"Elle s’est trouvée un allié étrange en la personne de l’Hippocampe. Il a promis et le Prince des mers n’a qu’une parole "

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"Elle s’est trouvée un allié étrange en la personne de l’Hippocampe. Il a promis et le Prince des mers n’a qu’une parole. "

Arrondissement de Manhattan-Janvier

Silence. Evangeline ne parle déjà plus depuis quatre ans, quatre longues années de silence. Elle utilise des moyens détournés, la langue de signe ou son carnet à mot. Mais après l’épisode de ce matin, plus rien ne sort, rien du tout. L’image est imprimée sur le fond de sa rétines, elle se sert un peu plus entre Anima qui couine doucement, couchée derrière elle et Omnius qu’elle étreint. Ses joues sont humides mais elle ne pas pleure plus, plus depuis qu’on l’a fait monter dans l’ambulance qui est venue la chercher après l’explosion. Elle s’est fermée, le regard dans le vide, n’a pas lâché un mot, n’a rien écrit. Pas même quand l’inspecteur de police l’a interrogé sur ce qu’elle a vu. Pas même quand Quinto a débarqué en courant pour aller la chercher. Il s’est mis à sa hauteur, a plongé son regard clair dans le sien sombre. Elle n’avait jamais vu cet éclat dans ses yeux. Pas de mépris, pas de colère. De l’inquiétude ? Il n’a rien dit, lui d’habitude si bavard, pendant tout le trajet de l’hôpital à l’appartement. Erec les attendait devant la porte, au bord de la panique. Visiblement, il ne rentrera pas chez lui ce soir, encore. Tant mieux, là, tout ce dont elle a besoin, c’est de parler par la pensée avec les chiens. Pour vider son sac. Elle n’a pas déjeuné, ni diner, pas faim, pas même pour le tiramisu qui trône dans la cuisine. Nathanaël est passé, il a tenu son engagement. Évangeline aurait aimé qu’il vienne, qu’il la réconforte, lui, Louane ou même Eian ou Xing Yi. Que quelqu’un lui dise que ce n’est pas vrai, qu’elle ne risque rien, que c’était un accident, un faux contact dans le moteur. Mais ça ne serait pas vrai. La police oriente son enquête, déjà, sur un différend commerciale suffisamment violent ou les contrats compliqués et les marchés qu’emporte Quinto par des manières pas forcément très catholique et très franche. Toujours légal, l’avocat Erec Ange Lesage veille au grain et puis « ça fait trop de paperasse. Épargne-moi les procès ». Mais l’avocat n’a plus l’esprit à plaisanter, il s’inquiète. Et Quinto Mattei sait la raison de cette bombe.Ca n’a absolument rien à voir avec le monde des affaires. Mais la police ne le croirait pas. Evangeline sait aussi. Ca a déjà pris ses parents. Ils ont déjà pris ses parents.

La gamine s’est longuement observée dans la porte glace de son armoire, alternant avec l’analyse de ses vêtements et celle de son apparence. Sa doudoune verte est fichue, paradoxalement, c’est parce qu’elle était très couverte qu’elle n’a eu que quelques égratignures, un bandage qui enserre son front, quelque points de suture sur le menton,  ses mains sont râpées, ses collants blanc sont troués. Et pas d’école pendant les trois jours à venir.  Seul côté reluisant de l’histoire à ses yeux, il en faut bien un. Elle tend l’oreille, des voix montent du rez-de-chaussée du duplex. Elle ouvre discrètement sa porte de chambre, laissant derrière elle la ménagerie derrière elle. Quinto. Erec. Ils se disputent tous les deux. C’est bien la première fois qu’elle les voit ainsi.

-          «  … Tu aurais dû être dans la voiture à cette heure-ci, si ta cousine n’était pas venue te chercher. Tu serais mort, Quinto !

-          Visiblement, ils sont dans leur passage « bombe » en ce moment. Ca va leur passer. D’habitude, ils ont la stupide idée de tenter de me noyer. Après, on meurt tous à jour, je préfère l’explosion, la mort est immédiate, contrairement aux armes blanches.

-          De quoi ?!

-          Je ne suis pas le premier, Erec. Pas la première bombe qu’ils posent.  Moi, c’est facile, je ne me cache pas, je suis le plus visible.

-          Pourquoi ? Qu’est-ce que tu as fait ?!

-          Je n’ai rien fait, je vis. Et c’est tous leurs problèmes, à ces abrutis.

-          Mais pour quelles raisons ?!

-          Tu ne me croirais pas, Erec. Et éloigner Évangeline ne servirait à rien, elle est aussi concernée. C’est notre lien, celui que j’avais avec ses parents. En l’éloignant, je ne serais plus en mesure de la protéger. Je l’ai promis, je donnerais n’importe quoi pour que rien ne lui arrive »

Eve claque de la langue. Il n’a pas tort, il a même carrément raison. Qui croira leurs histoires de fou sans aucune démonstration. Et la démonstration est toujours une chose très délicate. Elle ne connait pas de récit, d’histoire où la démonstration a été réfléchie, préparée. Louane l’a su par accident. Heureusement, ça s’est bien passé. Le mari d’Himitsu ne le sait pas. Alors que dire des amis, même proche. Parce qu’Erec est un ami, n’est-ce pas ? Qui est Erec pour Quinto ? Pour Elle ? Erec se tient la tête, tourne sur lui-même, Quinto est impassible, sa voix est terne. On aurait dit une scène de cinéma, complétement millimétré, chaque réaction mesurée au quart de millimètre. Ils sont chacun dans leur personnage, pas les caractères qu’elle a l’habitude de voir. Erec aurait dû laisser passer  sans broncher, dans un silence calme et reposé. Quinto aurait dû titiller, s’énerver, être froid, acide, toner contre la police, se lamenter sur sa voiture perdue, une voiture de marque en plus. Mais rien. Tout est étrange depuis tout à l’heure.

-          « Tout est si compliqué, je ne comprends plus rien. Et toi, tu ne réagis pas ! Tu ne dis rien, tu ne cilles pas. Qu’est-ce que tu as fait, qu’est ce qui se passe…

-          Arrête ! »

Quinto s’est enfin mue, il a attrapé son bras, l’a serré. Il tremble, de tout son corps, ses défenses tombent en morceau, s’écroule. Sa voix s’arme d’un trémolo. La peau de ses mains se craquèle, il manque d’eau, encore, toujours. Ses lèvres bougent d’un mouvement nerveux, il veut fumer, il fume lorsqu’il s’inquiète, jusqu’à deux paquets par jours, alors ça n’arrange rien. Erec s’est lui immobilisé, les rôles se sont échangés. Il ouvre la bouche, la ferme presque aussitôt, comme un poisson qui manque d’air. Il finit par attirer l’italien dans ses bras, le blottir contre son épaule.

« Je suis … absolument … mort de trouille, Ange. Ça ne se voit pas mais je suis mort … de peur. J’ai besoin de temps. Je t’expliquerais, je te le promets. Un jour. Mais il me faut du temps. J’ai besoin de reconstruire mon armure, j’ai une multinationale à faire tourner, des parents incompétents et toxiques à contenir … et surtout je dois vivre. Tant que je vis, je leur fait le plus immense des bras d’honneur et ça me conforte. Ne t’inquiète pas. Ils ne peuvent pas me noyer. Je ne peux pas me noyer. »

 

 

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