Brad#47 - Recrutement à la volée

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—J’ai faim, glapit le plus petit.

Le garçon plus âgé, le visage hâve, baissa la tête.

—Je sais Henri. Nous allons attendre encore un peu que le marché soit bien rempli et j’essaierai de récolter un petit quelque chose pour toi. Comme la dernière fois, tu ne bouges pas d’ici jusqu’à ce que je revienne te chercher, d’accord ?

—Une pomme ou une tourte à la viande ? Les tourtes de maman étaient les meilleurs.

Affectueusement, il lui ébouriffa les cheveux. Le gamin se lova sous sa main tel un chat savourant une caresse. Ils devaient être frères, frères de rue du moins. Le petiot s’accroupit en retrait.

Je les observais depuis déjà plusieurs minutes. Leur conversation était parfaitement audible bien qu’ils soient à près de trois mètres et en contrebas. Une particularité acoustique qu’il me faudrait signaler à mon précepteur. Cela pouvait être utile ou tout à fait dérangeant selon la teneur de la conversation. L’ainé reluquait les étals. La venelle où ils s’étaient postés était à moins de cinq mètres de l’étal d’un boulanger. L’odeur des miches dorées devaient torturer leurs narines. Cette odeur m’avait troublée au cours de mes gammes et je m’étais approché de la fenêtre pour la humer à plein nez. La scène des deux enfants affamés, pourtant relativement commune dans cette cité, me troublait. Je n’arrivais pas à détacher mes yeux de leurs vêtements rapiécés, de leurs minois étroits. Impossible de revenir à mes gammes après cela.

Le hasard de la naissance m’avait placée dans une famille aisée et malgré la perte de mes parents, mon oncle pourvoyait à tous mes besoins, généreusement. J’étais nourrie, logée et instruite au sein du pensionnat auquel ma mère me destinait. J’aurais pu naitre pauvre, partager leurs vies de misère. D’ailleurs peut-être ne l’étaient-ils pas tant que ça avant de perdre leurs parents. La vie dégringole si vite de libres travailleurs à voleurs ou pire, esclaves.

Intéressé malgré moi à leur sort, je jetai un œil aux deux miches un peu trop cuites qui refroidissaient juste au bord externe du présentoir. Un mouvement vert perçut du coin de l’œil me fit lever les yeux au loin. La milice piétonne remontait la rue. Le gamin n’allait pas s’en sortir.

Ne sachant ni comment ni pourquoi, mon cœur bondit et avant que je m’en rende compte je dévalais les escaliers. Traversant la cour intérieure comme un cheval au galop, je franchis le portillon au moment où le premier cri retentit. La boulangère avait l’œil et sa voix vibrait de la colère de celui qui est spolié de son travail. La milice accourrait déjà et un attroupement trop dense empêchait l’enfant de fuir à toutes jambes. J’arrivais à lui au même moment que le premier milicien. Il levait déjà la main quand je me mis à invectiver le suspect.

— Jacques, mais que faites-vous malheureux ! Par la Mère ! Vous me faites honte. L’on va vous croire indigent. Respectez un peu la maison qui vous a offert un toit ! Vous devez vous habituer à cette nouvelle vie et utiliser vos écus. Ou demandez à notre créancier de mettre la note sur l’ardoise du pensionnat. Par l’Enfant, ne savez-vous donc rien ?

Voleur et milicien me regardèrent, pareillement éberlués.

— Il suffit. Fermez votre bouche. Un palefrenier ne regarde pas une pensionnaire de la sorte, bouche ainsi béante. Veuillez revenir sur vos pas et utiliser l’argent de votre bourse pour régler cette brave dame.

Etait-ce mon aplomb, la qualité de ma robe d’après-midi ou le bruit léger des pièces dans la bourse apparue à la ceinture du jeune garçon qui remportèrent la mise, je ne sais. Le visage patibulaire, le milicien voulait encore saisir le poignet du voleur quand la boulangère, me reconnaissant, se précipita pour nous sauver. Elle retint la main du milicien, expliquant qu’elle ne saurait être responsable d’un incident avec une maison aussi respectable que la mienne. L’affaire fut rondement mener. Elle s’excusa de ne pas avoir reconnu nos armoiries, qu’elle cherchait avidement sur la tenue défraichie du suspect. Je m’excusais en retour. Il venait d’être engagé à l’écurie où il avait veillé une bête sur le point de mettre bas. La cuisinière lui avait demandé un service en passant et à trop vouloir bien faire, il n’avait pas osé prendre le temps d’enfiler sa livrée. Nous rîmes toutes deux de cette situation invraisemblable tandis que l’adolescent envisageait toujours de déguerpir. Mais mon pied écrasait très fermement le sien et il avait le bon gout de baisser la tête sans me contredire. Il faut dire que je tenais encore la miche dorée, parfaitement cuite que m’avait remise la boulangère.

Je me tournais enfin vers lui. Avant de relâcher son pied que ma robe cachait, je poursuivis la mascarade à destination du milicien qui n’avait aps complètement baissé sa garde.

— Allons, suivez-moi à présent et plus d’esclandre. Henri va s’inquiétait si vous ne revenez pas.

Il me suivit avec le respect dû par un serviteur, deux pas derrière moi. Selon la bienséance, il aurait dû m’ouvrir le passage à travers la foule sauf qu’il ignorait le chemin, bien sûr.

Je m’arrêtais devant la grille ouvragée du pensionnat.

— Si Henri et vous désiraient cette miche, sachez que je ne vous la cèderai que assorti d’un bol de lait pris dans les cuisines de cette maison. Donc je vous suggère de le récupérer et me suivre.

Les yeux écarquillés, les lèvres sèches, il siffla un certain air et fit des signes de la main au petit qui traversa la rue en courant et scruta la miche comme si ses yeux avaient la capacité d’en percevoir déjà le goût.

Je les installais à la table commune où Fancine les servit copieusement sans poser de question. L’intendant n’eut pas cette courtoisie.

— Qui sont ces gens de rien, je vous prie. Madame ne m’a pas annoncé leurs venues.

— Eh bien, vous voilà prévenu. Il s’agit, sans nul doute du nouveau palefrenier et d’un jeune page.

—Nous ne pouvons prendre soin de toute la misère de cette Cité…commença-t-il.

—Nous n’en faisons rien d’ailleurs. Pourtant, c’est bien notre mission, je crois. Il faut bien commencer quelque part. Je vais en discuter avec la directrice pendant le thé. Bergamote bien corsé pour moi, je vous prie. Dès que l’eau sera chaude.

Je commençais à gravir les escaliers mais revins sur mes pas.

— Mr l’intendant, ne les laissez pas filer tant que vous n’aurez pas reçu d’instructions spécifiques à leur sujet, s’il vous plait.

L’éclair d’un sourire traversa son visage imperturbable.

— Bien sûr, mademoiselle. Ils seront à coup sûr de bonnes recrues pour cette maison. Même s'ils devront beaucoup s'entrainer pour savoir se fondre discrètement dans une foule.

Je montais avec un large sourire. Ainsi il savait déjà tout. Elle aussi. Elle les prendrait sans doute sous son aile.

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