Le mirage des jours passés : IV

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J’allais retrouver Ren, occuper à ranger et trier nos affaires, qui avaient été reconstituées par le syntoniseur du vaisseau à partir des données stockées sur les sauvegardes portatives.

— On n’a presque plus de matière première, m’apprit Ren en finissant de plier des vêtements sur le lit. Il va vite falloir trouver un coin où on peut siphonner un peu de carbone, entre autres. Je ne peux décemment pas demander au Ráith Mebd… Ils ont déjà beaucoup trop consommé pour refaire les quartiers qui ont été détruits pendant l’attaque.

Je m’assis sur le lit, pensivement. Mes yeux tombèrent sur ma vieille sous-combinaison de naute, et celle que Ren s’était faite faire, tout au début, avec son trou en bas du dos pour laisser passer son panache.

— Quand compte-tu partir ?

Ren me jeta un regard rapide.

— Le plus tôt possible. Demain, dans l’idéal… On a déjà beaucoup trop abusé de l’hospitalité d’Edegil.

Je fis la moue. Je ne voyais pas vraiment les choses comme lui.

— Qui on prend comme équipage ? Et pour aller où ?

Ren s’assit sur le lit.

— En plus de l’équipage de base – les deux navigatrices, toi, moi, les trois petits, Isolda – il y aura bien sûr Śimrod, qui va repartir sur son cair en passant par le portail de l’Elbereth. Après… Angraema a son propre vaisseau, et je doute qu’elle veuille venir avec nous. Círdan la suivra, et de la même façon, je pense qu’il aura besoin de se changer un peu les idées… Arda ira sans doute avec sa mère, continuer sa formation, fit Ren en faisant une drôle de tête.

— Quelle formation ?

— Sa formation de haute prêtresse de Lethë.

— Oh… Ah. Et il n’y a rien que tu puisses faire pour la faire changer de voie ?

— Je ne suis que son père : je n’ai pas mon mot à dire. De toute façon, elle refusera.

Il se leva à nouveau, et tira une autre caisse de vêtements vers lui.

Je le regardai les trier un petit moment, puis je posai mon autre question :

— Et où va-t-on ?

— Je ne sais pas. On pourrait naviguer un peu dans une zone inexplorée… Et se trouver une petite planète sympathique pour se reposer ou se changer un peu les idées.

Je me serrai contre lui.

— Oh, ce serait tellement bien… Et pourquoi pas une croisière ?

Ren releva son regard lactescent sur le mien.

— Une croisière ?

— Oui, une croisière, sur un bateau de croisière. Je rêvais de ça, quand j’étais gamine. C’est un vaisseau hyper luxueux qui fait un circuit dans les plus beaux endroits de la galaxie, comme la planète paradisiaque de Nuniel.

— Nuniel ? fit Ren en fronçant les sourcils. C’était une colonie importante de l’empire ultari, ça, autrefois.

— Maintenant, ça appartient à l’Holos.

Il regarda droit devant devant lui et déplia un bout de tissu sur son genou d’un air contrarié. Sa queue, déroulée derrière lui sur le lit, se mit à s’agiter.

— Bon, je suppose qu’il vaut mieux cela plutôt qu’une disparition totale, comme le reste de notre empire… Qu’est-ce qu’on fait, sur ces navires ? Quelles sont les occupations ?

— On mange, on joue au casino, on va à la piscine ou à la plage, au cinéma, aux concerts, on se fait des amis parmi les autres voyageurs, on re-mange… Et on fait l’amour dans un grand lit immense, plein d’options marrantes et de joujous, fis-je en enfouissant ma tête contre lui.

— Ça m’a l’air un peu licencieux, tout ça, dit-il d’un faux air sévère.

— Ça amuserait beaucoup les petits, en tout cas.

— Est-ce que ces croisières acceptent les non-humains ?

— Certaines, oui. Mais pas beaucoup, avouai-je. Et il faudra sans doute mentir sur votre origine.

— Et qu’est-ce qu’on fait d’Elbereth, pendant ce temps là ?

— Soit tu la mets en cale dans l’astroport de la compagnie – ils te gardent ton vaisseau et te le bichonnent – ou dans un lieu de ton choix.

— Ça me paraît trop peu sûr. Je préfère le laisser dans le Dédale. Et puis je t’avoue que m’en éloigner m’ennuie un peu…

— Allez, Ren. Dis oui. On en a besoin tous les deux, après tout ce qu’on a vécu !

— Bon. Si ça te fait plaisir.

Je l’embrassai sur la joue et le laissai, avant d’essayer de me connecter au Crypterium pour consulter le catalogue.

— Faudra croiser près d’une colonie humaine, lançai-je à Ren. Pour avoir un peu de réseau et choisir notre croisière !

Toute guillerette, je sortis de la chambre pour rejoindre la salle des commandes. Là, je croisai Elbereth, qui m’arrêta au passage.

