Epilogue : Ce qu’il advint finalement de Nuniel, et de son nouveau gouverneur, l’humain nommé Darion Malakis.

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On dit que la vengeance des faës est chose terrible.

Faës, ylfes, jnouns, stryges, ældiens, grands chat-singes ou trolls… Darion Malakis ignorait quel était le véritable nom de cette espèce maudite, mais il s’en fichait. Tout ce qui l’intéressait chez ces créatures, c’était les superbes artefacts qu’ils laissaient derrière eux, et, en particulier, ces galets de verre polis reflétant des couleurs qui n’étaient pas de ce monde. Des rumeurs couraient parmi les collectionneurs, sur l’origine et la véritable nature de ces pierres… Mais Darion Malakis n’y prêtait pas attention. Cela n’allait pas mettre d’obstacle à son commerce. Il était gouverneur de Nuniel, désormais, ce ventre mou d’Ivor Tilman démis de son poste par le Commandant suprême en personne. Avoir pactisé avec l’ennemi ældien ! Il avait même cherché à défendre les créatures, assez mollement toutefois. Il était trop lâche pour se mouiller.

Darion Malakis, en allant devant la baie qui lui montrait le paysage onirique du monde perdu de Nuniel, se remémora l’impression qu’il avait eue en apercevant ce panorama pour la première fois. Les arches blanches à moitié écroulées, envahies par les plantes grimpantes, les fontaines délicates et les cascades argentées, les arbres qui poussaient dans les maisons… Le conservateur du Musée de la vie exogène appelé en renfort pour le briefer – une espèce d’hurluberlu fasciné par les races et les civilisations extraterrestres, ultari notamment – lui avait expliqué que ces bâtiments n’étaient pas en ruine. Ils avaient toujours été ainsi, à demi terminés.

« Les ældiens aiment à se rappeler d’où ils viennent, avait-il gloussé derrière ses verres à double foyer, une aberration à une époque où on pouvait se payer des implants oculaires pour moins que cette antiquité de binocles datant des âges farouches. Pour eux, avoir des arbres dans une habitation, ou une maison sans toit, qui laisse voir les étoiles, fait partie de l’ordre des choses. »

Ce sombre imbécile avait dit cela avec de l’admiration dans la voix. Ces chats-singes étaient des créatures stupides – plus encore que les nekomats, qui eux, au moins, avaient l’intelligence de se ranger aux desiderata de l’Holos – mais ils avaient indubitablement le sens du beau. Tout ce qu’ils construisaient – le peu qu’ils construisaient – était malcommode et inutilisable, mais magnifique, il devait le reconnaître. Un dernier poste avant la retraite, ici, dans cette colonie tranquille, nettoyée de la menace homoncule, allait être agréable. Se lever tous les matins devant un tel paysage, face à la mer, et boire son whisky devant cette vue spectaculaire… Demain, il ferait nettoyer la planète des créatures hostiles et sauvages qui y vivaient encore. Et chercherait plus d’artefacts ældiens. L’endroit semblait regorger de concrétions S². Il les ferait récolter par des mineurs déportés d’Astantor, puis neutraliser par ce nouveau procédé qu’il avait mis en place, l’espèce de principe énergétique qu’ils contenaient dûment extrait. Ensuite, les cristaux seraient classés selon leur poids et leur beauté. Les pierres les plus lourdes, celles qui n’avaient pas trop de couleurs, serviraient de carburant aux réacteurs S² que la Towa avait commencé à fabriquer avant que leur ingénieur génial, Go Srsen, ne vire maboul et en détruise tous les plans, filant dans une colonie hippie d’adorateurs de cultes interdits. Le père de la terroriste recherchée vendue aux ældiens, tiens. Les plus beaux cristaux, quant à eux, seraient vendus aux riches amateurs. Leur prix pouvait atteindre des hauteurs astronomiques… Cette planète ferait de lui un homme riche. Riche et puissant.

