Chapitre 24

8 minutes de lecture

Avril 2017

« Il y a quelqu’un d’autre ?

_ Mais t’es malade ? » Passée la première réaction – un cri du cœur – j’en suis restée sans voix. Clément venait tout bonnement de m’accuser de le tromper. Quelques années auparavant, j’aurais fait un scandale dans les mêmes circonstances, j’aurais piqué une crise et claqué la porte avant de partir en courant. Ma relation avec Paul aurait au moins eu ça de bon : m’apprendre à faire face en adulte, à parler plutôt que de fuir…

Clément se tenait face à moi, et me regardait sans indulgence. Il attendait une réponse que je lui avais déjà donnée.

« J’ai surement beaucoup de défauts, Clément, mais pas celui-là. »

Il me fixait toujours, sans un mot.

« Qu’est-ce qui te prend ? Pourquoi tu penses ça ?

_ Tu n’es jamais disponible en ce moment, tu passes soi-disant ton temps à bosser, mais tu te plains que ton travail n’avance pas. Le kilométrage de ta voiture a explosé. Et tu me mens. » a-t-il énuméré calmement.

« Tu me surveilles, maintenant ? » Parler entre adultes, OK, mais je n’allais pas me laisser accuser sans réagir.

« Non. Je suis juste passé te chercher au dojo hier soir, et les autres m’ont dit que tu n’étais pas venue, alors que tu avais refusé qu’on se voie, à cause de ton cours de jujitsu. Et tu n’étais pas chez toi non plus. Alors je te le demande encore une fois : où étais-tu ? Et avec qui ? »

En luttant contre les larmes qui me brulaient les yeux j’ai murmuré :

« Je peux pas te le dire, j’ai promis… mais je te jure qu’il n’y a personne d’autre. C’est seulement un service que je rends à mon frère.

_ Nico ? Qu’est-ce qu’il a encore inventé, celui-là ? »

J’ai relevé la tête pour le regarder avec des yeux ronds : « J’ai pas parlé de Nico !

_ Non, mais les plans foireux, c’est toujours lui. Virgile ne te demande jamais rien à part garder ses mômes, et ça tu n’en fais pas un secret d’Etat. »

Bon. Il avait raison. Et définitivement, je ne savais pas mentir…

Avoir évoqué mon frère n’a pas arrangé les choses. Alors, en désespoir de cause, j’ai dégainé mon portable.

« Hey, Lou ! Tout va bien ? Je peux pas te parler, je suis encore au boulot…

_ Je sais mais j’ai besoin de toi. Il faut que t’en parles, Nico, je peux plus, là… »

Depuis un mois et demi, Meaza vivait dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile… à Aurillac. Mon frère allait la voir tous les week-ends, mais elle déprimait en dépit des cours de français qui occupaient une grande partie de ses journées, et Nicolas m’avait demandé d’aller la voir, ce que je faisais une ou deux fois par semaine. En cachette, puisqu’il refusait toujours de parler de Meaza à qui que ce soit.

« Lou, pas encore, s’il te plait.

_ C’était pas une question, Nico ! Clément pense que je le trompe, et j’ai pas l’intention de mettre mon couple en péril, même pour toi. Alors tu lui dis. Tiens, je te le passe. »

Et sans écouter ses protestations, j’ai tendu le téléphone à Clément qui avait suivi avec intérêt la conversation.

Je l’ai regardé s’éloigner un peu, il est allé dans mon bureau dont la porte était ouverte. Ça m’aurait fait sourire en temps normal : Clément avait horreur qu’on l’écoute parler au téléphone, et il s’éloignait toujours quand il pouvait, quitte à répéter la conversation mot pour mot par la suite…

Il est revenu rapidement, m’a rendu mon portable. Je l’ai regardé, incertaine de la conduite à tenir. Et c’est lui qui a pris la parole :

« Il a dit que tu pouvais m’en parler. »

J’ai bondi du bord de mon lit où je m’étais assise :

« Ah non, alors ! C’est trop facile putain ! Il va te le dire lui-même ! »

Et en même temps que la colère, j’ai senti la panique m’envahir, Clément n’accepterait pas d’attendre des heures que mon frère daigne le rappeler pour lui expliquer… L’air a commencé à me manquer, j’ai tenté de respirer plus régulièrement, plus profondément, et de contenir le tremblement de mes mains. Oh non, pas encore, pas une crise d’angoisse, bon sang, c’est pas le moment !

