Chapitre 29

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Lorsque deux infirmières entrèrent dans la chambre, guillerettes et enjouées, contentes de voir que ma mère avait de la visite, j’en profitai pour prendre congé.

« Tu reviendras ? » Elle levait vers moi un visage si plein d’espoir, des yeux si implorants, que je ne pus que répondre oui. Je déposai un baiser sur son front, et quittai la chambre sans un regard en arrière.

Paul m’attendait dans le couloir. Je pris la main qu’il me tendait, saisissant le réconfort qu’il me proposait. Lorsqu’une infirmière quitta la chambre, je me présentai et lui posai quelques questions sur l’état de ma mère. Elle me laissa entendre que c’était une question de jours, peut-être moins, et je lui donnai mon numéro de téléphone. Puis Paul m’entraina, un bras autour de mes épaules, vers les escaliers. Je n’avais pas envie d’être serrée comme une sardine dans l’ascenseur. Alors que nous descendions les marches, il me dit simplement : « J’ai trouvé un hôtel pour ce soir. »

Cela me ramena à la réalité : « Paul, on est dimanche ! Tu bosses demain ! On ne peut pas rester…

_ Ça va, Louise. J’appellerai mon chef. On verra demain, OK ? De toute façon, on est nazes l’un comme l’autre, c’est pas prudent de reprendre la route ce soir. »

Paul le raisonnable. J’étais rassurée de l’avoir avec moi, seule j’aurais sans doute fait des imprudences.

Alors que nous traversions le parking immense pour retrouver le Land Rover, je sentis mes cheveux se dresser sur ma tête, mes poils se hérisser, en entendant cette voix : « Mais c’est la petite Louise ! »

Immédiatement, mon instinct de survie s’enclencha, et je m’arrêtai devant Paul, l’empêchant de bouger d’une main sur son poignet. J’aurais reconnu cette voix désagréable n’importe où, tant elle avait longtemps hanté mes nuits, mais le visage m’assura que je ne faisais pas erreur. Je ne pensais pas le revoir un jour, et restai interdite, comme paralysée.

« On est venue voir sa môman ? » Il s’était arrêté à deux mètres de nous, et reprit, railleur : « On a plus son chien-chien pour se défendre ?

_ Ne t’approche pas de moi. »

Le « chien-chien » était comme fou dans la voiture, à une dizaine de mètres de là, et je sentis Paul s’écarter de moi. Je le rattrapai de justesse. « Ne bouge pas. » sifflai-je entre mes dents.

Je savais ce qu’il avait l’intention de faire : libérer Attila, et je n’avais pas besoin d’un meurtre sur les bras, j’avais assez d’emmerdes à gérer comme ça en ce moment. En face de moi, Al avait avancé d’un pas.

« Alors, t’es revenue pour l’héritage ?

_ Quel héritage ? Ça fait longtemps que tu l’as sniffé, mon héritage. Mais j’ai plus peur de toi, Al. »

De la main gauche, je tenais toujours Paul derrière moi. Quand Al se jeta sur moi, je repoussai Paul en arrière, et me portai vers l’avant, attrapai le poignet du mec de ma mère, lui tordis le bras en arrière, et d’une main sur son épaule le contraignis à se baisser, à s’agenouiller, il avait presque le nez sur le bitume. Il gigotait, et j’appuyai un peu plus fort, mesurant ma force.

« Je te conseille pas de résister. Si j’appuie, ça casse. »

Il finit face contre terre, moi tenant toujours son poignet entre mes doigts, un pied posé sur son épaule. Il gémissait.

« Tu ne me fais plus peur, Al. C’est fini, ce temps-là. Maintenant, c’est moi qui ai le pouvoir. Alors tu vas me foutre la paix une bonne fois pour toutes. Je ne veux plus te voir, et je t’interdis de m’approcher. C’est compris ?... C’est compris ? » insistai-je en appuyant un peu plus fort, lui arrachant un gémissement et un oui plaintif.

Je le lâchai et m’éloignai rapidement, à reculons. Paul m’entrainait vers la voiture dans laquelle il me fit monter, et il avait quitté la place de stationnement avant qu’Al ne soit totalement relevé.

Attila s’était calmé dès que j’avais refermé la portière, considérant que j’étais à présent en sécurité, mais je ne pouvais m’empêcher de trembler. Paul nous conduisit, sans que je voie passer le trajet, jusqu’à l’hôtel qu’il avait réservé. Il s’occupa de nos sacs et de la réception, je gérai mon chien, toujours tremblante, et lorsque la porte de notre chambre se referma avec un bruit sec, il soupira : « Bon, c’est pas un palace, mais c’est le seul qui ne soit pas trop loin et qui acceptait les chiens… »

Pour ma part, j’étais tombée à genoux sur la moquette élimée, et je ne faisais plus qu’un avec Attila.

« Louise, chérie, ça va aller, ne pleure pas, ne pleure pas… »

J’entendais la voix de Paul qui tentait de me rassurer, mais c’était comme s’il s’adressait à une autre que moi. Il ne me touchait pas, Attila avait grondé sourdement lorsque Paul avait tenté de poser la main sur mon épaule, et il avait abandonné. Je tremblais, je pleurais en silence, et plus rien ne comptait que mon chien dans mes bras, mon Tilou. Nous étions assis, enlacés, dans un coin de la chambre et tout d’un coup mon frère était là. Nicolas.