Darion Malakis tapota les trois énormes cristaux scintillants d’une lueur bleutée sur sa poitrine, montés en collier pectoral. Ceux-là faisaient partie des tout premiers. Trouvés par un naute sur une exoplanète lointaine dont le trafiquant avait refusé de révéler le nom, ils avaient été le point de départ de l’amour de l’administrateur des exocolonies pour ces cristaux mystérieux. Il avait payé le prix fort, quasiment les économies de toute une vie. C’est pourquoi il avait été si navré d’apprendre que ces gemmes géantes étaient hautement radioactives. Il les avait envoyées à la Towa, spécialiste en armement thermonucléaire, collisionneurs à particules et autres matériaux sensibles, afin de voir s’il n’existait pas un moyen de les banaliser. Ce cinglé de Go Srsen avait d’abord refusé de les lui rendre, qualifiant ces cristaux de « découverte majeure »… Vous ne vous rendez pas compte, lui avait dit l’astrophysicien avec son amabilité proverbiale, tout en grattant sa barbe noire d’anarchiste. Ces pierres sont la réalisation matérielle d’une essence immatérielle. Ce sont des principes subtils, qui sont capturés dedans. Dans la langue de mes ancêtres, on aurait appelé ça reiseki… Des pierres-âmes. Vous comprenez ?

Darion se fichait de la langue des ancêtres de ce savant fou. De toute évidence, à voir son teint jaune et ses yeux noirs et bridés, ce Srsen était originaire de la zone Pacifique. Les niakoués se prenaient, depuis l’aube des temps, pour des gens plus malins que les autres. Mais cette fois, c’était lui, Darion Malakis, qui l’avait emporté. Il s’était servi de ses prérogatives d’administrateur pour forcer Srsen à extraire les « principes subtils » de ces cristaux. Puis, une fois neutralisés, à les lui rendre. Srsen s’était exécuté, ne pouvant pas faire autrement. Ça, vous le paierez un jour, mon vieux, avait-il menacé en les lui rendant.

Car la vengeance des faës est quelque chose de terrible.

La température s’était nettement rafraîchie. L’étrange nuit de Nuniel était en train de tomber. Le fantôme d’un soleil mort depuis des dizaines de milliers d’années brillait sur cette petite géoformation. Et comme tout soleil, au bout de quelques heures, il disparaissait. Le fait que le nombre d’heures au terme desquelles cette « nuit » tombait ne soit jamais le même ne rendait cette planète fantôme que plus mystérieuse. Oui, il y avait beaucoup à découvrir, sur Nuniel. Et lui, Darion Malakis, s’y attellerait. Il deviendrait un administrateur puissant, fondateur d’empire dynastique, à la mesure d’un Nekin, d’un Atreides ou d’un Olsimar. Monarque de sa propre planète, producteur et importateur de richesses uniques.

Darion Malakis reposa son verre. Pensif, tournant le dos à la baie vitrée du module de survie luxueux qui lui servait de résidence provisoire, il examina le gros caillou qui attendait sur la table, dans son petit caisson antiradiation. C’était le cristal S2 obtenu après la combustion du terroriste ældien dont il avait ordonné l’exécution aujourd’hui même. On venait de le lui envoyer, par transporteur express. Un vieux cinglé de naute débarqué de nulle part avait remué pieds et mains pour l’obtenir, mais on ne lui avait donné que le squelette et la petite concrétion qui s’était formée suite à la fusion de l’espèce de pointe de verre que portait l’ældien, et qu’un imbécile de troufion – limogé depuis – s’était fait bananer juste sous le nez... Le vieux bougre pouvait s’estimer heureux d’avoir pu récupérer ce superbe squelette d’exo. Il pourrait poser le crâne vitrifié sur sa cheminée : il était impressionnant, avec ses canines de six centimètres de long ! Lui-même n’avait pas réussi à obtenir l’autre ældien, celui qui avait tué l’amiral, car le Commandant suprême exigeait qu’il soit exécuté sous son égide, à Lukor. Bon. Il en avait eu au moins un.

Ce cristal était magnifique. En le regardant, Darion Malakis se souvint de la splendeur sauvage de la créature qui avait eu ce caillou dans sa cage thoracique. Il avait déjà vu des ældiens, avec leurs yeux ciselés de miroir liquide, leur visage aigu et féroce, leurs faciès à mi-chemin entre l’humain et l’animal, leurs longs corps sinueux. Mais celui-là était d’une beauté férale, qui surpassait encore celle de ses congénères aperçus jusque-là, et qui indiquait encore plus nettement à quel point cette race était dangereuse et vectrice de perdition pour les humains. Ce mâle aussi grand qu’un légionnaire en armure avait séduit une humaine, qui avait insisté pour être exécutée avec lui, de la même manière. On avait offert à cette hérétique non implantée ni tunée la possibilité de recevoir une simple injonction mortelle avant de partir au broyeur organique, mais elle avait refusé.

