« L’oiseau tonnerre, maître de la foudre, a vu sa patience récompensée. C’est au tour du phénix d’attendre, de patienter en petites fumerolles, petits feux follets. Mais rassurez-vous, il ne faut pas grande chose pour qu’un feu reprenne ses forces. »

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« L’oiseau tonnerre, maître de la foudre, a vu sa patience récompensée. C’est au tour du phénix d’attendre, de patienter en petites fumerolles, petits feux follets. Mais rassurez-vous, il ne faut pas grande chose pour qu’un feu reprenne ses forces. »

Quelque part sur un théâtre d'opération - Janvier

Dear Xing Yi,

Je suis désolé d’avoir mis autant de temps à te répondre, ta lettre s’est perdue, à mon grand malheur. Dois-je t’avouer que je n’y croyais pas, que je n’y croyais plus ? Le prendrais-tu bien ? Ou passeras-tu outre ? Je dois t’avouer, Yi. C’est la première lettre que je reçois en mission, la toute première. Personne ne m’a jamais écrit. C’est une manière pour moi de répondre à ta requête. Parler de moi. Quand on se raconte, on parle souvent de sa famille, de son métier ou de ses études. Parce qu’on en est fier. Doit-on dire pour autant que ceux qui n’aiment pas se raconter ne sont pas fiers d’une de ces choses ? Je ne pense pas. Quoi qu’il en soit, je préfère t’en parler maintenant. Je suis l’ainé d’une famille de trois enfants, j’ai un petit frère, Isiah. Je pense qu’il doit être au lycée maintenant. Il était encore à l’école primaire quand j’ai claqué la porte de chez moi. J’y reviendrais. Plus tard. J’ai aussi une petite sœur, Ethelyn. Des fois, elle m’appelle, en cachette des parents. Elle est en apprentissage maintenant, dans une école hôtelière de la côte Est. Elle aussi a un peu fui mes parents. Moins que moi.

Il faut que je t’explique. Mes parents sont deux militants noirs pacifique assez en vogue dans le Tennessee. Crois-moi, il n’est pas simple d’avoir la peau sombre dans le Tennessee. De ne pas être blanc tout court. Et surtout quand ton père est une figure locale de la communauté noire. On dû recevoir une bonne douzaine de fois des balles de fusils par la poste. Et s’il n’y avait que ça. Alors imagine, Yi, quand j’ai voulu m’engager dans l’armée. J’avais besoin de bouger, j’avais besoin d’un cadre. Je voulais faire quelque chose qui me semblaient utiles. Mes parents avaient déjà un avenir tout tracé pour moi. Un bon lycée, une bonne université, du sport, du droit et peut être une carrière politique engagée. Ils n’ont pas apprécié cet engagement-là. La dernière fois que j’ai vu mon père, il m’a renié et m’a formellement interdit d’approcher mon frère et ma sœur. Il ne faudrait pas que je les « contamine » tu comprends. Ce n’est pas de mes parents, de ma famille ou de mon métier dont j’ai honte. Je n’aurais jamais honte de mon métier, de mon corps d’armée, de mes hommes, quoi qu’ils fassent. J’ai honte de la réaction de mes parents, de leurs étroitesses d’esprits, eux qui prônent l’égalité et l’ouverture des pensées. Voilà pourquoi je ne reçois jamais de courrier. Qui m’écrirait ?

Tu sais, quand j’ai reçu ta lettre, ce qui m’a étonné, c’est l’épaisseur de l’enveloppe. Je ne pensais pas que tu m’enverrais autant de choses.  J’ai lu tes mots sans m’arrêter.  Je ne connaissais pas Raskar Kapak en effet mais un de mes hommes si, alors il a complété ta description. Il ne va pas s’attirer le mauvais œil, ton ami, avec de telles recherches ? D’autant plus s’il s’attaque à son royaume. Quant à Nathaniel … ou Nathanaël, je ne sais plus. Sais-tu que l’amie qui nous a présenté, Delia, était persuadée que vous vous tourniez autour, que c’est pour ça que tu ne sors avec personne. Je crois que cette fille aime décidément se faire des films. C’est son côté fleur bleu apparemment. J’aimerais bien le rencontrer, dans deux mois. Et oui, je rentre en avril et nous somme  bientôt en février. Décidément, c’est dit, cette année, je ne verrais pas la neige. Ce sera mon seul regret. Tu penses que tu peux me dessiner New York sous la neige ? Ou alors prendre une photo, si tu trouves que tu dessines vraiment trop mal. C’est faux d’ailleurs, tu dessines très bien.

