses, mais elle écoutait. Et pour ce qui était du tracé de leur parcours, elle semblait même intéressée.

« Ça veut dire quoi, les couleurs ?

_ C’est un code, pour dire qu’on suit toujours le même sentier. Parfois, on croise d’autres itinéraires, il y aura d’autres couleurs. » expliqua patiemment Virgile. Nicolas se doutait que la question lui était plutôt adressée, mais avait laissé son frère répondre, histoire de pousser Louise à avoir avec leur aîné des relations plus cordiales que les regards noirs qu’elle lui décochait dès qu’il osait lui adresser la parole. Cela prendrait le temps qu’il faudrait mais il en faisait une affaire personnelle : Louise allait retrouver sa place dans la famille. En attendant, elle marchait d’un bon pas. Pas le moins du monde essoufflée, elle respirait longuement et profondément, et semblait prendre du plaisir à l’exercice. Son visage était ouvert, pas aussi joyeux que lorsqu’elle courait avec Attila, mais tout de même apaisé.

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