« Louise ? Louise ! » Clément tentait d’attirer mon attention, calmement. J’ai pris sur moi, et finalement réussi à faire refluer la panique et la sensation d’étouffement. Mon souffle était encore un peu tremblant, mais ça allait passer. J’ai levé les yeux pour le regarder : « C’est à lui de t’en parler, ne compte pas sur moi pour le faire à sa place.

_ Louise,

_ Désolée, mais non !

_ Mais tu vas m’écouter, oui ? » a-t-il rugi. Je me suis figée net. Depuis neuf ans qu’on se connaissait, je crois que c’était la première fois que je voyais Clément perdre son calme et crier. Il se tenait devant moi, me dominant de sa grande taille d’autant plus que j’étais de nouveau assise sur le lit. Ses yeux étaient durs, ses mâchoires serrées et ses poings crispés, posés sur le lit de chaque côté de mes genoux.

« Je suis d’accord, c’est à lui de m’en parler et je le rappellerai ce soir. » a-t-il dit plus calmement. « Dis-moi juste, parce que là vous me faites flipper… C’est grave ? Il est pas malade, au moins ?

_ Quoi ? Non ! »

J’avais envie de pleurer. Moi qui me faisais une joie de passer cette soirée avec lui…

« Je te promets, Clément, y’a personne d’autre. Que toi.

_ Je te crois. » a-t-il répondu à mi-voix.

C’est tout ? Il suffisait juste de dire ça pour qu’il soit rassuré ? Il eut un petit rire :

« Je te crois, mais ton frère a intérêt à m’expliquer. Et j’espère qu’il ne t’a pas causé d’ennuis. Même si c’est mon pote. » Puis, levant les yeux au ciel : « Bon sang, la famille Bréat, vous allez me rendre dingue avec vos cachotteries, va peut-être falloir apprendre à communiquer, hein… »

Et voilà… il était à peine 18 heures et Clément était rentré chez lui. Pour ‘prendre du recul’ en attendant le coup de fil de mon frère… Je suis restée comme hébétée, assise sur mon lit après son départ. Prendre du recul, ça me rappelait Paul. Me laissant tomber en arrière sur la couette, j’ai fermé les yeux en les sentant se remplir de larmes. Quel gâchis ! Les sanglots ont suivi, et j’ai pleuré de tout mon saoul, jusqu’à finir épuisée. Vidée. Alors je me suis levée et j’ai sorti un bloc de papier à dessin et ma boite de pastels. Puis, après réflexion, je les ai rangés : le fusain conviendrait mieux à mon humeur. J’ai noirci plusieurs pages, donnant corps à ce que je ressentais. Ce sentiment d’abandon et de solitude qui me minait, me collait à la peau. J’ai dessiné mes peurs et mes cauchemars, représenté mes pires craintes pour tenter de les exorciser… Je dessinais allongée à plat ventre sur le sol, et j’ai fini par m’endormir sur la moquette, un peu apaisée par mes pleurs et mes dessins, fatiguée aussi.

Une petite langue froide sur ma joue m’a tirée du sommeil, et j’ai senti qu’on me prenait dans les bras.

« Louise ! Louise, ma belle, ouvre les yeux… Chérie… »

Clément repoussait la chienne qui me léchait la figure, tout en me parlant et en me secouant doucement.

