À l'image de la Nuit : III

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Nous avions relativement peu de temps pour nous préparer : le banquet était annoncé dans moins d’un cycle. Le Mebd, comme toutes les colonies ældiennes, possédait ses propres coutumes, ses mets raffinés et un artisanat unique, que les ressortissants d'autres Cours ne parvenaient pas à syntoniser, même avec la technologie d'un cair comme l'Elbereth. Ren alla donc m’acheter une robe superbe, à longues manches, en soie et en gaze bleu pastel, avec un shynawil de velours assorti. Il m’offrit également un collier en pierre de lune et une fine chaîne d’argent en mithrine qui se portait sur le front comme un diadème. C’était des vêtements et des bijoux simples, pour les critères ældiens, mais à mes yeux, ils étaient magnifiques. Lorsque je fus habillée, mes enfants me complimentèrent à grand renfort d’exclamations.

— Tu es magnifique, commenta Ren en me voyant. Digne de la Galerie de Cristal où Edegil recevra les représentants des clans nobles.

— Arrête, souris-je, embarrassée. Par rapport au faste des ellith… Et puis regarde, j’ai toujours ce tatouage d’esclave.

Ren passa ses longs doigts sur ma joue.

— Qui t’a fait ça ? demanda-t-il, caressant.

— Uriel Niśven, avouai-je. Quand j’ai été élevée au rang de Grand Intendant. J’avais même un fouet… Et Lathé m’a offert des bijoux de tétons.

Maintenant que j’étais enfin en sécurité, dans les bras de Ren, je réalisai à quel point je m’étais sentie humiliée. Je décidai de ne pas lui parler des autres « présents » que Lathelennil m’avait faits. Je sentais bien que la tension commençait à monter entre les deux : inutile de jeter de l’huile sur le feu.

Je restai un petit moment dans ses bras, serrée contre son torse à écouter son cœur battre, avant de me séparer de lui.

— Et toi ? Qu’est-ce que tu vas porter comme vêtements ?

— Je me suis racheté une nouvelle tunique, me répondit-il en me montrant un vêtement simple de couleur neutre. Normalement, la règle est de porter les couleurs de la Cour où on est reçu. Notre salle de banquet est la salle nommée « Sable », alors c’est la couleur que je dois porter.

Je trouvais cela bien triste. Visiblement, seuls les monarques avaient le loisir de porter leur propre couleur.

— Comment te serais-tu habillé, si on t’avait dit de porter la couleur de ta Cour d’origine ? lui demandai-je par curiosité.

— En lune-argent. C’est la couleur d’Hiver.

— Pourquoi pas en noir ? Ta mère est Niśven.

Ren émit un rire bref.

— Jamais les Niśven n’accepteraient. Ma mère a perdu nom et titre le jour où elle a quitté Urdaban pour suivre Śimrod.

Je hochai la tête, pensive.

— Et Śimrod ?

— Je suppose qu’il porterait du lune-argent aussi. Nous sommes citoyens d’Hiver, tous les deux. Avec Mana et nos petites.

Et donc, Mana est bien votre reine, pensais-je en me rappelant qu’elle était, elle, invitée à représenter son Royaume dans la Galerie de Cristal. Et moi, reine de rien, même pas ældienne, j’y étais conviée aussi, par piston, sur les caprices d’un prince.

C’est injuste, songeai-je. Après tout ce qu’ils ont fait pour ces ældiens…

Même Arda et Eren avaient été mises à l’écart, alors qu’elles étaient autant les filles de leur mère et les petites-filles d’Amarië que leur sœur. Mais Erenwë était devenue filidh, et, en dépit de leur façon cavalière de s'inviter dans les Cours, il était évident que les bardes errants n’étaient jamais conviés à s’asseoir à la table des monarques.

Je regardai Ren, et son père qui venait de revenir. Ses cheveux avaient été démêlés, et il portait une nouvelle tunique, de la même couleur que celle de son fils. Il était resplendissant. Avec lui venait Isolda, qui portait également une robe toute simple couleur sable, ainsi que nos enfants : elle avait été conviée au banquet en tant que nourrice humaine pour les petits.

Je me sentis soudain être une vile usurpatrice. Toute ma tribu, ma famille et mes amis, était autour de moi, en me regardant comme si j’étais la reine de la soirée. On commentait ma mise avec admiration et un soutien ineffable. Mais qu’avais-je fait de plus qu’eux, à part attirer l’attention d’un seigneur dorśari ?

Lorsqu’on vint nous chercher, Ren ne put m’accompagner qu’à un certain point. Parvenu à quelques mètres de l’immense porte sculptée de la Galerie de Cristal, il s’arrêta.

— On se retrouve à l’Elbereth après le banquet ? proposa-t-il. Ou préfères-tu que je vienne t’attendre ici ?

