Chapitre 14 - Virgile

7 minutes de lecture

Toute la journée, Virgile avait surveillé sa sœur. Il voulait s’assurer qu’elle ne fatiguait pas trop, qu’elle appréciait la marche. Et puis il voulait aussi éviter que les gars ne l’approchent, même par mégarde. Gauthier avait l’habitude, il commençait à la connaitre un peu et il lui laissait de l’espace, il la laissait tranquille quand elle n’avait pas envie de parler. Alexandre, par contre, n’avait pas semblé ravi de la voir sortir de la voiture ce matin. Il n’avait rien dit, mais Virgile avait senti comme un malaise. Alors il avait veillé à ce qu’Alex ne fasse pas d’impair. Pas envie de gérer une crise au milieu de nulle part, de voir Louise partir en courant avec son chien dans la montagne – elle en était capable, il en était certain… Et puis à midi, Clément les avait rejoints avec sa chienne husky, Winnie. Les chiens s’étaient acceptés au premier regard, et le reste de la journée, Clément et Louise avaient marché ensemble. Clément était calme et posé, il n’était pas un grand bavard en randonnée et se contentait de marcher en surveillant les chiens. Louise ne semblait pas mal à l’aise en sa présence, seulement silencieuse et sur ses gardes. Virgile était plutôt rassuré. Bon, tout pouvait basculer en une fraction de seconde, avec Louise, il le savait bien… mais pour le moment, la situation semblait sous contrôle.

Lorsqu’ils trouvèrent un bon endroit pour bivouaquer, en fin de journée, il montra à sa sœur où et comment monter la tente qu’ils partageraient pour la nuit. Nico dormirait avec Gauthier, et Alex avec Clément. Louise l’aida à planter les sardines pour arrimer la toile, à tendre les ficelles, et il la laissa dérouler leurs tapis de sol et leurs duvets à l’intérieur. Pendant ce temps, il déballa le réchaud à gaz, et rassembla ustensiles et rations à cuisiner. Il surveillait le repas, quand Louise vint le trouver.

« Ça va, Lou ? Tu as besoin de quelque chose ?

_ Comment on fait pour… euh…

_ Les toilettes ? » demanda-t-il pudiquement.

« Mais nan, c’est bon, j’ai compris ça : il faut trouver un bosquet ou un rocher, c’est pas dur. Mais pour l’eau, Virgile, comment on fait ? Ma gourde est vide.

_ Ah, prends-la, alors, et viens avec moi. »

Il l’accompagna jusqu’au ruisseau qu’ils avaient traversé peu avant de s’arrêter pour monter le camp, et lui montra comment se servir du filtre pour purifier l’eau du petit torrent.

« C’est pratique. » nota-t-elle. « Mais ça marche vraiment ? L’eau est réellement potable, après ça ?

_ Oui, promis. Si tu prends de l’eau courante dans un torrent en montagne, c’est bon. Et si tu as un doute, si tu as pris de l’eau dans un lac, par exemple, on a des comprimés de chlore pour purifier l’eau après l’avoir filtrée, mais je préfère éviter, ça lui donne un goût… Tu peux aussi la faire bouillir, 10 minutes au moins, mais après faut attendre qu’elle refroidisse… »

Louise écoutait avec attention. En silence, comme toujours, mais elle s’intéressait à ce que Virgile lui expliquait : la purification de l’eau, la réglementation en matière de bivouac dans le parc régional des volcans d’Auvergne, les mesures de sécurité élémentaires… Il profitait de ces interactions qui semblaient presque normales, se repaissait des regards de sa sœur, de sa proximité, de ses petits hochements de tête. Il chérissait les questions qu’elle posait, les quelques mots qui sortaient de sa bouche, comme autant de cadeaux après tant d’années de séparation. Le traumatisme de la disparition de Louise n’était pas encore effacé. Parfois, il se réveillait en se demandant s’il avait rêvé, ou si elle était vraiment de retour. Il devait alors aller vérifier la présence des baskets abandonnées dans l’entrée, de la laisse du chien accrochée au radiateur du couloir, pour se rassurer.

« Tu es prête, Lou ? On va pas tarder à se coucher.

_ Déjà ? Il est encore tôt… »

Virgile sourit : sa sœur se couchait habituellement assez tard, bien qu’il ignore ce qu’elle faisait de ses soirées. Ses devoirs, d’après Nicolas. C’est vrai qu’avec le temps qu’elle passait à promener Attila, matin et soir, il fallait bien qu’elle bosse à un moment ou à un autre…

« La nuit tombe, la température baisse, on sera mieux au chaud dans nos duvets. Et puis on a marché toute la journée, tu n’es pas fatiguée ? On doit se lever tôt demain, il faut que tout soit rangé pour huit heures. » expliqua-t-il.

Elle acquiesça en silence, siffla son chien, et le fit entrer sous la tente.

« Euh… t’es sure, Lou ? » Il n’avait pas vraiment prévu de dormir avec Attila… Attila qui ne lui faisait pas confiance, qui le prenait pour un ennemi, grognait dès qu’il s’approchait de lui ou de Louise, et aurait tout le loisir de l’égorger dans son sommeil. Charmante perspective…

« Ben oui, il dort avec moi. » répondit-elle comme si c’était une évidence tout en ôtant ses chaussures.

