La compagnie vengeresse du vœu exaucé

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Les filidhean ne nous suivirent pas dans le portail, préférant attendre les renforts de la guilde du Manteau Silencieux. Comme le dit Lathelennil avec son cynisme habituel, ils n’étaient venus assister au spectacle que pour prendre une leçon de nécromancie, ou, plus vraisemblablement, pour se moquer avec méchanceté en cas d’échec. Mais sitôt que moi, Lathelennil et mes enfants eûmes gagné le portail, ils se dispersèrent, retournant à leurs mystérieuses occupations. Seul Círdan, de loin, me fit un petit signe de la main.

Sitôt débarquée à Dorśa, je demandais à Lathelennil un astronef pour retourner dans le système de Nuniel et retrouver Ren. Mais je ne pouvais pas le conduire, et Lathelennil devait d’abord accomplir ses devoirs auprès de Demosariel. Il lui sacrifia mille orcanides – une scène à laquelle je n’assistai heureusement pas – et se rendit ensuite au temple de Demosariel, situé sur la face cachée de la Lune, pour se faire punir, ainsi qu’il l’avait promis.

En un sens, j’étais admirative de la façon sans concession dont Lathelennil tenait ses engagements. Tout cynique, amoral et dépravé qu’il fut, le dorśari respectait la parole donnée à la lettre. Cela, Ren me l’avait dit, lui qui pour une raison obscure lui avait fait confiance dès le début, alors même qu’il n’approuvait pas sa façon de vivre. Il y avait une sorte de respect mutuel, ou plutôt de mystérieuse complicité entre les deux mâles, qui pourtant, avaient des valeurs radicalement opposées. Cela ne manquait pas de m’intriguer.

J’étais reçue dans le palais des Niśven, dans l’ensemble des pavillons qui lui était octroyé. De la fenêtre de mes appartements, je pouvais voir la tour d’Uriel, dans laquelle j’avais été retenue prisonnière presque un an durant. Maintenant que j’étais passée du côté des maîtres – les esclaves et autres serviteurs rampaient à mes pieds, littéralement, reconnaissant l’odeur de Lathelennil et la marque d’Uriel sur moi – la Cité Noire me semblait d’une beauté envoûtante, exsudant une vénéneuse fascination.

Lathelennil revint du temple lunaire d’humeur assez taciturne. Je le laissais partir se reposer sans le harceler, malgré mon impatience de rejoindre Ren. Puis, n’y tenant plus, j’allais le retrouver dans ses appartements, m’y introduisant au nez et à la barbe des fynasyn et autres sluaghs qui rôdaient dans les couloirs d’un air mauvais.

Il dormait sur le ventre, le dos lacéré, les cheveux attachés sur le haut du crâne pour éviter qu’ils ne se collent sur la charpie sanglante qu’était devenu son corps. Je m’allongeai à côté de lui et regardais son visage endormi. Je me sentais confuse. Pendant un moment, je me surpris à souhaiter être ældienne, devenir véritablement cette Baran d’Aendel qui aurait pu réclamer deux mâles sans que cela ne pose de problème à personne, et surtout pas aux deux intéressés. Mais j’étais une humaine, et Ren comme Lathelennil m’avaient choisie justement parce que je n’étais pas une de ces fières et féroces ædhellith qui se servent d’eux comme repose-pied. Les deux allaient préférer s’entretuer plutôt que de me partager.

Et ce sera toi qui paieras les dommages collatéraux, pensai-je en repoussant une mèche de cheveux blancs sur le visage de Lathelennil.

Ce dernier ouvrit les yeux. Il me regarda en silence.

— Est-ce que ça va ? lui demandai-je. Tu n’as pas trop mal ?

Je m’attendais à ce qu’il m’envoie bouler. Mais il n’avait même plus la force d’être méchant.

— J’ai connu mieux, grinça-t-il, sarcastique. Mais c’est le prix à payer pour faire plier les sældar.

Je ne pris pas la peine de lui rappeler qu’on ne sortait jamais gagnant de ce genre d’échange.

— Demosariel m’a dit que tu étais l’une de ses fidèles, murmura Lathelennil. Pourquoi ?

— Ma famille s’est convertie à une église hérétique, lorsque j’étais petite. Ils vénéraient Demosariel.

— Je croyais que c’était interdit, chez les adannath.

— Ça l’est. Toute ma famille fut exécutée pour ça.

Silence.

— Laisse-moi t’embrasser, répliqua Lathelennil en guise de réponse, le feu dans ses yeux noirs.

D’un geste, il défit ses cheveux, qui retombèrent librement sur ses épaules.

Visiblement, la mention de la mise à mort de ma famille pour tendances et pratiques hérétiques aiguisait sa passion. C’était normal : il était dorśari.

Cette fois, pendant les opérations de maintenance de la portée, je gardai les yeux ouverts. Son regard abyssal – deux puits d’encre noire, au fond desquels dansait une lueur de chandelle – resta fixé sur le mien pendant toute la procédure. Pas une seule fois il ne regarda ailleurs, sur la vision que je lui allouais, par exemple : allongée sous lui, les poignets sous ses mains, complètement offerte, comme il était censé aimer. Je savais qu’il buvait littéralement ce qu’il voyait dans mon regard – quoique ce fût – mais pourtant, il ne se nourrissait pas de moi. Même si elle était parfois ardente et affamée, son étreinte restait douce. Sans tout à fait se retenir de m’en faire, il n’essayait pas de me faire du mal. Et moi, en bonne hérétique, j’appréciai cela. Une hérétique chevronnée, prostituée aux exos ældiens, ne prenant son plaisir que dans ces unions contre nature… Voilà ce que n’importe quel fonctionnaire de l’Holos aurait dit de moi. Et il aurait eu raison.

À la fin, il se pencha, et, se retenant de me mordre, il me murmura à l’oreille les mots fatidiques. Je me contentai de caresser ses cheveux libérés, le serrant contre moi.

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