Chapitre 26 - Gauthier

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Avant de la voir passer la porte, Gauthier entendit Louise arriver. Il lui semblait avoir un sixième sens quand il s’agissait d’elle. Il avait l’impression de la chercher tout le temps, de l’entendre. Là, il avait perçu ses pantoufles qui trainaient un peu sur le carrelage du couloir – avec son attelle à la cheville elle marchait plus difficilement – et puis les griffes du chien qui cliquetaient doucement, au même rythme qu’elle. Elle passa enfin la porte, et il leva la tête pour lui sourire, ce que racontait Virgile était d’un coup bien moins intéressant…

« Salut, Louloute ! » lança-t-il sur un ton jovial, comme il le faisait toujours. Depuis quelques temps, depuis son accident en fait, il lui semblait pourtant qu’elle n’appréciait plus trop ses grands éclats de voix, sa façon exubérante de la saluer et de la taquiner. Il avait résolu de continuer exactement comme avant, espérant que son changement d’humeur n’était que passager, mais ça commençait à s’éterniser, et il perdait espoir. Pourtant, ce soir-là, elle lui répondit de façon presque naturelle :

« Salut, Gauthier.

_ Ça va ? » continua-t-il, tant qu’il était en veine il allait en profiter. Pour une fois qu’elle ne répondait pas du bout des lèvres en évitant de le regarder… Quoique… pour le regard fuyant, ce n’était pas encore ça…

Elle se contenta de hocher la tête en cherchant une place où s’asseoir. Ses frères étaient assis chacun dans un des fauteuils, il ne restait donc que le canapé, où Gauthier se trouvait déjà. Ce n’était pas une configuration habituelle, et il se demandait si Virgile et Nicolas ne complotaient pas pour forcer leur sœur à se rapprocher de lui. En tout cas, que ce soit fortuit ou prémédité, ça lui convenait. Il regarda Louise s’installer à l’autre bout du sofa, étendre sa jambe devant elle. Attila se mit à grogner en le regardant, et Louise claqua simplement des doigts en lui disant « Til ! suffit. » Le chien se calma instantanément, mais resta vigilant, assis au plus près d’elle.

« Alors, Loulou, ta rééducation, comment ça se passe ?

_ Pfff, vivement que ce soit fini, j’en ai marre… » grogna-t-elle en s’appuyant contre le dossier du canapé.

Il rit : « Ouais, c’est pas drôle… mais c’est important. Tu as des exercices à faire, entre les séances ?

_ Moui… »

Il n’osa pas demander si elle les faisait régulièrement, mais là tout de suite elle semblait mal installée. « Tu ne veux pas un truc pour poser ta cheville ? Tu serais mieux. » suggéra-t-il en se penchant pour approcher un petit marchepied qui trainait souvent dans le coin du salon et servait à l’occasion de desserte pour y poser des verres ou une assiette, lorsqu’ils mangeaient devant la télévision. « Tiens, essaie ça. » proposa-t-il en posant un coussin sur le dessus pour le rembourrer un peu.

Louise lui jeta un coup d’œil rapide, et posa son pied sur le siège. Elle ne dit rien, mais il nota un relâchement dans sa posture, et vit son visage se détendre.

« Alors ? C’est pas mieux ?

_ Ouais… » marmonna-t-elle. Au bout de quelques secondes, elle ajouta même : « Merci. » et il se sentit verni.

Où en était-il arrivé ? se demandait-il. Il en venait à attendre des miettes d’attention d’une gamine mal embouchée qui ne le regardait même pas… Mais il se sentait incapable de se détourner d’elle. Elle avait quelque chose qui le troublait, l’attirait, une envie de la protéger et de la voir grandir. Il ne savait pas bien l’expliquer, mais depuis presque un an qu’il la connaissait, les autres filles lui semblaient fades et il n’avait plus envie de les regarder. Pas question de lui en parler, elle n’était clairement pas dans cette optique-là, elle. En plus, elle était mineure. Et pas question non plus de laisser Virgile ou Nicolas soupçonner quoi que ce soit. C’était leur petite sœur, et ils se montraient excessivement protecteurs à son égard. Plus encore depuis son accident, s’il y réfléchissait… Ils la couvaient littéralement, ce qui semblait l’agacer.

