Histoires sans lien
*La plaine du monstre des cauchemars*
Une étendue de campagne dont la terre sèche ne laissait aucune végétation pousser. Le néant… littéralement, un décor de désolation et de vide où seules des nappes épaisses de brumes survivaient.
Un pas après l’autre, Élisabeth avançait avec précaution, le brouillard occultant le sol. La texture argileuse de la plaine désertique craquait sous ses pieds et malgré le souffle lointain qu’elle entendait en écho, la fillette ne se décourageait pas.
Pourtant, ses mains tremblaient, mais ce n’était pas le froid. Les vapeurs humides léchant le sol, ondulaient par une brise chaude comme une respiration.
Elle secoua la tête, refusant de laisser la peur la figer. Puis elle inspira, leva le regard au ciel et expulsa l’air.
Un poids soudain enserra sa poitrine, était-ce la moiteur du lieu, où l’angoisse de cette voûte céleste sombre et sans astre en pleine journée?
Alors, elle inspira à nouveau, plissa les paupières et poursuivit sa route.
Un abîme, infini, où l’obscurité régentait chaque parcelle de terre, rappelant aux premières angoisses de l’enfance… la peur du noir. Élisabeth, seule face à cette immensité vertigineuse, sentait son corps se contracter de spasmes incontrôlés.
Soudain, dans les abysses, un grognement résonna…
*Septembre 1939*
L’automne est bien entamé, pourtant la chaleur nous accablant reste digne de l’été. Nous ne pouvons reculer, suivant les directives des généraux, mais la fournaise devient au fil des heures, oppressante.
La sueur perle du front de mes camarades. J’en vois certains essuyer d’un revers de leur manche, déjà noircie de terre, leur visage baigné de cette substance poisseuse. Parqués, tels des animaux, nous n’avons plus de conscience, ni d’humanité, on nous ordonne simplement de marcher à travers champs, pour rejoindre la ligne Maginot.
Je me fige. Un parfum de putréfaction embaume la prairie, relevé d’un éclat de fumée. Nous savons tous, bien sûr, ce que nous allons trouver derrière le talus d’herbes. Malgré cela, je ne peux retenir ma bile, sentant une main agripper farouchement mon estomac.
Un amas de chairs, une pluie de viscères… ces corps méconnaissables furent quelques heures plus tôt des hommes et des femmes.
À ma gauche, j’entends une détonation. Presque aussitôt, un souffle brûlant me propulse et je me retrouve face contre terre. Le nez plongé dans la plaie béante d’un supplicié, je suffoque.
Le goût du fer, l’effluve rance… La guerre, encore et toujours… Foutue mine ! Puis, je m’évanouis.
*Rendez-vous à l'hôpital*
Une première sonnerie retentit, sans que le brouhaha extérieur ne s’estompe. Cela semblerait presque assourdissant si les pensées de l’homme n’étaient pas focalisées sur le centre de la pièce. Il fait un pas.
L’appel se fait plus strident et sur le moniteur de gauche, une courbe apparaît. Pourtant, rien ne bouge près de la couche. Les mains de l’homme se crispent dans un sursaut écoeuré : faire demi-tour! Ses pieds amorcent un mouvement de fuite, mais il s’arrête, inspire et avance d’un pas de plus.
Un souffle régulier et mécanique s’échappe d’une pompe accrochée au lit dans une cadence contrôlée. Les draps se soulèvent en rythme et cette étrange chorégraphie se répète inlassablement. Un hoquet de stupeur, les jambes tremblantes, l’homme poursuit d’un troisième pas. Soudain, il chancelle, se raccroche au barreau en fer encadrant le matelas et il ne peut plus nier la silhouette allongée.
La peau pâle, la chair détendue et aucun frémissement au contact de sa propre main qui caresse l’avant-bras. Le visage familier de la silhouette s'avère désormais étrange et inconnu. Allongée dans ce lit, elle semble dormir, mais l’homme sait. Des larmes coulent et sa bouche s’ouvre dans un cri, mais aucun son ne s'échappe, juste le silence.
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