Mettez-moi dans la cuve avec lui. En face de lui, afin que je puisse le voir jusqu’au bout. C’est tout ce que je demande.

Une petite nana bien courageuse, auraient dit certains. Mais Darion Malakis, lui, savait ce qu’il en était : les adeptes de ces cultes aiment souffrir. Pour ces deux amants fidèles des noirs enseignements, voir l’élu de leur cœur être fondu sous ses yeux dans une cuve de matière thermonucléaire devait constituer le nec le plus ultra de l’érotisme. La peau qui fond sur le squelette, qui tombe en lambeaux sous l’action des particules en fusion, avant même de toucher la lave, les os qui se délitent… Ah, voilà des plaisirs que l’imagination du commun des mortels ne faisait qu’effleurer !

« Cinglés d’hérétiques », grogna Darion en s’arrachant à la contemplation du cristal pour s’offrir son petit plaisir du soir : un bon cigare, constitué d’authentiques feuilles de tabac reconstituées et roulées à la manière antique.

Roi des Singes, Roi des Singes, où es-tu ?

Ta maison est en feu.

Roi des Singes, Roi des Singes, viendras-tu ?

On veut tes cailloux précieux.

Darion Malakis se retourna brusquement. Derrière lui se tenait une silhouette immense et longiligne, qui jonglait avec sa collection de cristaux S². Trop stupéfait par cette apparition grotesque pour avoir peur, le gouverneur ne réagit pas, les yeux vissés sur l’intrus.

Un ældien. C’était un ældien. Tout dans sa silhouette, trop grande et trop mince, avec ses longs doigts griffus, l’indiquait.

Son visage, encadré par deux grandes oreilles animales – oh, que Darion haïssait ces oreilles pointues ! – était blafard, et arborait un sourire qui lui mangeait la face, rangées de dents féroces et acérées. Un masque. Il portait un masque. Un masque aux yeux scellés, derrière lesquels il pouvait discerner une lueur démente, brillant dans le noir.

La peste soit de ces créatures, siffla Darion intérieurement en reculant vers son bureau pour actionner le système d’alarme qui enverrait tout un bataillon de légionnaires nettoyer cet ylfe de l’espace ayant eu l’insolence de venir produire ses petits tours dans sa maison.

Mais ce ne fut pas le silicium rassurant de son bureau qu’il trouva derrière lui. C’était le contact froid, dur et alien d’une deuxième créature, qui se pencha au-dessus de son épaule, arborant un masque blanc à la petite bouche fermée et aux yeux tragiques, sous lesquels perlait une unique larme brillante comme du cristal.

Roi des Singes, Roi des Singes, reprit la voix hantée et moqueuse, sans qu’il puisse déterminer de quel masque elle provenait. Où vas-tu ? L’Amadán veut ta mort. Roi des Singes, Roi des Singes, que dis-tu ? Les Princes d’Ombre t’attendent au port.

Les princes d’Ombre. Sa mort… Une sueur glacée couvrit le dos de Darion.

— À la garde ! hurla-t-il. Votre gouverneur est attaqué par des terroristes exomorphes ! Vite !

Mais personne ne répondit. Et de longs doigts insidieux vinrent se glisser sur sa bouche, empêchant les sons de passer. Avant de perdre connaissance, Darion vit les lignes aiguës et agressives du vaisseau des ældiens dehors, en stand-bye, à travers la baie. Ainsi que les corps de son bataillon de sécurité, tous décapités et alignés comme des petits pains.

Lorsqu’il reprit ses esprits, il sut immédiatement qu’il n’était plus sur Nuniel. Il était ailleurs. Chez les ældiens, de toute évidence.

Il était enchaîné par le cou dans une cage. Nu. Le froid, la faim – mais aussi la peur – le faisaient trembler. À l’extérieur, il aperçut multitude d’exos : de monstrueux orcanides, des nains difformes de la taille d’un enfant, des petites créatures volantes qui allaient et venaient en grognant et trainant ferrailles et bouts de viandes. Ça piaillait, ça voletait, ça éructait, et ça s’exprimait en galimatias toutes plus absurdes et inaudibles les unes que les autres.

Le marché à la chair du Dédale. Il en avait déjà entendu parler. Pour beaucoup – lui y compris – c’était une légende ridicule, mais maintenant, il devait reconnaître que c’était une réalité.

