2.6. Voyages d'Arthus Valcor : Cherche-tempête.

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Journal de voyage d'Arthus Valcor, jour 27 du mois d'Hendecabre.

Nous avons fui les ruines de pierre en direction du sud, là où, nous l’espérions, la végétation offrirait un semblant d’abri. Mais la Grégorie n’a ni pitié ni répit à offrir.

Le paysage s’est progressivement transformé. Aux plateaux herbeux et aux formations rocheuses a succédé une étendue morne et désolée, où seules quelques dunes de cendre et de poussière ondulaient sous un vent irrégulier. Pas un arbre, pas un rocher stable où poser notre camp. Seule une étendue grise s’étirant jusqu’à l’horizon.

Kaël souffre. Sa blessure, bien que stabilisée, le ralentit et limite nos déplacements. Neria veille sur lui avec l’attention d’une mère, mais ses ressources s’amenuisent. Elle a épuisé la plupart de ses cataplasmes et sans nouvelles plantes médicinales, il ne lui reste que la patience et la prière pour empêcher l’infection de s’aggraver.

Nous avons trouvé refuge au creux d’une dépression naturelle du sol. Ce repli de terrain ne nous protège pas totalement des éléments, mais il nous permet au moins de reposer nos corps exténués pour la nuit.

Le vent s’était peu à peu levé. Un simple bruissement d’abord, puis un frémissement plus soutenu avant de devenir cinglant. Nous nous sommes couvert face à ce froid mordant.

Le silence s’est soudainement installé. Il n’y avait plus de vent. Juste un silence total, artificiel. Je commence à comprendre qu’en Grégorie il n’y a pas d’anomalie, juste des avertissements.

Les premiers coups de vent sont tombés subitement. D’abord une rafale, sèche et brutale, soulevant un mur de cendres autour de nous. Puis une deuxième, plus forte, suivie d’une troisième, balayant le sol et traçant des sillons dans la poussière. La lumière du soleil couchant s’est voilée sous un tourbillon grisâtre.

Le vent avait une volonté propre.

Une forme s’est dessinée au cœur de la tempête. Un maelström concentré, une spirale mouvante qui s’est élevée au-dessus du sol et s’est déployée avec une fluidité anormale. Le vent n’était pas un simple courant d’air : il avait une structure, une intention. Une silhouette indistincte, changeante, presque irréelle.

Il n’avait pas de visage, pas de corps tangible, seulement des courants furieux tournoyant autour d’un noyau invisible. Il n’émettait aucun son, sinon le hurlement du vent qui le composait.

Puis il a bougé.

Un souffle puissant nous a frappés de plein fouet, nous projetant en arrière. J’ai senti le sol m’échapper sous les pieds avant de rouler sur plusieurs mètres. La force du vent était telle que le sable et la cendre mordaient la peau comme des lames minuscules.

Drelag et Roldan se sont ancrés au sol, usant de leur force colossale pour ne pas être emportés. Thryss a tenté d’invoquer l’eau pour densifier l’air et briser la spirale du vent, mais la tempête était plus forte. Son don, si utile face à des adversaires tangibles, n’avait aucun effet sur cette chose qui n’avait ni chair ni os.

Le Cherche-tempête a continué de grandir, absorbant l’air autour de lui, soulevant toujours plus de cendres et de gravats. L’espace d’un instant, il a semblé hésiter, comme s’il évaluait notre présence. Puis, dans un mouvement brusque, il s’est étendu vers nous, un bras invisible balayant le sol et arrachant des gerbes de pierre et de poussière dans un chaos aveuglant.

Nous n’avions aucun moyen de l’affronter. Alors nous avons couru.

Nous avons fui à travers la tempête, aveuglés par les rafales, trébuchant sur les irrégularités du sol. Kaël, soutenu par Morna, peinait à avancer, son bras blessé ballotté par le vent impitoyable.

Le Cherche-tempête ne nous a pas poursuivis.

Peut-être n’était-il qu’un phénomène erratique, une force qui nous avait croisés sans réelle intention hostile. Ou peut-être nous avait-il jugés trop insignifiants pour mériter son attention.

Lorsque nous avons émergé de la tempête, nous étions à bout de souffle, couverts de cendres, les corps meurtris par la violence du vent.

Je me suis retourné une dernière fois.

La tempête s’éloignait déjà, dérivant à travers la plaine comme une conscience errante, cherchant un autre endroit à ravager, un autre équilibre à briser.

Comme la Ruine avant lui, le Cherche-tempête n’était pas une créature ordinaire. Il était un phénomène incarné, un être qui défiait toute compréhension biologique.

Je griffonne ces mots dans mon carnet, les mains encore tremblantes : Cherche-tempête. Un nom, une tentative désespérée de donner un sens à ce qui en est dénué.

Les Dragoviens, sans l’avoir jamais vu, avaient pressenti son existence. Dans leurs légendes, ils l’appelaient Malrovaru, le dieu du vent, celui qui naît dans l’Océan Sud et s’abat sur leurs côtes sans prévenir.

Ils ne croyaient pas si bien dire.

Demain, nous continuerons vers l’ouest, à la recherche d’un endroit où la Grégorie cessera, ne serait-ce qu’un instant, de nous rappeler combien nous sommes insignifiants. J’écris et garde ce dernier paragraphe, surpris d’avoir pensé cela un instant. Je dois découvrir la Grégorie, et non l’éviter.

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