— Rika, il y a un mâle bicolore qui te demande à l’extérieur… Un dorśari. Je ne l’ai pas laissé apponter car il m’a l’air très louche.

— C’est Lathelennil, l’oncle de Ren, lui appris-je.

Elbereth me regarda.

— Alfirin ! l’entendis-je appeler. Est-ce que je fais entrer l’ædhel bicolore qui est à la porte ?

— Oui, tu peux, lui répondit Ren de nos appartements.

Lathelennil fut ainsi reçu sur l’Elbereth. Il fit le tour du pont avec un regard plissé et appréciateur, avant de se tourner vers moi.

— Beau vaisseau, observa-t-il avant d’accepter le verre de gwidth que Dea lui amenait sur un plateau.

— Merci.

Lathelennil porta la coupe à ses lèvres en me fixant de son regard intense. Il la vida sans me lâcher une seule fois du regard, puis il tendit le gobelet sur le côté, menaçant de le lâcher au sol comme le faisaient les seigneurs de la guerre dorśari, habitués à avoir une armée d’esclaves rampant à leurs pieds. Je le récupérai moi-même, pour éviter à Dea cette humiliation.

Lathelennil en profita pour s’approcher et venir me renifler.

— Je connais cette odeur, murmura-t-il d’une voix rauque à mon oreille. Ce produit, c’est ce que j’utilise avant de transpercer de ma lance mes esclaves adannath. Ah, et tu ne portes plus ma marque... Tu as été saillie par ton maître, hier soir ?

J’entendis le cliquetis caractéristique d’un bâton à plasma sur le côté, alors que le gentil « oncle Lathé » se rapprochait dangereusement, les mains un peu trop baladeuses.

— Capitaine, dois-je tirer sur ce malotru ? fit la voix de Dea.

— Non, ça ira, merci, Dea, fis-je en repoussant Lathelennil d’une main sur son plastron de poitrine.

Il s’apprêtait à dire quelque chose – encore une allusion malvenue, probablement – puis se ravisa. Je le vis lever un œil en direction du couloir, vers Ren qui apparaissait à la porte de nos appartements. Les deux se saluèrent de la tête, en silence, tout en restant à distance prudente. On aurait dit deux chats à la lisière de leurs territoires respectifs.

— Vous partez ? s’enquit Lathelennil en avisant les caisses de rangement qui encombraient le couloir un peu partout.

— Oui, lui répondis-je.

Il hocha la tête à nouveau.

— Juste avant la bataille… ?

Un fin sourire lui souleva le coin des lèvres, d’un seul côté.

— Quelle bataille ? demanda Ren, qui était apparu dans mon dos.

Il avait donc fini par se rapprocher. Lathelennil releva son regard d’encre sur lui.

— Edegil vient de sortir de la Salle des Âmes… Il est formel. Un essaim de changeurs-de-forme se dirige en direction de la planète Nuniel, une ancienne colonie d’avant la Chute… Et elle n’est pas toute seule. Elle y va pour fusionner avec un autre essaim. Si l’accouplement de ces deux clans se fait, on se retrouvera avec une nouvelle espèce qui peut potentiellement mettre en danger toute la galaxie, et nos royaumes survivants en premier lieu. Edegil, en accord avec les autres monarques, a décidé de profiter d’avoir une grosse force de frappe réunie ici – les armées dorśari – pour aller nettoyer l’un de ces essaims parasites avant qu’il n’atteigne Nuniel. Moi et mes frères, on y sera avec notre host. Ainsi qu’Angraema, d’ailleurs. Les filidhean sont déjà repartis... Qu’est-ce que tu comptes faire, gardien d’Æriban ?

Lathelennil fixa mon mari avec sourire goguenard, une lueur de défi dans les yeux. Ren soupira.

— Nuniel…, murmura-t-il. Ce n’était pas la planète où tu comptais partir en croisière, bien-aimée ?

Je le laissai m’embrasser tendrement le haut de la tête.

— Si… Mais on peut aller ailleurs, tu sais. Je n’ai pas forcément de préférence.

— Si on ne fait rien, vous n’aurez plus aucun endroit où aller en croisière, grinça Lathelennil. Alors ?

Ren releva les yeux.

— Je vais réfléchir. Merci de nous avoir prévenus, en tout cas, fit-il en me serrant contre lui. Ah oui, et si tu vois ton frère Uriel… Dis lui que je vais venir lui parler très bientôt.

Lathelennil fronça les sourcils.

— Lui parler ? Qu’est-ce que tu vas lui dire ? Il faut demander une audience. Mon frère est prince, il ne reçoit pas les roturiers sur une simple demande, sur un claquement de doigts !

— Tu as raison. Je vais devoir renoncer, alors. J’enverrai un émissaire. Tu viens, Rika ?

D’une pression insistante, Ren m’invita à le suivre dans nos appartements. Je fis un signe de la main à Lathelennil, qui fixait Ren d’un air furieux.

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