Tu poses beaucoup de question, Yi. De drôles de questions même. Et tu as de toute aussi drôles exigences. Que je dessine. J’y ai beaucoup réfléchi, tu sais ? Ce que je pouvais te dessiner. J’ai cherché, j’ai questionné, j’ai longuement hésité, entre deux missions, lors de mes jours de permissions.  Je suis finalement sorti et je me suis posé à l’un de nos check-point, pour la sécurité. C’est dangereux comme endroit, ce sont des cibles mais c’est le seul endroit où on l’on peut voir les locaux. Plus que te décrire ma vie de soldat, je préfère te dessiner l’ambiance. Il parait qu’un soldat a plus de chance de mourir aux Etats Unis que lors d’une mission. Peut-être parce qu’en mission, on est plus, trop sur ses gardes, peut-être parce qu’on a imaginé cette possibilité. Ma lettre prend un aspect tragique. Je ne compte pas mourir, rassure toi. Je n’ai pas envie de mourir. J’aime à croire que la volonté suffit pour repousser notre heure.

Pour le cadeau, n’y pense pas, pas pour l’instant. On verra quand je reviens. Ça me donnera une excuse pour réclamer ta présence pour une après-midi. Tu accepteras, n’est-ce pas ? Cela te permettra aussi de me montrer de toutes ces choses dont tu me parles.

Tu me demande à quoi je pense Yi, à qui je pense ? Ne crois-tu pas que tu détiens une partie de la réponse ? Et maintenant que j’ai écrit cette lettre et que tu es arrivée jusqu’au bout de mon blablatage sans intérêt, tu peux te faire une idée de la seconde partie de cette réponse. C’est faux de dire que je ne te connais pas. Il y a certes des lacunes dans mon savoir mais crois-moi, je ne suis pas tant que ça en territoire inconnue. On se connait, little mice,  on en a juste pas encore parfaitement conscience  parce que le savoir est quelque part sans savoir qu’il est là. Et puis les lettres sont là pour améliorer non ? Pour l’instant, nous sommes deux amis qui s’écrivent. Peut-être que cela ira plus loin, à ton bon vouloir. Je le répète, Yi, je suis peut être très maladroit dans ce jeu dans lequel nous nous sommes engagés mais il n’est pas dans mon objectif de t’obliger. Il suffira d’un mot, d’un « non » pour que tout cesse. Je veux que tu sois heureuse et si ma présence est un obstacle, je m’effacerais. Tu crois peut être que ce ne sont que des belles paroles en l’air mais je te le promets, encore, je prendrais sur moi.

A bientôt, Yi. Si jamais tu n’as pas le temps de m’écrire sur les petits mois qui séparent mon retour, je te recontacterais pour te dire quand je reviens.

Sincerely

Neil Mayflower

 

Une semaine et demie plus tard, une photographie de Central Park sous la neige dans une enveloppe en beau papier blanc à entête d’une société italienne arrive pour Neil dans l’envoi familial du frère de la fameuse « Delia », soldat dans la même unité que lui. Sont inscrits ces mots au feutre noir, laissant entrevoir l’état émotionnel de l’expéditeur:

 Si tu te fais tuer, je te tue ! Je te ressuscite pour te retuer après, je te le promets !

Je t’interdis de mourir, tu m’entends ! De t’effacer aussi d’ailleurs !

Arrête de dire des bêtises et dépêche-toi de rentrer.

Le tout signé de deux caractères chinois. Celui de l'étoile et celui de l'amitié. Xing Yi

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