Chapitre 20

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Le lundi matin, Paul se leva de bonne heure pour aller travailler, et moi je commençai la semaine par une balade avec Attila dans l’air un peu frais du matin – on sentait l’été qui s’éloignait. Puis j’avais une réunion à la maison d’édition : Pierre-Luc voulait voir l’avancement des livres sur lesquels je travaillais avec Stéphanie et David. Ce dernier ne cessa de se plaindre et de récriminer : je refusais de l’écouter et de coopérer, selon lui.

« Quand tu exiges une composition incompréhensible, je refuse de coopérer, effectivement. Je t’assure que ce que tu me demandes pour cette double-page, qui doit être le point culminant du livre, ça ne rime à rien, David ! »

Je n’allais pas me laisser faire, non mais ! Je présentai à Pierre-Luc ma version à moi, avec des proportions harmonieuses et bien pensées, qui permettait de mettre en valeur aussi bien les illustrations que le texte, sans perdre l’œil dans un dédale de paragraphes dont l’ordre de lecture n’était pas évident. Pierre-Luc examina ma proposition, compara les deux, demanda son avis à Stéphanie, et finit par trancher en ma faveur. Je vis David pincer les lèvres de rage, furieux d’avoir été désavoué par une gamine. C’était clairement ce qu’il pensait, je pouvais le lire dans son regard.

« Eh bien, ce sera la dernière fois qu’on travaillera ensemble. » me dit-il, acide.

Pierre-Luc me prit de court, avant que j’aie le temps de répondre, en se tournant vers Stéphanie : « Et toi ? Tu continues l’aventure ?

_ Avec plaisir. » sourit-elle, me mettant un peu de baume au cœur. Je n’appréciais pas particulièrement David, et ses caprices de diva n’allaient pas me manquer, mais qu’une première collaboration soit un tel échec mettait à mal ma confiance en moi… Pourtant, l’enthousiasme de Stéphanie me rassurait, et elle me glissa en partant que David avait déjà agi de la sorte avec d’autres personnes, et que plus grand monde ne voulait travailler avec lui, il avait trop tendance à tirer la couverture à lui pour s’accaparer les honneurs. « Mais là, c’est ta signature graphique que les gens verront en premier, c’est ton dessin qui va attirer l’œil. Ce qu’on écrit, il faut que ce soit juste et adapté au lectorat, mais on vient souligner tes illustrations, et pas l’inverse. » me dit-elle encore.

Je repartis avec un paquet que Pierre-Luc me demanda de remettre à mon père. Je fis donc le déplacement l’après-midi-même. Je n’avais pas prévenu de ma visite : mon père avait horreur du téléphone, surtout quand il travaillait. Il était 14 heures environ quand je coupai le contact dans la cour, et la voiture de Marité était là, comme tous les jours elle était venue entretenir la maison.

« C’est moi ! » annonçai-je en entrant – Attila était resté dans le verger. Je m’attendais à trouver mon père dans son bureau, et Marité dans la cuisine, mais ils jaillirent du canapé en me voyant arriver.

« Louise ! » Mon père avait l’air gêné, et ne parlons pas de Marité. Je fis comme si de rien n’était, les embrassai tous les deux, transmis à mon père le paquet de son éditeur, et Marité s’éclipsa en marmonnant quelque chose à propos de père et fille.

« Tu vas bien, papa ?

_ Heu... oui oui. Tout va bien. »

J’avais envie de rire. On aurait dit un gamin surpris par ses parents en pleine séance de bécotage…

« Heu… Je… Hem. Je crois qu’il faut que je te parle, Louise.

_ Je t’écoute. » dis-je très sérieusement en m’asseyant dans le fauteuil de Mathie, au coin de la cheminée éteinte.

« Je… Voilà… Marité, enfin… je veux dire, nous… » Heureusement qu’il était meilleur à l’écrit qu’à l’oral ! En plus, il me regardait, je devrais même dire il me scrutait, me surveillant comme du lait sur le feu. Je finis par abréger ses souffrances en lui disant :

« Papa, tu fais ce que tu veux. C’est bien.

_ Oh. » Il ne savait plus quoi dire. J’allai m’asseoir près de lui dans le canapé.

« C’est bon, Papa, on est grands, les garçons et moi. Tu as le droit de refaire ta vie.

_ C’est vrai, ça ne te dérange pas ?

_ Mais non. Tu crois que maman s’est gênée, elle ? Qu’elle m’avait demandé mon avis ? On ne vit plus à la maison depuis longtemps, on a tous notre vie. C’est normal que tu aies la tienne… Et je suis désolée d’être arrivée sans prévenir. »

Après avoir embrassé mon père soulagé, qui me promit d’appeler Virgile et Nicolas, j’allai retrouver Marité qui lavait la vaisselle dans la cuisine. Je m’excusai après d’elle également, et déclinai son invitation à rester prendre le café, prétextant du travail urgent.

« Soyez heureux ensemble, c’est tout ce que je vous souhaite. » Et je m’éclipsai, après lui avoir fait deux bises sur les joues.

C’était étrange. Bizarre. J’aimais bien Marité, mais… Au volant de ma voiture, Attila couché sur la banquette arrière, je réfléchissais à ce que ça risquait d’impliquer. En fait, je n’en savais rien. On verrait bien… Mais ça me faisait quand même bizarre d’avoir trouvé mon père dans les bras d’une femme…

Je passai l’après-midi à travailler, puis me remis à ma peinture, que je n’avais pas encore terminée. Paul, en rentrant du travail, me trouva assise en tailleur sur le sol, à deux mètres de mon chevalet.

« Panne d’inspiration ?

_ Non non, c’est le processus de création qui décante… »

Pour cette peinture, je laissais les émotions prendre le dessus et me dicter leurs envies. Ce n’était pas du tout le cas lorsque j’avais une idée précise du résultat que j’escomptais, mais là c’était plutôt quelque chose comme l’écriture automatique des surréalistes.

Je la terminai tard dans la nuit, quand il ne resta plus un centimètre carré de papier blanc entre les traits de peinture. Paul était déjà couché dans mon lit ; après m’avoir forcée à manger un morceau il avait lu un peu puis éteint la lumière. Je le rejoignis sous la couette, et me collai contre lui sans le réveiller.

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