Notre Tyrn-an-nnagh : III

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Dans la barge, coincée entre deux énormes légionnaires, j’aperçus le terrible siège que faisaient les forces conjointes ældiennes à la station de Lukor. D’énormes navires de guerre ultari, redoutables avec leurs angles agressifs, flanqués de gros astronefs anthracite crûment peints d’une grosse main griffue et d’un œil rouge, couverts de trophées macabres : les forces orcanides du wurg de Roggbrudakh. À leurs côtés se tenait le fier navire de guerre ældien du prince Eärendil, as sidhe du Ráith Mebd : le Simorghanan. Puis celui du prince Rhymesh, amiral de la flotte de guerre d’Edegil. Une défense non moins impressionnante, composée d’un bataillon d’Astra Leo, parachevait le tout. L’assemblage des troupes en présence était pour le moins surprenant : des orcanides avec des ældiens, des princes de Lumière aux côtés de princes d’Ombre… Même la présence des Astra Leo, qui avaient fait ennemi commun avec ces mêmes ældiens quelques semaines avant, jurait.

— Vous êtes fière de vous ? grinça à mon attention le troufion qui s’était fait recadrer – et presque tuer – par Lathelennil.

L’auxiliaire de survie de l’unité l’avait pris en charge sitôt embarqué dans la barge. Avec son gros pack d’urgence sur le visage, attendant que ses tissus se ressoudent sous l’action du mini-syntoniseur qui y était intégré, il ressemblait à un examinateur professionnel d’armes de guerre de Keteres pour qui le test s’est mal déroulé.

— Très fière, répondis-je. C’est peu cher payé, par rapport à ce que l’Holos a fait à ma famille et mes amis.

L’homme jura, incapable de se retenir.

— Trahir vos frères de race et les faire attaquer par ces exos sanguinaires... Si ça ne tenait qu’à moi, je vous exécuterais sur le champ !

— Mais ça ne tient pas à vous, justement, lui répondis-je en le regardant dans les yeux.

Le soldat s’avança, s’apprêtant à me sortir autre chose, mais le capitaine Ackermann l’arrêta d’un geste autoritaire.

— Ne lui réponds pas, Jan. Je vous ai dit à tous – et à toi en particulier — d’arrêter de leur parler. Ce sont des hérétiques.

Le rappelé à l’ordre se tut alors. Après m’avoir lancé un dernier regard, il garda les yeux résolument braqués sur son arme.

— Jan, Jain… murmura Lathelennil en Commun, composant une petite chansonnette moqueuse de son cru. Petit Jan… Idiot de Jan...

Lui, Círdan et Angraema étaient assis au fond de la barge de transport, sur des caisses de fret, désœuvrés et ignorés. Les soldats évitaient soigneusement de croiser leurs regards d’acier poli, comme si les ældiens étaient capables de tirer des rayons mortels ou de pétrifier un humain rien qu’en le regardant.

— Le chat-singe bicolore… réalisa alors un troufion, la voix laissant percer sa peur. Il parle le Commun !

Le regard des soldats, mal à l’aise, se posa sur les grandes silhouettes des ældiens, assis seuls au fond.

— Eh bien laisse-le parler, l’instruisit son supérieur, le même qui avait rabattu son caquet au soldat Jan.

Ackermann passa au milieu de ses hommes, s’équilibrant en se tenant à la rampe de largage, et il vint se planter devant moi.

— Quel était votre plan, au juste, en attaquant ainsi ?

Je relevai les yeux vers lui.

— Délivrer mon mari. Rien de plus.

— Et ces troupes ældiennes ? Vont-elles partir, si vous le leur demandez ?

Je secouai la tête.

— Ça m’étonnerait. Je ne suis pas la chef d’une bande de terroristes, vous savez… Juste la femme d’un sidhe.

— Un sidhe ?

— Un officier militaire. Comme vous.

Il se tut un instant. Puis, après avoir signifié au troufion derrière lui de se pousser, il s’assit.

— Pourquoi suivez-vous ces ældiens ?

— Je suis mariée à un ældien. Je ne les suis pas, et ils ne me suivent pas non plus. Je suis capitaine en fonction sur le croiseur de mon mari, l’Elbereth. Mais l’Holos a fait condamner arbitrairement le père de ce dernier, Śimrod Surinthiel, et cela a rendu les ældiens qui lui étaient liés fous furieux. Ils ont convoqué des partisans et déclaré la guerre. Ce sont des gens très susceptibles, et très vindicatifs, vous savez. Ils ont vite fait de déterrer la hache de guerre, qui n’est jamais enfouie très profondément, chez eux.

— Oui, c’est ce que m’a dit le conservateur du Bureau des exo… Avant que je ne prenne cette mission, il m’a un peu briefé, sur les ældiens.

Je détournai la tête, écœurée. Qu’est-ce qu’un agent des unités de recherche du SVGARD pouvait savoir, sur les ældiens ?

— Il n’a dû vous dire que des conneries, murmurais-je en regardant par la baie. Rien que cette appellation de chat-singe...

La bataille faisait rage. Les gens du prince Rhymesh avaient percé la ligne de défense de la station, et les dorśari et les orcs avaient déjà donné l’assaut.

— C’est vrai que ceux du Bureau exo qui ont véritablement vu des ældiens se comptent sur les doigts d’une main… Mais on a des informations, sur eux, et ces derniers temps – depuis la découverte de votre époux, en fait – on en voit de plus en plus. Certains gourous disent qu’ils sont de retour dans la Voie, et que c’est annonciateur de grands changements – ou de grandes catastrophes.

— La seule catastrophe qu’il y aura, c’est la nouvelle guerre que vous aurez sur les bras si vous vous évertuez à les agresser. Les ældiens vivent retirés dans le Dédale, et ils ne s’aventurent que rarement sur notre dimension.

— Combien sont-ils, exactement ? demanda l’officier.

Sa voix patiente et tranquille, son attitude calme et posée, provoquait confiance et respect.

Ce n’est un pas simple capitaine d’escouade de section d’assaut, pensais-je en le regardant. Il est trop intelligent.

Le SVGARD. Ça ne pouvait être que cela. Un agent du SVGARD sous couverture banalisée. Qu’on avait chargé d’une mission spéciale : intercepter les terroristes qui n’allaient pas manquer de s’infiltrer dans la base de Lukor, attirés par les informations qu’ils avaient délibérément laissées trainer dans le Crypterium, et leur tirer les vers du nez au passage.

— Je ne sais pas combien ils sont, lui répondis-je. Je ne les ai pas tous rencontrés.

Le capitaine me regarda.

— Une estimation ?

— Dans les colonies ældiennes où j’ai été, il y en avait plusieurs centaines. Je dirai qu’il y a moins d’un millier d’ældiens actuellement, si on fait une estimation généreuse.

Ackermann – si c’était vraiment son nom — hocha la tête.

— Merci. Je pense que l’Holos tiendra compte de votre volonté de coopérer.

— Ne vous méprenez pas, capitaine Ackermann, répondis-je. Nous ne sommes pas vos prisonniers. Au moindre signe hostile de votre part, ou constat de félonie… Nous nous battrons jusqu’à la mort.

Il ne répondit rien à ma menace. Je me tournai de nouveau vers la baie, contemplant les silencieux rayons de plasma, verts, bleus et rouges qui fendaient les ténèbres de l’espace.

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