Chapitre 40

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Les jours suivants, j’ai dessiné, mangé, dormi. Je vivais comme un zombie. Mes frères et Paul passaient leur temps à m’appeler et à s’incruster chez moi.

« Chérie, il ne faut pas que tu restes seule…

_ Et si j’en ai envie, d’être seule, Paul ? Pourquoi j’ai pas le droit de pleurer tranquille, hein ? »

Nous nous étions déjà disputés le lendemain de ma sortie nocturne avec Clément pour rendre un dernier hommage à Attila. Il m’avait reproché d’être inconsciente et imprudente, reproché de ne pas avoir voulu attendre le week-end. Et comme je lui expliquais que je n’aurais pas pu dormir avec les cendres de mon chien sur mon bureau, on s’était disputés parce que je refusais de m’installer chez lui.

« J’ai besoin d’être seule, Paul. J’ai besoin de ma liberté. Aujourd’hui encore plus. Je ne t’ai jamais pris en traitre là-dessus. » avais-je asséné avant de partir en claquant la porte.

La vie me semblait fade et sans intérêt, sans Attila et nos courses matin et soir. Je n’avais plus de raison de me lever le matin, et pourtant je n’arrivais pas à dormir… Un soir, Virgile a débarqué chez moi, et ne m’a pas laissé le choix :

« Allez, Bouchon, prends ton kimono, je t’emmène au judo. Ça nous fera du bien à tous les deux. »

Il n’a vraiment rien voulu savoir, et m’a trainée jusqu’au dojo. Dans le vestiaire des femmes, encore désert, j’ai enfilé mon débardeur de sport, puis mon judogi : pantalon blanc, veste croisée.

J’ai pris le temps de nouer correctement ma ceinture orange, avant de prendre ma bouteille d’eau et de verrouiller la porte du casier où j’avais placé mes affaires, et je suis allée retrouver mon frère. Virgile était en grande conversation avec un judoka que je n’ai pas reconnu, et je ne suis pas allée les embêter. J’ai posé ma bouteille dans un coin de la salle et salué le portrait de Jigoro Kano avant de monter sur le tatami, puis j’ai commencé à m’échauffer. Course, étirements et mouvements d’échauffement.

Mon frère m’a rejointe, et quand on s’est sentis chauds, on a commencé à travailler ensemble. Chutes arrière, chutes avant, chutes latérales. Taper le tatami avec le bras, au moment de l’impact, pour dissiper l’énergie et se faire moins mal.

Je sentais monter en moi une énergie que je pensais éteinte, comme un feu qu’on ravive patiemment à partir d’une étincelle minuscule…

D’autres judokas sont arrivés petit à petit, et nous avons fait une pause pendant qu’ils s’échauffaient.

« Alors, Moustique ? Ça fait pas du bien ? » m’a demandé Virgile en buvant dans ma bouteille, puisqu’il avait oublié la sienne. J’ai souri en réponse, et il a posé un baiser dans mes cheveux tressés. Ensuite, nous avons suivi le cours, travaillé différentes prises, et à la fin de la séance on a fait des randori, des combats au sol. J’adorais ça. On changeait de partenaire toutes les deux minutes, et je me suis fait immobiliser au sol par quelques gros gabarits, mais pas sans avoir lutté à ma façon – ou la technique de l’anguille, comme disait Virgile : me tortiller et m’agiter dans tous les sens, sans laisser à l’adversaire le temps de m’attraper.

En me couchant, j’étais fatiguée physiquement et non plus seulement émotionnellement, et ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé. J’ai bien dormi cette nuit-là, et le lendemain je tannais Virgile pour savoir quand on pouvait y retourner.

« Une fois par semaine, Bouchon. J’ai une soirée par semaine pour faire du sport, et Julia a son cours de yoga le lundi soir.

_ Oula, vous avez écrit un contrat, un planning ? » me suis-je moquée.

« Tu ne crois pas si bien dire. Tu peux y aller sans moi, mais mercredi prochain je serai là. En attendant, j’allais t’appeler : Nico et Gauthier ont envie d’aller skier samedi, tu en es ? »

J’ai accepté, bien décidée à profiter de chaque occasion pour me dépenser physiquement. Ça me faisait du bien, j’en avais même besoin. Mais depuis la mort d’Attila, c’est comme si je l’avais oublié…

Le vendredi, Nicolas est passé me chercher dans l’après-midi, et nous sommes allés diner avec Papa et Marité. Paul, invité bien sûr, avait décliné : un pot de départ au bureau risquait de s’éterniser.

Après le repas, et on est redescendus sur Clermont avec les skis sur la galerie du Land Rover. On a beaucoup parlé, avec Nicolas. Parlé d’Attila, de Paul, de moi et de mon chagrin, de la façon dont je tentais de le gérer.

« C’est bien que tu reprennes le judo, si tu ne vas plus courir tous les jours. Et c’est cool que tu viennes demain. J’avais peur que tu refuses…

_ Comme si vous m’auriez laissée faire… » ai-je fait remarquer, mi-figue, mi-raisin. Si j’avais accepté aussitôt que Virgile m’avait proposé d’aller skier, il m’était arrivé ensuite de regretter : à certains moments le blues était plus fort, et je n’avais envie de voir personne. Ni de bouger…

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