Une gamelle de croquettes apparut dans mon champ de vision, qu’Attila dédaigna pour ne pas me quitter. Il laissa cependant mon frère s’asseoir derrière moi, m’enlacer, me bercer, me calmer. Alors seulement, quand mon corps cessa de trembler, Til s’intéressa à son repas, mais entre deux bouchées il me regardait.

Je sentis Nicolas et Paul me retirer mes chaussures et mon jean, me mettre au lit à moitié habillée, me border, rester près de moi. L’un me tenait la main, l’autre me caressait le dos. Longtemps.

« Tu as bien fait de m’appeler, Paul. » lui dit finalement Nicolas, quand je fus un peu apaisée.

« Ouais… Merci d’être venu aussi vite.

_ Qu’est-ce qui s’est passé, alors ?

_ On sortait de l’hôpital, et il y a ce type, sur le parking, qui connaissait Louise et qui a commencé à l’emmerder, elle lui a fait une prise de karaté, et…

_ Jujitsu. » corrigeai-je. « Hidari eri dori. » Le nom de la prise.

« Eh ben, ça aura finalement servi à quelque chose, ces années de judo et de jujitsu ! » fit Nicolas en me caressant la joue. « Ça va mieux, Moustique ?

_ Oui… Merci, Nico… »

Il resta encore un peu, puis finit par nous laisser : il avait de la route à faire pour retrouver son propre hôtel, dans Paris intra-muros, et il travaillait de bonne heure le lendemain matin. Il appela un taxi, et on descendit avec lui l’attendre dans la rue, sortant Attila par la même occasion. Mon frère avait traversé Paris au milieu de la nuit, pour m’amener un sac de croquettes pour mon chien, et me tirer de mon état de choc…

Je regardai les feux arrière du taxi s’éloigner dans la rue, et Paul serra un peu ma main :

« On remonte ? Ou tu veux rester encore un peu dehors ?

_ Non, c’est bon. Rentrons… »

Une bonne heure de course m’aurait fait le plus grand bien, mais je me sentais fatiguée, lessivée. Et lui semblait tendu, pas très à l’aise dans ce quartier un peu glauque. Nous regagnâmes notre chambre, et Paul me montra un sac en plastique posé sur le petit bureau :

« Ton frère a ramené à manger. Tu as faim ? »

Maintenant qu’il en parlait… oui. Nous avons dévoré les sandwiches et les biscuits, vidé l’une des deux bouteilles d’eau, avant de nous coucher.

Paul me tenait dans ses bras, collé contre mon dos, et je n’arrivais pas à dormir. Lui avait trouvé le sommeil, et c’était frustrant. Au bout d’un moment, je me défis doucement de son étreinte et me levai. Prenant mon sac à dos au passage, j’allai m’enfermer dans la salle de bain. Elle était minuscule, mais au moins je pouvais y allumer la lumière sans risquer de déranger Paul. Je m’assis sur le couvercle des toilettes et pris dans mon sac calepin et crayon, ainsi que mon téléphone pour avoir de la musique. Attila, qui m’avait suivie, me regarda dessiner. Je noircis plusieurs pages de mon carnet, avant de sentir mes yeux se fermer. J’avais l’impression d’avoir du sable sous les paupières. Je regagnai donc le lit, sans éteindre mon portable, qui diffusait de la musique dans mes écouteurs. Je me glissai près de Paul entre les draps, il se colla à moi dans son sommeil. Je me laissai bercer par la musique, une main sortie de sous la couette, caressant Til qui avait tiré sa couverture au plus près de moi.

Lundi matin.

En sortant de la salle de bain où j’avais passé un bon moment à me délasser sous une douche brulante, je trouvai Paul assis sur le bord du lit, les coudes posés sur ses genoux, regardant mon portable qu’il tenait à la main. Il releva la tête en m’entendant. Il avait son air de ‘j’ai quelque chose à te dire mais je ne sais pas comment tu vas le prendre’, et soupira avant de lâcher :

« L’hôpital a appelé. »

Je hochai simplement la tête. Je savais pourquoi.

« Quand ?

_ Pendant ta douche.

_ Non… Quand est-ce arrivé ?

_ … Il y a une heure à peu près. Ta mère a fait un arrêt cardiaque, et ils n’ont pas réussi à la réanimer. »

Ah, parce qu’ils avaient essayé ? Je ne dis rien. Les médecins et leur acharnement à garder en vie des gens mourants qui ne demandaient qu’à partir…

Je replaçai dans le sac de voyage ma trousse de toilette, avant de me planter devant la fenêtre pour regarder à l’extérieur, sans rien voir de précis.

« Il faut qu’on aille à l’hôpital ?

_ On va y aller, oui, bien sûr.

_ Est-ce que je suis obligée d’y aller, Paul ?

_ Euh… non. Je suppose que non. Ta maman a donné son corps à la science, Louise.

_ Je sais, elle me l’a dit hier. » Sa décision était prise de longue date, motivée par la volonté de ne pas laisser derrière elle des obsèques à payer et organiser.

« Laisse tomber l’hôpital. Par contre, elle m’a demandé d’aller chez elle.

_ D’accord. » a murmuré Paul derrière moi, posant ses mains sur mes épaules et embrassant ma tête sans rien dire de plus.

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