Données cryptées : le massacre de Nuniel

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Les ruines de Nuniel sont connues pour abriter un bon nombre de cristaux solénoïdes. Face à la demande, exponentielle ces dernières années, les prospecteurs sont prêts à prendre tous les risques pour en récolter, y compris braver la zone d’exclusion. Certains patrouilleurs se laissent facilement graisser la patte : c’est bien connu. Notre boulot, c’était d’empêcher d’autre prospecteurs d’accéder au site de ceux qui nous avaient engagés.

Tout s’est passé sans anicroches, jusqu’au jour où les mineurs ont excavé une dizaine de cristaux. Leur extraction est dangereuse : aussi avait-on l’habitude d’opérer en combinaison hazmat. Une bonne dizaine de mineurs ont perdu la vie lorsque la tête de leur foreuse a touché un cristal enfoui sous une strate de silice, provoquant une explosion thermonucléaire qui a fait fondre le site principal. Alors, les mineurs ont décidé d’aller creuser les ruines exo. Ils disaient qu’il y avait de bonnes chances d’en trouver dans ce genre d’endroit.

Les premiers cristaux ont été trouvés au bout de cinquante-trois heures de travail, à deux cent mètres de profondeur au milieu d’un cercle de monolithes à moitié écroulés. Pendant l’opération d’extraction, le commandant Gals nous a déployés aux alentours du site, pour monter la garde et empêcher d’éventuels pirates ou d’autres prospecteurs d’approcher. C’est là qu’on a entendu les cris. Bientôt suivis d’une déflagration sourde, qui nous a laissé sur le carreau pendant une bonne dizaine de minutes. Les mineurs étaient équipés de grenades de défense sonique, et certains avaient fait usage de leurs armes. Loin des circuits touristiques protégés par les balises énergétiques, Nuniel est pleine de grosses bestioles pas très gentilles.

Le commandant Gals a envoyé Rakim scanner le périmètre à l’infraonde : la zone était clear. On a fait sauter le cran de nos collisionneurs et on y est tous allés, les armures tactiques en mode engagement. Mais c’était trop tard. Les mineurs avaient tous été décapités, les têtes bien alignées en cercle, devant chaque monolithe. Des cristaux, il ne restait plus trace. Les agresseurs les avaient tous emportés. On est resté là, comme des cons, à scruter la jungle autour de nous. La plupart des hommes étaient terrifiés. Nos employeurs étant morts, on ne savait plus quoi faire. Le commandant Gals m’a envoyé sur un monticule proche pour envoyer une balise de détresse, afin que la barge de descente vienne nous chercher. On voulait tous se tirer de là le plus vite possible.

« Champ à haut niveau énergétique détecté ! » a hurlé Rakim sur le canal général.

Soudain, une explosion argentée a fait irruption des ruines. De là où je me trouvais, en tant que responsable des communications, j’étais aux premières loges. Un truc se déplaçait à une vitesse inimaginable entre les monolithes.

D’une voix gutturale, le commandant Gals a ordonné à ses hommes de tirer. Une douzaine de canons à plasma ont rugi comme une seule bouche de rage pure, réduisant les délicates statues et les monolithes marbrés à une pluie de poussière et de silice fumant et vitrifié. Mais lorsque les nappes de fumée se sont dispersées, la cible s’est matérialisée. Il s’agissait d’un organisme exogène. Un humanoïde à trois yeux rouges et à la peau d’iridium poli, orné de lames acérées. Sa silhouette de presque trois mètres brillait d’un gris argenté, comme s’il était recouvert d’une sorte d’armure liquide. Il tenait toujours debout, sans la moindre blessure apparente.

« L'Avatar de la Destruction » ai-je entendu crépiter sur le canal.

Je ne suis pas superstitieux, mais j’ai senti la médaille du dieu de la guerre peser sur ma nuque comme si c’était la pointe de l’épée de Damoclès. La créature qu’on appelle Avatar est un vieux mythe de troupier. Un genre de dieu de la mort issu de quelque culte exo interdit, qui doit apparaître au jugement dernier. Des rumeurs peu crédibles font état de sa présence sur les zones de guerre les plus impitoyables : j’ai entendu un type raconter l’avoir vu lors du carnage de Pessak, en faisant mes classes. Ce gars est mort depuis : je ne me souviens plus de son nom.

Comblant la distance entre les ruines et les miliciens en à peine quelques secondes, l’ennemi a atterri devant le lieutenant Vorcek avec une célérité impossible. Vorcek était un vétéran des guerres homoncules, un dur dont l’armure blindée se teignait du sang d’innombrables ennemis, exo comme humains. Cependant, en face de cet étrange ennemi, ce n’était plus qu’un novice tout juste sorti de ses classes. Alors qu’il levait son fusil d’assaut, la silhouette couronnée de lames l’a repoussé juste assez pour pouvoir passer sous sa ligne de feu et poser un doigt pointu et délicat sur sa nuque. Une seconde après, le sang giclait de tous les interstices du puissant exosquelette blindé de Vorcek, et ce dernier s’est écroulé au sol comme une poupée de chiffon.

Hors de lui, le commandant a vociféré des ordres et chargé. Mais, comme il le hurla sur le canal, ce fut pour se retrouver enveloppé dans un nuage d’obscurité absolue, alors qu’un liquide chaud et poisseux lui giclait sur le visage. Du sang : celui de ses hommes, tous exécutés par la cible. En raison de ma position périphérique, j’étais le seul à être encore debout.

Le commandant Gals a brossé d’un geste rageur l’hémoglobine sur son casque polymerisé et sommé son adversaire de l’affronter « comme un homme », en l’invectivant de toutes les manières possibles et imaginables. Alors, j’ai entendu un son complètement déplacé sur ce théâtre des opérations : des applaudissements.

Visiblement désorienté, le commandant a relevé les yeux pour voir la même chose que moi : la créature s’était matérialisée sur les restes de son lieutenant. Faisant montre d’une condescendance outrageuse, il applaudissait lentement de ses mains aux longs doigts griffus. J’imagine que c’était la manière qu’avait trouvé cet exo pour rire. En tout cas, cette démonstration de sarcasme a provoqué la fureur du commandant. Jurant toutes les obscénités qu’il connaissait, celui-ci a levé son fuseur à plasma pour exécuter l’arrogant exo. Mais son bras est tombé à ses pieds, l’arme encore au bout de sa main. Les yeux révulsés d’horreur, j’ai vu le commandant s’égrainer en morceaux : on aurait dit qu’il avait été découpé par une grille laser invisible, comme la similiviande fraîche à l’usine. Les blessures apparaissaient nettes et cautérisées avant même de toucher le sol. Puis la créature qui l’avait tué a exécuté un simulacre de révérence, avant de disparaître.

Témoignage d’un mercenaire privé vétéran de l’infanterie mobile sur la superstition hérétique dite de « l’Avatar », archives du SVGARD

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