— Je trouve ça tellement injuste, grinçai-je. Si toi et Śimrod n’aviez pas été là, ce vaisseau aurait été entièrement détruit… Et pourtant, on ne vous invite même pas au banquet de victoire, et on vous relègue aux cuisines comme de vulgaires sous-fifres ! Et Eren, qui aurait pu mourir mille fois en se battant aux côtés de sa troupe !

Ren, qui tenait toujours mes mains dans les siennes, secoua la tête.

— Ce n’est pas vrai, regarde : tout le vaisseau est convié à festoyer et à fêter la victoire, chacun dans une partie du vaisseau convenant à son rang. J’y serai avec notre famille et nos amis.

— Je vais refuser leur invitation, décidai-je. Comme ça, je pourrais être avec vous tous. Je ne veux plus que nous soyons séparés, même pas une seule heure.

— Mais Mana et Círdan y seront, eux. Va avec eux. Tu sais, c’est un grand honneur que d’être convié à la table autour de laquelle s’assoient tant de grands monarques mythiques. Une occasion à ne pas rater, surtout pour une humaine.

— Je préfère rester avec toi, nos enfants, tes filles, Śimrod, Naradryan et son père, Syandel et sa guilde. Même Roggbrudakh, le fidèle et courageux orc me paraît plus valeureux que tous ces princes imbus d’eux-mêmes !

— Tu es sévère, Rika. Edegil Arahael est un ædhel d’une grande bonté et d’une grande sagesse, qui mérite d’être connu. Et que dire de la reine Alatarielë Altanis, dame du cristal et des étoiles ! Il y aura aussi Neachneohainë, la célèbre Reine Rouge… Et puis, Syandel et ses gens ne resteront pas avec nous à table : ils ont prévu de donner une cathbeanadh.

Je haussai les sourcils, intéressée. J’adorais les représentations des bardes, et leur art en général.

— Ah oui ?

— Mais ils le feront dans la Galerie de Cristal, pour les monarques. Si tu veux bénéficier de cette chance, tu dois accepter l’invitation de Lathelennil. Tu peux lui faire confiance, tu sais. J’en suis persuadé. Il est dorśari, certes, mais en quelque sorte, il a montré sa loyauté.

Je soufflai bruyamment. Si Ren savait ce que Lathelennil pensait réellement de lui, et toutes les horreurs qu’il avait faites lorsque j’étais à sa merci, il serait probablement déçu. Et puis, il avait tout de même essayé de passer Isolda à la casserole, ni vu, ni connu.

— Je ne comprends pas pourquoi Lathé m’a invitée, confiai-je à mon époux. Il a dit que, puisque j’étais la femelle de l’Aonaran, il ne devrait même pas m’adresser la parole...

Ren posa doucement ses longs doigts sur ma bouche. Puis il se pencha pour m’embrasser. Immédiatement, je passais mes mains sur sa nuque, sur ses cheveux, un frisson de délices remontant mon réseau nerveux tandis que son panache doux et épais venait s’enrouler autour de moi.

— Quelle merveille, ce panache, lui murmurai-je dans le cou, tout en lui caressant l’oreille. Je regrettais tant de te l’avoir coupé !

— J’allais justement te proposer de le faire ce soir, dans notre khangg.

— Oh non, garde-le ! Tu me l’as déjà offert une fois.

Ren releva son regard félin sur moi.

— Mais alors, ça veut dire que tu ne veux pas qu’on s’unisse, tous les deux ? demanda-t-il après une légère hésitation.

Qu’il était mignon ! Et toujours aussi réservé sur ces choses-là. Je lui frottai la joue.

— Si, mais avec ton panache.

— Mais ce n’est pas approprié. Les femelles se sentent insultées, par un mâle panaché… Cela ne te dégoûte pas ?

— Au contraire, lui répondis-je en lui caressant l’épaule. Tu disais même que, sans ton panache, tu te sentais moins équilibré pendant les combats. Je préfère que tu le gardes : c’est plus sûr pour toi. Et puis… (Je le caressai pensivement). J’aime beaucoup cette fourrure, Ren. C’est doux et chaud, ça sert à plein de choses.

— D’accord, acquiesça-t-il. Tant que ça te plait...

Après un dernier baiser sur la joue, je me détachai du refuge de ses bras. À regret, je dois dire : je n’avais qu’une envie, envoyer bouler ce banquet des élites ældiennes pour aller m’enfermer dans notre cabine avec lui.

— Bon. Quand faut y aller…, marmonnai-je.

Ren me gratifia d’un petit sourire d’encouragement.

— Tu verras. Tout se passera bien.

Je hochai la tête. Puis je pris mes distances.

— Amuse-toi bien ! me souhaita Ren avec un signe de la main.

Il resta là, sur place, le sourire aux lèvres, jusqu’à ce que je lui tourne le dos. Je me retournai une fois : il était encore là, à me regarder.

En arrivant près de la porte monumentale menant à la Galerie de Cristal, je remarquai Lathelennil. Il avait tout vu. Adossé contre un mur, les bras croisés, il dardait sur moi son regard noir et brillant, bouillant de jalousie.

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