Le dernier chant de Mebd : III

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Je courus à la suite de Lathelennil dans les couloirs, anormalement silencieux. Nous repassâmes sur nos pas, devant les corps des ennemis que nous avions tués, dont la flaque carbonisée qui avait été le corps d’emprunt de Keri, ce qui était assez désespérant. Arrivés à une coudée de couloir, Lathelennil m’arrêta.

— Non, pas par là, fit-il en secouant la tête. Attends.

Avisant une console, il fit mine de poser son nouveau cristal dessus. Cette fois, c’est moi qui l’arrêtai.

— T’es fou, ou quoi ? lui murmurai-je. Le Mebd est complètement contaminé, maintenant. D’après ce qu’un ingénieur ældien m’a expliqué récemment, la première chose à être atteinte, en cas d’attaque, ce sont les réseaux dimensionnels !

Lathelennil tourna ses yeux noirs et brillants sur moi.

— T’as raison, admit-il du ton légèrement inquiet de celui qui vient d’échapper à un terrible piège.

— Retournons dans la salle principale, proposai-je. De là, je sais comment aller chez le petit.

Nous refîmes donc exactement le chemin inverse de celui que nous avions accompli à l’aller. C’est avec une prudence extrême que nous posâmes le pied sur la dernière marche de l’escalier menant au niveau de la salle immense dans laquelle la bataille avait eu lieu. Lathelennil m’était passé devant, et il avançait à pas de loup, circonspect. Puis il se tourna vers moi, et fit un geste pour m’inviter à le suivre.

— La voie est libre, fit-il sans cesser de regarder devant lui. Et ici, on dirait que le combat est terminé.

Il l’était, en effet. Des monceaux de cadavres s’amoncelaient juste là où nous nous tenions à peine une trentaine de minutes avant. Nombre d’entre eux étaient des filidhean. Je m’agenouillai près de l’ældienne de petite taille qui avait sorti Lathelennil de sa transe, et soulevai son masque. À mon grand étonnement, je découvris qu’elle avait l’air assez âgée. Ses yeux blancs fixaient le vide, grands ouverts.

Au moins, ce n’est pas Eren, me félicitai-je.

— Un oracle, fit Lathelennil en arrivant dans mon dos. Toutes les troupes filidh en ont au moins un, et elles y tiennent un rôle très important, presque égal à celui de l’ollamh. Celle-là semble avoir vu au moins dix mille révolutions… Tout ça pour mourir là, comme un insecte !

Je me mordis la lèvre, cherchant à éviter de jeter une réplique bien sentie à Lathelennil. Ses petites piques nihilistes commençaient à me taper sur le système.

Ren, lui, était toujours positif, me rappelai-je.

Oui. Sauf que Ren, c’était fini.

Je me relevai.

— Allez. On est plus très loin.

La tour d’habitation en forme d’arbre géant dans laquelle vivait Naradryan semblait étrangement intouchée par le chaos et les combats. Mais ce n’était qu’une impression, car nous découvrîmes un nombre important de cadavres d’ældiens, à l’intérieur. Des mâles, des femelles, des enfants… Je réalisais alors que si je n’avais pas pris Naradryan avec moi dans cette expédition à la bien nommée Cascade du Chagrin, le petit serait mort.

— Cela aurait peut-être mieux valu ainsi, tu ne crois pas ? commenta aimablement Lathelennil lorsque je lui fis part de mes réflexions. Ce gosse est un vrai poids mort.

Du bout de son sabre, il souleva une tenture tombée sur une ældienne blonde et dénudée, morte.

Je lui donnai une bourrade.

— Tu n’as donc de respect pour rien ! grognai-je.

Il me jeta un regard mauvais.

— Si…, fit-il en se penchant.

Je crus qu’il allait tâter la poitrine du cadavre, mais il fouilla son cou pour saisir son cristal, sur laquelle il tira d’un coup sec.

