Le seigneur des épées : III

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— Les clowns lui ont retourné la tête, statua Lathelennil, les bras croisés sur le lit, dans la cabine qu’on m’avait octroyée. Je suis sûr que si on reste plus d’un cycle à leur bord, ils vont chercher à nous recruter nous aussi, en nous chantant je ne sais quelle fable sur le destin ou l’avenir de la galaxie ! Leur dieu est avide de soldats : ils tombent tous comme des mouches.

— Syandel doit se réjouir d’avoir un ingénieur aussi capable que Círdan à son bord, murmurai-je. D’après ce que j’ai compris, les filidhean sont autonomes pour tout, même ce qui concerne la technologie. Un ingénieur de la trempe de Círdan est plus que précieux à un tel équipage.

— Alors, ils chercheront à me recruter moi aussi, fit Lathelennil sans oser me regarder. Je sais réparer un cair, et fabriquer pas mal de matériel...

Je n’en doutais pas. Mais il avait eu besoin de me le dire. Bizarrement, au lieu de m’agacer, cela me fit sourire. Lathelennil, par certains côtés, était plus vulnérable qu’un enfant.


                                                                            *


Après le repas et le bain que nous offrirent les filidhean – sans se mêler à nous, quoi qu’ils permirent à Eren et à Círdan de manger en notre compagnie – je me retrouvai seule dans ma cabine, à surveiller sur mon corps d’éventuels signes de la présence de ma portée. Ce fut Cerin qui m’en donna, en venant se coller contre mon ventre :

— De nouveaux frères et sœurs… Je me réjouis, maman !

Nínim vint aussitôt toucher mon ventre et me dire la même chose. Maintenant que les petits savaient, je ne pouvais plus reculer.

Mais Caëlurín, lui, piqua une véritable crise.

— Non ! hurla-t-il. Non ! Je ne veux pas de petits frères et sœurs ! Je ne veux pas être remplacé ! Non ! Je suis encore petit, j’ai besoin de mes parents !

Ce discours me bouleversa. Caëlurín répétait ce qu’il n’avait fait qu’entendre ces derniers temps : ce petit a besoin de sa mère, attention, il est fragile

Lathelennil, qui dormait dans la cabine à côté, déboula immédiatement, la main sur sa dague.

— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-il.

Puis, ses yeux tombant sur un Caëlurín en larmes – en tant que perædhel, il savait pleurer – il se baissa et le tint par les épaules.

— Tu ne seras pas remplacé, lui dit-il en le fixant dans les yeux. Chaque ædhel est unique et précieux aux yeux de ses parents. Même moi, avec ma robe de deux couleurs différentes, j’ai été accepté. Alors que dire de toi, avec ta robe rare et ton joli visage ? Tu es amené à un destin unique, tu deviendras un mâle beau et fort. Alors, ne crains pas la concurrence de tes frères et sœurs.

Ses propos calmèrent Caëlurín mieux que tout ce que j’aurais pu faire ou dire. Le petit insista pour dormir avec lui, et je dus demander, gênée, à Lathelennil de rester pour la nuit. Ce dernier s’exécuta sans triompher de sa double victoire, faisant montre d’une galanterie insoupçonnée. Lorsque les enfants se furent endormis, c’est plutôt honteuse que je me rapprochais de lui pour qu’il s’occupe de ma future portée. En lui ouvrant mes bras, je me fis l’amère réflexion que, presque en tout point, il avait su remplacer Ren.

                                                                                        *

En m’éveillant le lendemain matin dans les bras de Lathelennil – entre lesquels j’avais passé, en plus, un très bon moment : il était inutile que je me mente encore – je pris la décision de tout dire à Ren dès que je le reverrai. Je me devais de lui dire la vérité. Surtout qu’un des rejetons de la portée, ou plusieurs, risquaient d’être bicolores, ou de présenter d’évidentes caractéristiques Niśven. Ren était lui aussi – il faut le rappeler – à moitié Niśven, alors un petit aux yeux d’encre liquide et à la robe de nuit pouvait passer. Angraema, par exemple, était née ainsi, à l’image de ses oncles aux cheveux de jais, au visage aigu et au regard d’aigle. Mais un petit bicolore… Il ne fallait pas que je prenne mon compagnon pour un idiot. Lui mentir là-dessus aurait été un manque de respect.

Le lendemain, j’allais avec Lathelennil aider Círdan à réparer l’astronef des troubadours. Pour ma part, c’était surtout pour apprendre : si je savais retaper un vaisseau, j’étais incapable de faire quoi que ce soit avec la technologie ældienne. En voyant Círdan travailler, je me rendis compte que ce serait toujours le cas. Les yeux fermés, ses mains parcourant les organes internes fossilisés du cair sans le toucher, il faisait repousser, par le biais des configurations, des pans entiers de parois en os cristallisé de wyrm. Mais après une journée à opérer de cette manière, lorsque l’étrange lumière fantôme qui baignait cette planète baissa, il nous annonça, couvert de sueur, qu’il ne pouvait rien faire de plus.

— Ce cair est mort, nous dit-il. Il n’y a rien que je puisse faire pour le ramener à la vie : je ne suis pas assez puissant. Edegil le pourrait peut-être… Mais je ne suis pas Edegil.

Lathelennil le regarda d’un air concerné.

— Bon. Quelles options il nous reste ?

— Attendre les éventuels secours de la part du Shynawil Muet… Ou tenter de passer le portail, malgré les obstacles.

— Je suis d’avis de tenter cette option, fit Lathelennil avec fougue.

Círdan posa ses beaux yeux couleur de feu sur lui.

— Il faut en parler à Syandel. C’est lui qui prendra la décision.

Lathelennil regarda partir Círdan en maugréant.

En parler à Syandel… Comme si c’était Anwë en personne ! Je suis prince, moi, et fils d’un Haut-Roi qui a gouverné les 21 Royaumes. C’est à moi qu’on devrait obéir, normalement.

— Les filidhean ne reconnaissent aucune autre autorité que la leur, lui rappelai-je dans un murmure.

Une espèce de vibration traversa le vaisseau. Lathelennil se tourna vers moi.

— Ne parlons pas trop fort…, fit-il en Commun. Chez les clowns, même les cír ont des oreilles.

C’était vrai. À peine avions-nous rejoint Syandel dans la salle des commandes du cair défunt qu’il nous accueillit d’un tonitruant :

— Alors, j’entends que vous voulez tenter le portail submergé ?

Lorsque Lathelennil acquiesça, il ajouta :

— Vous vous doutez bien que c’est un défi que même le grand Anwë lui-même ne voudrait pas relever ?

Lathelennil planta ses yeux noirs dans les siens.

— Anwë, je ne sais pas, mais un prince de Sorśa, oui, mille fois oui.

Sylandri le regarda, le sourire jusqu’aux oreilles.

— J’imagine donc que tu as quelque plan, quelque stratégie, prince ?

— J’en ai un, oui, répondit Lathelennil à voix basse, le regardant par en dessous.

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