Un gobelinoïde au faciès repoussant vint le piquer derrière les barreaux pour le forcer à se décoller du fond. Cette agression violente – qui le fit saigner comme un cochon et pousser un petit cri – s’accompagna d’une invective en langue extraterrestre, à laquelle, bien entendu, il ne comprit pas un mot.

Deux hautes silhouettes vinrent s’arrêter devant lui. Deux ældiens, au corps entièrement recouvert d’une armure de sortie spatiale noire et cruelle, aux angles aiguisés, sur laquelle était passée une fière cape de soie jaune. Leurs visages, blafards par contraste avec leur armure et la combinaison noire qui remontait jusqu’en haut de leur cou incarnaient tout ce que Darion haïssait et craignait chez cette race : étranges, monstrueux de par leurs traits trop aigus, d’une altérité si radicale qu’on ne savait plus s’ils étaient beaux à pleurer ou laids à crier. Yeux noirs de meurtre, sourires de lames, promesses de férocité. Leurs longs cheveux anthracite étaient tirés en arrière et relevés, retombant en longues queues d’encre lisse dans leur dos, dégageant leurs oreilles à la pointe agressive, chargées de bijoux tout aussi acérés.

Fiers et hautains, ils posèrent leurs regards assassins sur lui. Ils le regardèrent un moment, sans qu’il ne puisse rien discerner de leur visage. Puis leur bouche au pli méprisant se tordit, et, avec une mimique exsudant la malice, ils le désignèrent, pointant un doigt démesurément long sur lui. Leurs mouvements, trop rapides, trop fauves, lui provoquèrent des frissons de dégoût. Leurs voix, sombres et graves, proprement inhumaines, roulaient comme le métal en fusion, déversant des sons abrupts et menaçants qu’il était incapable de comprendre.

C’est alors qu’il se souvint de l’objet. Celui que lui avait donné son tourmenteur, le meneur des terroristes qui l’avaient arraché à son domicile, au moment où il était en train de sombrer dans l’inconscience.

J’ai envie que tu profites entièrement de la cathbeanadh, lui avait dit la créature de sa voix doucereuse en agitant devant lui un objet dans ses doigts arachnéens. Que tu connaisses la résolution de ce cycle jusqu’au bout. Une pièce d’Ombre, tragique et terrible, que ce sera. La Geste de Śimrod Surinthiel, avec son magnifique chapitre final, la chute de l’humain Darion Malakis… Le public ædhel devant qui je la présenterai sera ravi. Nous aimons les beaux sentiments et les grands défis, vois-tu. Les choses terribles et cruelles, aussi… Le cœur du public saignera à la mort de Śimrod. Il applaudira debout, les yeux brillants, lorsque la jeune Isolda demandera à être brûlée vive en face de son amant enfin retrouvé. Il sentira la peur et l’horreur l’étreindre en apprenant ce que tu as fait des âmes de ses frères en les chassant du seul refuge qu’il leur restait dans l’univers, celui de ces ossements des nôtres que tu convoites aussi âprement que Shemehaz le Déchu. Il grincera des dents et feulera, crocs sortis, en te voyant t’emparer du coeur de ce noble guerrier qu’était Śimrod, toi, traître sans honneur que tu es, puis éclatera de rire en voyant ce qu’il advient de toi entre les mains douloureuses des cruels princes d’Ombre. Enfin, en pleine apothéose, il se congratulera en voyant Nuniel récupérée et ramenée dans le Passage, loin de vos gros doigts sales. Ah, quelle belle cathbeanadh ce sera ! Moi, Díoltas du Chagrin Nocturne, auteur et acteur d’une si belle pièce, je me réjouis déjà… Lorsque l’annonce de la mort de Śimrod est tombée, toutes les guildes se sont ruées vers leurs astronefs pour être les premiers à attraper le roitelet des Singes. Et c’est moi qui remporte la mise. À moi la gloire, à moi le prestige !

Le babillage incohérent de l’ældien avait mis Darion encore plus mal à l’aise. Aussi avait-il ressenti une pointe de reconnaissance lorsque la créature lui avait laissé cet appareil, qu’il avait reconnu comme étant un traducteur universel. On lui avait retiré tous ses vêtements, mais, étrangement, on lui avait laissé la machine, pendue autour du cou. Et là, enchainé dans sa cage, lorsque les deux horribles ældiens vinrent s’arrêter devant lui, il l’actionna discrètement.

— Le voilà donc… Cet humain qui faisait commerce de cristaux-cœurs. Celui qui est responsable de la mort du légendaire Śimrod Surinthiel.