« Qu’est-ce qui s’est passé, Lou ? » Je clignais des yeux, regardant autour de moi, un peu désorientée. Il était parti en colère, et là c’est comme si rien ne s’était passé, son regard était tendre et amoureux. Ou alors j’avais rêvé ? « Tu as fait un malaise ? Lou, réponds-moi…

_ Clément, mais… qu’est-ce que tu fais là ? Et comment es-tu entré ? »

Il m’a portée jusque sur mon lit, avant de me répondre.

« Ça fait deux heures que j’essaie de te joindre, ma belle. Je m’inquiétais. Virgile m’a passé le double de tes clés. »

Me frottant les yeux, j’ai cherché mon portable. Une ribambelle d’appels en absence et de messages tant vocaux qu’écrits : Clément, Nicolas, Virgile. Et le téléphone en mode vibreur, posé sur la couette. Forcément, depuis le bureau je n’avais rien entendu. J’étais bonne pour les rassurer, mais d’abord je devais m’assurer de l’état d’esprit de Clément. J’étais perdue, il a dû le sentir parce qu’il m’a bercée, câlinée, en répétant :

« Tout va bien, Lou. Tout va bien. Chhh… c’est fini. Je suis là. » Puis il a ajouté : « Nicolas m’a tout dit. Je comprends. C’est une histoire de fous, mais il s’est fait engueuler quand même. A quoi ça rime, ces secrets ?

_ Tu ne m’en veux pas, alors ?

_ Bien sûr que non, princesse… Je suis désolé. Tu veux bien qu’on oublie tout ça ? »

J’ai accepté tout en regardant Lenka qui avait rampé entre nous et s’était installée sur nos genoux. Tranquille, Emile… Sur mon lit… Clément lui donnait de très mauvaises habitudes…

Il m’a secouée un peu, m’a poussée à faire à manger, puis j’ai trouvé une vieille serviette de toilette pour Lenka, qu’on a posée dans le coin de la pièce qui avait toujours été celui d’Attila. On l’a regardée s’installer, le petit machin minuscule, et Clément m’a attirée jusqu’à mon lit.

J’avais encore du mal à croire que sa colère se soit évanouie comme ça, après une simple discussion avec mon frère.

« Je n’étais pas fâché, Lou. J’avais peur. »

Peur ?

« J’avais peur de te perdre. » avoua-t-il en m’embrassant dans le cou. Lentement, en prenant son temps, il m’a déshabillée. Je me suis laissée faire un peu, puis je lui ai ôté ses habits aussi. Dans le noir. On s’est caressés doucement, longtemps, en s’embrassant. On prenait le temps de savourer, c’était tellement bon, tellement doux… Il m’a fait l’amour avec tant de tendresse, le plaisir s’est emparé de tout mon corps et même de ma tête, me laissant comme étrangement vide ensuite, et sans que je comprenne pourquoi, je me suis mise à pleurer.

Après quelques instants de panique, il pensait m’avoir fait mal, Clément m’a serrée contre lui, bercée et rassurée, embrassée. Il me disait que c’était sans doute les émotions, et que ça allait passer. J’ai fini par m’endormir dans ses bras, apaisée.

Quand son portable a sonné le lendemain matin, il a cherché longtemps dans le tas de fringues au pied du lit pour trouver son pantalon, puis la bonne poche, et pouvoir éteindre le réveil. Du coup j’étais bien réveillée moi aussi, de même que Lenka qui a traversé la pièce de toute la vitesse de ses petites pattes pour venir nous dire bonjour. On a déjeuné, et Clément est parti en me laissant la chienne, avec pour mission de la remmener chez lui et de la nourrir là-bas.

Je l’ai regardé partir au pas de course vers sa voiture, il était un peu à la bourre, ses élèves allaient avoir une fausse joie en pensant qu’il était absent ! Puis j’ai rangé rapidement mon appartement, avant de ramener Lenka. J’ai préparé le lait en poudre et les croquettes ‘spécial chiot’. Sa queue battait en mesure, elle relevait les yeux entre deux lampées pour me regarder. Je me suis sauvée, ça me faisait trop penser à Attila, je ne pouvais pas…

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