« Mets-les là, dans le coin. » lui montra Virgile en posant les siennes avec, capitulant pour la présence du chien.

Ils s’installèrent, lui d’un côté, Louise de l’autre, chacun dans son duvet. Attila s’allongea entre elle et la paroi de toile, et ne bougea plus. Il faisait sombre, une fois la lampe éteinte, et Virgile devait compter sur ses oreilles pour comprendre ce que faisait sa sœur. Elle gigotait dans son sac de couchage, manifestement. Il aurait bien profité du moment pour discuter, mais les autres tentes étaient proches, il n’avait pas envie que leurs amis entendent ce qu’ils pourraient se dire. Et puis, il fallait dormir, le matin viendrait vite.

« Bonne nuit, Lou, dors bien. » murmura-t-il dans le noir. Il ne s’attendait pas réellement à recevoir une réponse, et elle mit longtemps à arriver, mais sa sœur chuchota doucement « toi aussi ».

La nuit fut plutôt mouvementée, Virgile découvrit qu’un chien pouvait ronfler. Et Louise avait le sommeil agité. Elle gigotait dans son duvet, il reçut quelques coups de pieds hasardeux, pas bien forts heureusement puisqu’elle était comme entravée dans son sac de couchage étroit. Mais ce fut suffisant pour qu’au matin, il se sente aussi peu reposé que la veille en s’endormant. Ses amis ne manquèrent pas de lui faire remarquer, d’ailleurs, se moquant gentiment de lui. Il supporta leurs sarcasmes, tout ce qui lui importait c’est que Louise ait bien dormi. Et c’est ce qu’elle lui avait assuré, lorsqu’il avait posé la question. Il avait bien des doutes - comment dire qu’on a bien dormi, quand on a bougé et gémi une partie de la nuit, comme assaillie par de mauvais rêves – mais puisqu’elle le disait… Elle n’avait pas l’air plus fatiguée que les autres matins, et de toute façon le moment était mal choisi pour tenter de la faire parler, entourés qu’ils étaient de leurs amis. Louise n’était pas en confiance avec ces quasi-inconnus, et ne se confierait pas.

« L’eau est chaude les gars ! Ramenez vos tasses ! » braillait Gauthier qui surveillait la casserole. Tous allèrent se servir une rasade d’eau bouillante sur une cuillère de café soluble.

« Louloute ?

_ J’aime pas le café. » grogna-t-elle, boudeuse. Elle buvait habituellement du chocolat chaud. Elle n’avait pas pensé à demander à ses frères comment se passeraient les repas, et eux avaient totalement zappé le petit-déjeuner de leur sœur. Elle posa sur le sol près d’elle sa tasse vide, et se concentra sur son pain.

« Tiens, Loulou : Clément a fait du thé. » lui dit Gauthier en s’agenouillant près d’elle, une petite casserole à la main. Il remplit sa tasse d’un thé foncé et parfumé. Louise apprécia de se réchauffer les mains autour, mais l’odeur ne lui disait rien qui vaille. Elle trempa ses lèvres dans la boisson, manqua de se bruler la langue au passage, et grimaça en trouvant le thé amer.

« Il y a du sucre, si tu veux. » proposa encore son voisin. Le regard noir qu’il récolta pour toute réponse le fit battre en retraite, et il la laissa boire son thé trop fort, non sucré.

Une fois le petit déjeuner avalé, ils replièrent les tentes, chargèrent les sacs à dos, et il n’était pas encore huit heures lorsqu’ils se remirent en marche. Louise frissonnait un peu, l’herbe était humide de rosée et le soleil ne réchauffait pas encore l’atmosphère.

La journée passa vite, comme la veille. Les garçons appréciaient de retrouver leur loisir, Louise découvrait le plaisir de la marche au grand air, et Attila semblait aimer fureter à la recherche d’une odeur alléchante. Jusque-là il ne s’était jamais trop éloigné de Louise, mais à un moment dans la matinée, il trouva une piste intéressante, et fila ventre à terre. Winnie tenta de le suivre mais fut rappelée aussitôt à l’ordre par Clément : « Winnie, au pied ! Louise, rappelle ton chien, faut pas qu’il la chope, sa bestiole, surtout !

_ Til ! » Elle le siffla, et il réapparut quelques secondes plus tard, vint se coller à sa jambe. « Pourquoi ? » demanda-t-elle en regardant Clément : où était le mal, s’il attrapait un lapin ?

« C’est considéré comme du braconnage. Tu risques gros, si on le voit faire. Et je te raconte pas si c’est un mouton qu’il attrape. Les éleveurs ne rigolent pas avec ça. D’ailleurs, il ressemble un peu trop à un loup pour son bien, Attila… Tu devrais lui mettre un collier plus voyant.

_ Ben qu’est-ce que tu lui reproches, à son collier ? » C’est qu’elle y tenait, au collier offert par son frère !

« Un truc de chasseur, genre orange fluo, tu vois. Qu’on voie bien que c’est un chien… Avec ton numéro de téléphone au marqueur indélébile. »

Elle regarda le collier de Winnie, qu’on ne pouvait effectivement pas rater, et promit d’en trouver un comme ça pour Attila. Clément lui conseilla un magasin où elle pourrait trouver ce genre d’articles.

Annotations

Vous aimez lire Miss Marple ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0