Virgile quitta la pièce lorsque son téléphone se mit à sonner, et Louise le regarda s’éloigner, une étincelle moqueuse dans les yeux, une étincelle de vie et de spontanéité que Gauthier n’avait plus vue depuis longtemps, et qui lui fit plaisir.

« Ah, l’amoûûûûr… » susurra-t-il en guettant sa réaction. Elle tourna la tête pour le regarder, et sourit franchement, avant de répondre en roulant les yeux dans leurs orbites : « Julia l’appelle tous les soirs à la même heure… »

Nicolas en face d’eux s’esclaffa avant de se lever : « Ah, je crois que j’entends un scooter, ça doit être le livreur ! » Et il les laissa seuls dans le salon. Dès qu’il eut quitté la pièce, Louise regarda Gauthier : « Sérieux, tous les soirs, quoi… » et elle fit semblant de vomir.

Il sourit, amusé. Un jour, elle tomberait amoureuse de quelqu’un, mais pour le moment ce n’était qu’une ado manquant de confiance en elle, pas encore travaillée par ses hormones.

« Alors, ta cheville, Louloute ? Comment ça va ? Pour de vrai ? » insista-t-il, maintenant qu’ils étaient seuls. Un sujet neutre, même s’il pouvait être sensible. Un truc qu’il maitrisait.

« Plus qu’une semaine d’attelle ! » exulta Louise. « Mercredi prochain, je pourrai l’enlever ! Je te jure, ce jour-là je vais à Montjuzet avec Attila ! »

Il sourit devant son enthousiasme, comprenant sa hâte, mais il devait aussi la prévenir :

« Tu sais qu’au début, tu vas devoir y aller mollo ?

_ Ça fait bientôt deux mois que j’y vais mollo, Gauthier ! Ils m’ont obligée à garder l’attelle plus longtemps pour que je ne force pas, mais là c’est bon. Le kiné a dit que je pourrais m’en passer, quasiment. Mais Virgile et Nicolas ne veulent pas… » Son visage se rembrunit un instant, comme si elle en voulait à ses frères, avant de s’éclairer à nouveau : « J’ai fait hyper attention, je te jure ! Et la rééducation ça me fait moins mal qu’au début, c’est bien, non ?

_ Oui c’est bien. C’est normal : ça veut dire que ta cheville s’est remusclée. Mais tu sais que tu vas garder une fragilité ?

_ Ouais…

_ Tu auras intérêt à t’acheter des chaussures de marche qui montent plus haut, qui te maintiennent vraiment la cheville. Les tiennes sont un peu basses… » conseilla-t-il.

Elle accepta le conseil d’un hochement de tête. « Et pour courir ?

_ Tu ferais mieux d’arrêter, tu vas te péter le dos et les genoux.

_ Dans tes rêves. J’en peux plus là, j’ai besoin de courir. Je me sens comme une cocotte-minute prête à exploser. » expliqua-t-elle, et il pouvait le voir en effet, elle bouillait littéralement depuis qu’elle était immobilisée, restreinte dans ses mouvements.

« Et ton poignet ? » demanda-t-il encore.

« Ça me fait un mal de chien, à chaque fois que j’y vais ! » Elle en voulait clairement au kiné, et Gauthier sourit. Elle lui montra les mouvements de rééducation qu’on lui imposait au cabinet, ceux qu’elle devait refaire à la maison….

Lorsque Nicolas arriva avec les pizzas, suivi de peu par Virgile qui venait de raccrocher, ils les trouvèrent en train de discuter tranquillement.

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