Chapitre 34

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Fin décembre 2015

Le 31 au soir, Paul et moi sommes arrivés un peu plus tôt, pour aider à préparer. Il donna un coup de main à Virgile pour pousser des meubles dans le séjour, tandis que j’allais aider Julia dans la cuisine. Chacun amenait à boire ou à manger, et certains avaient déposé leur contribution la veille ou un peu plus tôt dans la journée : difficile en effet de préparer les toasts quand on n’a ni les toasts, ni le foie gras ! Nous avons tartiné des mètres de pain : beurre de saumon, tapenade, tarama, foie gras, houmous… Les canapés dessinaient de jolies farandoles colorées dans les plats.

Nicolas est arrivé vers 18 heures, en descendant du train. Il investit la chambre d’amis, qui était la sienne à l’époque où on vivait ici tous les trois, avant d’aller prendre une douche et se changer. Paul vint nous aider en cuisine : Virgile avait disparu lui aussi, soi-disant pour vérifier que Corentin n’était pas réveillé. En réalité, il devait plutôt comploter avec Nico…

Vers 20 heures, les autres commencèrent à arriver. Clément d’abord, puis Alexandre. Au troisième coup de sonnette, j’allai ouvrir : Gauthier. Sourires un peu gênés dans l’entrée. Nico arriva dans mon dos : « Salut mec ! »

Salutations viriles, tapes dans le dos, tout ça… et puis il nous regarda et dit, comme s’il venait d’avoir une illumination, comme si tout n’avait pas été prévu à l’avance entre Virgile et lui : « Bon, tous les deux, vous avez besoin de parler. Je vous prête ma chambre, vous serez au calme… »

Je n’avais pas revu Gauthier depuis le jour où il nous avait présenté Hugo, et où j’avais littéralement pris la fuite, puis m’étais disputée avec Paul ET avec Nico, avant de faire une crise d’angoisse en pleine nuit…

Je me tenais dans la chambre, adossée au bureau, me mordillant les lèvres en attendant qu’il commence.

« Tu vas faire la gueule encore longtemps, Louise ? »

Ouah ! Il démarrait fort.

« Je ne te fais pas la tête, Gauthier. Ne confonds pas tout. Aux dernières nouvelles, c’est toi qui m’as snobée quand on s’est vus au marché. Pas l’inverse. » répondis-je en le regardant droit dans les yeux, sans faiblir.

« Toujours aussi dure en affaires, hein ? Dois-je te rappeler que tu venais de faire une crise de jalousie en public ?

_ C’est pas de la jalousie. Comme je l’ai dit à Paul, en ce qui me concerne tu peux faire ce que tu veux de ton cul. Et du reste. Je m’en fous. »

Je lui laissai deux secondes pour encaisser ça avant d’enchainer : « Je pensais juste que je comptais un peu plus que ça à tes yeux.

_ Mais… évidemment que tu comptes pour moi !

_ Eh ben on ne dirait pas ! Les amis, c’est fait pour se parler, Gauthier.

_ Ma petite Louise » Bon sang, ce que j’avais horreur quand il m’appelait comme ça ! Avec ce ton de mec raisonnable qui cause à une gamine insupportable, cet air obséquieux… « Vue ta réaction, ça prouve bien que je n’avais pas tort d’appréhender la façon dont tu allais prendre ça.

_ Mais comment tu voulais que je réagisse, Gauthier ? Comment ? »

Je tentais de maintenir ma voix à un volume modéré, pour éviter de réveiller Corentin, et surtout pour ne pas alerter les autres. Pas envie de voir débarquer les casques bleus…

« Bordel, tu ne crois pas que si tu m’en avais parlé un peu avant, j’aurais réagi autrement ? Tu m’as mise devant le fait accompli. Merde, mais comment j’étais censée réagir, Gauthier ? J’ai été ta première copine sérieuse, on est restés ensemble pendant trois ans, depuis tu n’as eu personne ou en tout cas personne qui compte assez pour nous être présenté. Et d’un coup, sans prévenir, tu débarques avec un mec ! C’est quoi, le truc ? Je t’ai dégouté des nanas ? »

Il éclata de rire en se rapprochant :

« Mais n’importe quoi ! Qu’est-ce que tu vas imaginer, Louise ?

_ Tout, et n’importe quoi, parce que tu n’as pas été fichu de me parler. Mais ça, c’est habituel, chez toi… et en plus, tu ne m’appelles plus Louloute…

_ Ben t’as horreur de ça !

_ Oui, mais tu es le seul à m’appeler comme ça…

_ T’es pas à une contradiction près, toi, hein ? » sourit-il. « Je suis désolé, Loulou. Désolé que tu l’aies interprété comme ça, parce que c’est faux. Et désolé de ne pas t’en avoir parlé avant. »

Il s’approcha encore, et me tendit les bras. Il me serra fort un instant, avant de proposer de s’asseoir sur le lit. Je virai mes chaussures, et m’installai en tailleur, le dos contre le mur ; lui resta sur le bord, au pied du lit.

« Pourquoi t’en as pas parlé, Gauthier ? »

Soupir : « C’est pas facile, Louloute. Je me suis posé plein de questions, et je m’en pose encore… J’aurais jamais pensé… ça m’est tombé dessus comme ça…

_ Comment ? Comment tu…

_ Je ne sais pas. Je me sens pas vraiment gay. Ou bi. Je sais pas, c’est juste Hugo. Je ressens quelque chose de fort pour lui… »

Il était un peu gêné de me dire ça, les joues rouges, c’était mignon.

« Comment vous vous êtes rencontrés ? » demandai-je, curieuse.

« Au cabinet. Il s’est cassé la jambe au printemps, je l’ai eu en rééducation.

_ Et ?

_ Et… il m’a dragué. Enfin, au début, on discutait pendant ses séances, et le courant passait bien, on parlait de sport, de musique, de cinéma… et puis à la fin de son programme de rééducation, il a proposé qu’on aille boire un verre pour fêter ça…

_ Il est majeur, au moins ? » Je ne l’avais pas vu très longtemps, mais il m’avait semblé très jeune.

« Pas depuis longtemps. » admit Gauthier. « C’est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu y aller doucement, et rester discret.

_ Mais vous êtes ensemble ? Vous avez… Pardon, ça ne me regarde pas. » Je baissai le nez.

Gauthier se mit à rire : « T’y vas jamais par quatre chemins, toi… Pour répondre à ta question, je pense qu’on peut dire qu’on sort ensemble. Et pour le reste… on n’est pas pressés. »

Je hochai la tête. Ça commençait à prendre une tournure un peu intime…

« Il ne vient pas ce soir ?

_ Peut-être tout à l’heure, je ne sais pas… Faut que je l’appelle.

_ Ça s’est passé comment au bar, après mon départ l’autre fois ?

_ Mmm, y’a eu un blanc, et puis ensuite, bien. Normal, quoi.

_ Alors, si c’est à cause de moi qu’il hésite à venir, ça ne me dérange pas, tu sais. Ce serait l’occasion de faire connaissance… »

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