Chapitre 28 - Gauthier

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Fin février 2010

Un soir, en sortant du cabinet de kinésithérapie où il effectuait un stage, Gauthier vit marcher, sur le trottoir d’en face, Louise et Attila. Il traversa la rue en courant pour la rattraper :

« Hey, salut Louloute ! »

Elle releva la tête pour le regarder : « Ah, c’est toi. Salut…

_ Ça ne va pas ? » s’inquiéta-t-il : ce manque de réaction était plutôt étonnant de la part de Louise. D’habitude, elle avait plus de répondant que ça. Et puis… Louise et Attila, qui marchaient ? Au lieu de courir ? Bizarre…

Elle haussa une épaule en faisant une petite grimace, et marmonna : « Je suis fatiguée… Je suis un peu malade… »

C’était difficile à voir, à la lumière artificielle des lampadaires trouant la nuit d’hiver, et d’autant plus sur la peau café-au-lait de l’adolescente, mais Gauthier aurait juré qu’elle était pâlichonne. Ou du moins, qu’elle avait les traits tirés. Elle devait vraiment être mal, pour renoncer à courir, et surtout pour avouer qu’elle ne se sentait pas très bien. Il n’avait jamais vu Louise reconnaitre une faiblesse, à part lors de son accident en randonnée… Et encore, elle avait plutôt eu tendance à se montrer infecte, en colère, désagréable, plutôt que d’avouer qu’elle avait peur ou mal…

« J’allais voir ton frère, justement… je te raccompagne ? » improvisa Gauthier : pas question de laisser Louise errer dans les rues dans cet état. Il dramatisait sans doute inutilement les choses, mais il se sentirait plus rassuré une fois qu’elle serait rentrée au chaud, que ses frères pourraient prendre soin d’elle.

Elle accepta, indifférente. Il leur fallut quelques minutes pour parvenir à l’appartement, et Attila bondit dans les escaliers pour atteindre le palier, avant de japper une fois en haut, comme pour appeler Louise et lui demander ‘alors, qu’est-ce que tu fabriques ?’ Gauthier trouva ça plutôt mignon, le chien n’avait clairement pas l’habitude que sa maitresse se traine de marche en marche en se tenant à la rampe. Même avec son sac de randonneuse sur le dos, Louise montait habituellement d’un bon pas.

Une fois devant la porte de leur logement, elle sortit de sa poche son trousseau de clés, qu’elle laissa tomber sans parvenir à le rattraper, et se baisser pour le ramasser sembla lui coûter un effort surhumain. Décidément, Louise n’était pas dans son état normal. Ses mains tremblaient, elle ne parvenait pas à trouver la bonne clé et à l’insérer dans la serrure.

« Attends, Loulou, laisse-moi faire. » dit Gauthier, le plus tranquillement possible. Il tendit la main pour lui prendre la clé, qu’elle lui abandonna sans rechigner. Il déverrouilla la porte et l’ouvrit pour la laisser entrer dans le couloir obscur.

« Tes frères ne sont pas là ? » s’étonna-t-il en cherchant l’interrupteur.

« … j’sais pas… » répondit-elle dans un souffle en enlevant son blouson qu’elle accrocha au porte-manteau, puis ses baskets qu’elle laissa où elles tombèrent, sans plus s’en préoccuper. Mais elle trébucha dessus une seconde plus tard, et Gauthier ne put que tendre les bras pour la rattraper. Il s’attendait à une réaction de rejet, un cri, un mouvement de défense, mais même Attila ne dit rien, et le laissa enlacer Louise avant qu’elle ne se cogne au radiateur de l’entrée.

« Hé, reste avec moi, Louloute ! »

Il la lâcha dès qu’elle parut retrouver son équilibre, mais elle tendit la main pour se tenir au radiateur : l’équilibre était précaire.

« Viens t’asseoir : tu tiens pas debout, là… » Il avançait déjà dans le couloir pour aller allumer le salon, revint sur ses pas en constatant qu’elle ne bougeait pas. Attila ne l’avait pas quittée d’une semelle, collé contre sa jambe il s’assurait qu’elle ne décolle pas du radiateur.