— En voilà au moins une que Shemehaz n’aura pas, fit-il en se relevant, avant de glisser la gemme dans sa poche. Arrivé à Minas Athar, je demanderai à quelque sorcier de me la ranimer : avec un peu de chance, elle aura la reconnaissance du ventre !

— Tu es horrible, Lathelennil, fis-je en lui passant devant.

Mais je fis comme lui, et me mis à collecter tous les cristaux que je trouvais, ce qui le fit bien évidemment ricaner.

J’avais peur de ce que j’allais trouver chez Naradryan. Songeant à quel point cette petite habitation m’avait semblé être un havre de paix lorsque j’y avais dormi il y à peine deux jours, j’eus le cœur gros.

Le père de Naradryan était toujours avachi dans son alcôve. Comme je n’osais pas m’en approcher, Lathelennil me passa devant et, d’un geste félin, il s’accroupit près du corps en armure.

— Mort, statua-t-il après avoir touché sa gorge.

J’en restais sans voix. Qu’allais-je annoncer à Naradryan ?

— Pourquoi tu le prends, alors ? murmurai-je en voyant Lathelennil le charger sur ses épaules. Prends plutôt son cristal.

— J’ai promis au môme que je ferais tout mon possible pour ramener son père. Il nous fera la vie impossible si je reviens sans… Et je serais obligé de le balancer dans l’espace. Il est lourd comme le diable, cet aios ! Passe devant et ouvre la voie. Si tu vois l’ombre d’une arme, d’un humain ou d’un orcanide… Tu me le dis.

Notre petit convoi quitta le quartier des habitations le plus discrètement possible. Au moment de repasser dans la grande salle où s’était déroulée la bataille entre les hordes démoniaques et les filidhean, je m’arrêtai.

— Qu’est-ce que tu fais ? souffla Lathelennil, qui souffrait sous le poids mort du corps du père de Naradryan. C’est pas le moment de trainer !

Mon regard était irrésistiblement attiré vers le corridor où Ren, Śimrod et ma menace que les ældiens appelaient Shemehaz s’étaient battus. Je voulais savoir… L’avaient-ils emporté ?

— Attends, dis-je à Lathelennil. Je voudrais aller voir.

De nouveau, Lathelennil protesta.

— Je reviens, dis-je sans lui laisser le temps de m’arrêter.

Je courus en direction du couloir, enjambant les cadavres et les restes de massacre. Le corridor en question était marmoréen, immense, composé d’arches croisées et de colonnes titanesques culminant à plusieurs centaines de mètres. Au milieu se trouvaient plusieurs arbres, immenses et noircis. Sur l’un d’eux, je vis une créature épinglée au tronc par une immense lance. C’était un ældien lourdement scarifié à la somptueuse chevelure rouge, qui, dans la mort, avait repris les traits magnifiques de ce qu’il avait été avant sa chute. Du monstre incarné que Ren et son père avaient affronté, il ne restait plus rien, si ce n’est un symbole étrange, une sorte de petit losange avec deux traits sur les faces supérieures, gravé dans sa peau d’albâtre.

— C’est le glyphe de l’Aonaran, fit Lathelennil, qui m’avait rejoint. Quand on retrouve ça sur le champ de bataille, on sait qu’il était là, et ça sert d’avertissement. Ton Ren et son vieux papa ont vaincu le big boss… Je te l’avais dit : avec deux Aonaranan sur l’échiquier, cette bataille, au final, sera remportée. Le Ráith Mebd mettra du temps à s’en remettre, certes. Mais ça, c’est pas notre problème. Viens, maintenant. Le théâtre des opérations s’est déplacé ailleurs, mais il peut toujours y avoir quelques rôdeurs qui traînent en arrière. Mieux vaut ne pas s’attarder.

Je jetais un dernier regard à l’abomination épinglée sur cet arbre qui, à l’image de ce vaisseau, avait été si beau, et qui, désormais, restait là, brisée, témoignage de la colère vengeresse des filidh. Le dernier chant du Mebd.

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