Chapitre 20 - Gauthier

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Gauthier était assis sur une chaise inconfortable, à côté du lit où Louise somnolait depuis que les infirmières l’avaient installée dans sa chambre. Après la radio, qui avait diagnostiqué une fracture du poignet comme l’avait pressenti Gauthier, Louise avait été plâtrée. Elle avait dans sa perfusion un calmant plutôt costaud, qui l’assommait littéralement. Une infirmière avait expliqué à Gauthier :

« Elle a fait une crise d’angoisse, on a dû lui donner de quoi la calmer… »

Il la regardait, peau caramel et tresses noires sur l’oreiller blanc, son bras mince plâtré, l’autre perfusé… Un pli barrait son front, et elle s’agitait par moments dans son demi-sommeil. Il aurait aimé lui prendre la main, mais se doutait qu’elle prendrait ce geste de soutien pour une agression.

Dire que la veille, ils avaient chahuté dans le torrent avec Attila ! Cela lui semblait si loin déjà...

Elle papillonna des paupières, fronça les sourcils en le regardant, marmonna « Gauthier ? » d’une voix un peu pâteuse.

« Je suis là, Loulou… Ça va ?

_ Nico ? Il est où, Nico ?

_ Il est sur la route, ne t’inquiète pas. Alex est parti le chercher. »

Elle ferma les yeux, mais il ne savait pas si c’était de dépit ou de soulagement. Puis elle les rouvrit :

« L’est qu’elle heure ?

_ Il est quasiment dix-huit heures. Ça va être l’heure du repas, bientôt. » ajouta-t-il pour meubler la conversation. Il devinait le ballet des chariots dans le couloir. « Tu t’ennuies ? Tu veux que je demande qu’on te mette la télé ?

_ Pfff… pour ce qu’il y a, à la télé… » maugréa-t-elle en haussant les épaules.

Il ne pouvait pas lui donner tort.

Une aide-soignante entra quelques minutes plus tard avec un plateau-repas, et aida Louise à se redresser dans son lit pour manger. L’adolescente regarda d’un air absent le bol de soupe, la biscotte et la crème à la vanille qui composaient son dîner.

« Ça ne va pas, Loulou ? » s’inquiéta Gauthier. Louise avait plutôt un bon appétit en temps normal, et son manque d’entrain n’était pas bon signe. Même devant un repas d’hôpital insipide. Elle haussa les épaules, attirant le regard de Gauthier sur ses bras, l’un plâtré et l’autre muni d’une perfusion dans le creux du coude.

« Tu veux que je t’aide ? Ça ne va pas être pratique, là… » proposa-t-il en tendant le bras pour attraper la cuillère posée sur le plateau. Elle le fusilla du regard, humiliée d’être traitée comme un bébé incapable de manger seul. « Loulou ? » insista-t-il doucement en lui tendant une cuillérée de soupe après avoir vérifié qu’elle ne risquait pas de se brûler. « Ca va te faire du bien de manger un peu, tu verras… »

Elle ouvrit docilement la bouche, et se laissa nourrir en silence. Gauthier n’osait plus parler, hésitant à rompre le fragile équilibre qui semblait s’être mis en place. Elle le laissait l’aider, il s’était même assis sur le bord de son matelas pour être plus près d’elle et du plateau, et elle n’avait rien dit, pas même eu un mouvement de recul.

« Il est quelle heure ? » demanda-t-elle après avoir fini de manger. « Il arrive quand, Nico ?

_ Il est… dix-huit heures quarante. Ton frère est en voiture avec Alex, ils sont sur la route.

_ C’est long…

_ Je sais, Loulou… Le fourgon des pompiers devait rouler plus vite qu’eux, et puis Alex est parti tard de Clermont, il fallait d’abord qu’il le retrouve et ensuite qu’ils reviennent jusqu’ici… » expliqua-t-il patiemment. Lui aussi avait hâte que Nicolas arrive. Pas pour pouvoir rentrer chez lui, mais parce que Louise avait désespérément besoin de son frère, et de l’assurance que son chien allait bien. Il ne s’était pas renseigné sur les horaires de visites, mais ne comptait pas quitter la chambre tant qu’on ne l’y obligerait pas – que l’ordre vienne de Louise ou du personnel soignant.