« Loulou, ça ne va pas ?

_ J’ai la tête qui tourne. » avoua-t-elle.

« OK, viens t’asseoir. Prends ma main, Loulou… » Il l’aurait portée, s’il y avait eu une petite chance qu’elle le laisse faire. Elle tendit la main pour saisir l’appui qu’il lui proposait, et il l’accompagna, à petit pas prudents, jusqu’au canapé du salon où il l’aida à s’installer. Il la recouvrit du plaid en polaire qui trainait là en permanence, et avança lentement une main pour la poser sur son front : « La vache ! T’es brulante ! T’as vu le médecin ? Ça fait combien de temps que tu as de la fièvre, comme ça ?

_ Je sais pas… cet après-midi. J’ai mal au crâne.

_ Je vais te chercher un verre d’eau, bouge pas. »

Il fit un détour par la salle de bain, et fouilla l’armoire à pharmacie pour lui ramener le thermomètre et du paracétamol, avec le verre d’eau : « Tiens, avale ça, ça te fera du bien. Et prends ta température, aussi… Tu as faim ? Tu veux manger ?

_ Nan…

_ Et Attila ? Il a besoin de quelque chose ?

_ De l’eau, dans sa gamelle. Dans la cuisine.

_ OK, je m’en occupe. Prends ta température, pendant ce temps-là. » ordonna-t-il en sortant de la pièce, appelant le chien qui ne bougea pas d’un poil : « Attila ! Attila ! Viens boire ! »

Il fallut que Louise lui en donne l’ordre pour qu’il daigne longer le couloir jusqu’à la cuisine où Gauthier venait de remplir sa gamelle d’eau fraiche.

Après avoir envoyé un SMS à Nicolas pour savoir où il était et lui dire que Louise était malade, Gauthier retourna la voir. Elle avait posé le verre à moitié vide sur la table du salon, à côté du thermomètre, et le cachet avait disparu.

« Ça va, Louloute ? »

Il se sentait bête, à poser cette question : il voyait bien que ça n’allait pas… Mais comment savoir, avec Louise ? Comment anticiper la façon dont elle prendrait une question plus intrusive ?

« Bof… j’ai trente-neuf…

_ Ah ouais, quand même… Bon, le paracétamol va te faire du bien, déjà… Nico vient de me dire qu’il arrivait.

_ D’accord… » Elle ne parut même pas s’étonner de son retour, alors qu’il avait prévu une sortie avec des camarades de promo ce soir-là. Impuissant, Gauthier regardait ses joues à présent roses de fièvre et ses sourcils froncés, par la douleur sans doute. Il retourna dans la salle de bain, ouvrit les placards pour trouver un gant de toilette qu’il mouilla abondamment à l’eau froide avant de lui rapporter : « Tiens, Loulou, mets ça sur ton front, ça va te faire du bien… »

Elle ouvrit les yeux, un peu difficilement, le regarda sans expression.

« Attends… Je peux ? » Il posa le gant frais sur sa tête et laissa sa main dessus, la plus légère possible, pour maintenir la compresse et l’empêcher de glisser. Les traits de Louise semblèrent se détendre un peu, s’apaiser.

« Ça fait du bien ? » s’assura-t-il.

« Ouais… » murmura-t-elle sans ouvrir les yeux, frissonnant sous la couverture.

Attila était revenu dans la pièce, et s’assit au plus près de Louise, posant la truffe sur son genou. Elle tendit la main pour le toucher, le caresser. Gauthier continua à lui rafraichir le front, en allant rincer le gant de toilette dès qu’il chauffait trop. Il resta jusqu’au retour de Nicolas, qui ouvrit de grands yeux devant le spectacle qui s’offrait à lui : Louise, à moitié endormie dans le canapé, laissant Gauthier s’affairer autour d’elle, la toucher, et Attila qui ne disait rien non plus. Le monde à l’envers…

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