— Hmm. Et c’est pour une créature aussi insignifiante que les filidhean nous auraient dérangés ? Je ne vois pas de si bonnes affaires à ce marché aux esclaves. Rien qui ne me paraisse digne d’être donné à mon bourreau, cousin. Et je cherche de quoi faire une sculpture vivante. Mais cet iblith est laid.

— Tu connais les bardes. Jamais avares de jeux et de devinettes ! La guilde du Chagrin Nocturne, qui plus est, connue pour être des plus vindicatives… Il s’agit là de quelque vengeance en mémoire de Śimrod, dont je me ferais bien l’instrument.

— Un instrument pointu, j’espère, alors, mon cousin.

— Tout à fait. Je prévois une petite fête ce soir, justement… En seras-tu ?

— Si cet autoproclamé Roi des Singes y est servi en plat et réjouissance principale, alors oui, mon cousin, j’y serai.

Les deux ældiens s’éloignèrent, leurs voix sombres mourant dans l’ombre. Darion Malakis se félicita de leur départ. Voilà ce à quoi il avait échappé ! Darion Malakis les avait reconnus pour ce qu’ils étaient : des seigneurs noirs ældiens, les plus malveillants serviteurs du Mal qu’il puisse y avoir dans cet univers déjà très hostile.

— Allez iblith, fit la voix de l’immonde créature qui l’avait piqué comme un bovidé d’abattoir. C’est Son Horreur Asdruvaal Niśven, cousin du Ténébreux lui-même, qui a remporté la mise sur toi ! Réjouis-toi : il est réputé comme l’un des plus grands sculpteurs de chair de Sorśa, pouvant garder un esclave en vie des siècles et des siècles, même lorsqu’il ne reste plus qu’un tronc sanguinolent couvert de fils barbelés. Regarde ce que Ses Seigneuries t’ont réservé pour le transport ! Un superbe Ghuz’balor des profondeurs, sur lequel tu seras cloué et empalé jusqu’à l’arrivée à la Cité Noire. Allez, sors de là et réjouis-toi : tes souffrances seront légendaires, même dans les Neuf Enfers !

Darion Malakis fut traîné, nu et tremblant, hors du refuge précaire de sa cage.

— Non ! Non, c’est une erreur ! glapit-il de toutes ses forces en apercevant l’atroce chevalet devant lequel les hautes silhouettes noires de ses tortionnaires l’attendaient, et sur lequel on se proposait de l’empaler pour le transport. Une créature de cauchemar, cornue comme un minotaure, à la gueule hérissée de dents, aux quatre pinces en guise de bras, et surtout, présentant un pal monstrueux et noir d’acier qu’il exhibait en se déhanchant vicieusement. Un autre esclave, se contorsionnant de douleur, était justement empalé sur une atrocité voisine, bras ouverts en offrande et cassés à coups de marteau par un gobelinoïde pour pouvoir être liés derrière la nuque du monstre.

— Non ! Tout sauf ça, je vous en prie ! Pas ça ! hurla-t-il en vain. Enfin ! N’y-at-il personne pour me comprendre, parler ma langue ?

Une main doucereuse se posa soudain sur son épaule. C’était le clown. Il en fut presque rassuré, et grimaça l’ébauche d’un sourire.

— Vous allez me récupérer, hein ? Me ramener chez moi ?

Le barde le regarda, insondable derrière son masque. Puis, lentement, il agita son doigt tendu devant lui.

— Désormais, tu vas goûter au sort auquel tu as condamné tant des nôtres en volant leurs cœurs, fit-il d’une voix suave. Adieu, celui qu’on appelait Darion Malakis. Puisse Amarriggan te faire tomber dans l’abîme des Neuf Enfers à la fin de ta longue et douloureuse vie.

Et, d’un geste sec, il lui arracha le traducteur. Et il disparut, se fondant dans les ombres de cet infâme marché à la viande.

Front impassible, regard brûlant, les deux ældiens avaient assisté à la scène sans réagir. Puis l’un d’eux esquissa un sourire, un rictus d’une cruauté inouïe, ne pouvant pas appartenir à ce monde. Et, d’un geste impérieux de son pouce griffu, il désigna le chevalet monstrueux sur lequel on allait le clouer.

Et Darion Malakis hurla, à s’en casser les cordes vocales.

Ce fut le premier hurlement d’une longue série.

Car la vengeance des faës est chose terrible.

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