Lorsqu’elle lui demanda l’heure encore une fois, il enleva sa montre et la posa sur la petite table à roulette devant elle, en disant : « Tiens, je te la prête. Tu me la rendras quand tu seras rentrée chez toi, OK ? »

Elle ne répondit pas, se contentant de hocher la tête en regardant trotter l’aiguille autour du cadrant. Un peu plus tard, l’aide-soignante passa récupérer le plateau du repas, et en profita pour avertir Gauthier que les visites allaient bientôt se terminer.

« Ça veut dire quoi ? » demanda Louise.

« Qu’il va rentrer chez lui, et vous laisser vous reposer ! » répondit la jeune femme en souriant gentiment.

« Quoi ? Non ! Je veux pas rester toute seule ! » s’affola l’adolescente.

Gauthier s’approcha d’elle et lui tendit la main, prudent : « Loulou… Respire, ça va, je suis là. Je ne vais nulle part… » Il la regarda se recroqueviller sur elle-même, entendit sa respiration s’accélérer et se désorganiser.

Merde, pensa-t-il, encore une crise d’angoisse ?

« Louise, je suis là… Loulou ? Je reste là, promis, on attend ton frère, Loulou… Je reste avec toi, tu n’as pas toute seule, tout va bien… » Il répétait en boucle des paroles rassurantes, sans réaliser que l’aide-soignante avait quitté la pièce, et qu’une infirmière y entra presque aussitôt.

« Une nouvelle crise de panique ? » demanda-t-elle doucement à Gauthier, qui hocha la tête sans cesser de parler à Louise. L’infirmière tenta de prendre le pouls de Louise mais cette dernière se débattait tant qu’elle abandonna l’idée, de peur qu’elle arrache sa perfusion.

« On va devoir la sédater à nouveau… Qu’est-ce qui a déclenché ça, vous savez ?

_ La fin des visites.

_ Oh ! Elle est mineure, n’est-ce pas ?

_ Oui.

_ Et vous êtes de la famille ?

_ Je suis un ami de son frère. On attend son arrivée.

_ Eh bien… en cas de force majeure, un cousin peut très bien rester avec sa cousine hospitalisée… » répondit l’infirmière d’un ton tranquille. Gauthier la regarda, un peu étonné, et mit quelques secondes avant de comprendre qu’elle l’autorisait à rester avec Louise aussi longtemps qu’il le faudrait.

« Je ne m’en vais pas, Loulou. Je te promets que je reste avec toi. » dit-il avec plus d’assurance. « Respire, fais comme moi… Inspire… Expire… c’est bien, encore : inspire… souffle… doucement, voilà… »

Lentement, la respiration erratique de Louise s’apaisa. Suffisamment en tout cas pour que l’infirmière renonce à lui administrer un calmant en intraveineuse, comme elle en avait eu l’intention en arrivant. Elle partit en assurant qu’il pouvait rester aussi longtemps que nécessaire, toute la nuit même s’il le fallait, qu’elle le prenait sur elle et en avertirait ses collègues.

« Je repasserai tout à l’heure voir si tout va bien. En attendant, n’hésitez pas à sonner si vous avez besoin de quoi que ce soit.

« D’accord, merci. »

Il se demandait si Louise avait déjà fait des crises d’angoisse de ce genre. Nicolas ne lui en avait jamais parlé. En même temps, c’était personnel… Il s’étonnait d’avoir réussi à la calmer en lui parlant, sans même la toucher puisqu’elle ne supportait pas ça.

« Gauthier ? »

La voix hésitante de Louise le tira de ses réflexions.

« Oui, Loulou, je suis là.

_ Il arrive bientôt, Nico ?

_ Bientôt, oui… » lui répondit-il, comme à un enfant qui s’impatiente. Il chercha quelque chose pour l’occuper, puisqu’elle ne voulait pas regarder la télévision, et fouilla dans son sac à la recherche de son lecteur MP3 : « Tu veux écouter de la musique ? » Il inséra délicatement les écouteurs dans les oreilles de Louise, alluma le petit appareil, et lui indiqua les touches du volume et les commandes de lecture. Il avait sélectionné le dossier « Soul » qu’il écoutait en boucle ces derniers temps, espérant que cela l’apaiserait un peu, et lui ferait paraitre le temps moins long.

Quand la porte s’ouvrit à nouveau sur l’infirmière, celle-ci parut satisfaite de trouver Louise calmée, somnolente. A mi-voix, elle demanda à Gauthier : « Tout va bien ?

_ Pour le moment, oui. Je lui ai mis de la musique, ça a l’air de lui faire du bien.

_ Tant mieux. Je n’aurais pas aimé la sédater comme ils ont été obligés de le faire tout à l’heure. » répondit-elle.

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