« Il a décidé de recouvrer son âme sauvage, pour revenir plus humain. Il s’éloigne de la scène, cède sa place à l’éléphant blanc. Sait-il seulement combien il compte pour elle ? »

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« Il a décidé de recouvrer son âme sauvage, pour revenir plus humain. Il s’éloigne de la scène, cède sa place à l’éléphant blanc. Sait-il seulement combien il compte pour elle ? »

Arrondissement de Manhattan - Janvier

Volute de fumée qui s’échappe de sa bouche. Eian s’engonce dans son blouson de cuir. Il avance de plus en plus vite enivré par les odeurs de la ville. Ses sens s’affolent à cause du bruit, du froid, des lumières. La Colère. Elle l’emplit sans qu’il puisse la réprimer, elle gronde. Les étranges ont un problème avec l’autorité, c’est un fait, c’est ainsi qu’ils sont construits et personne jusqu’ici n’est venu jouer le rôle de l’exception qui confirme la règle. Ainsi, pas d’étrange dans les corps militarisés. Et s’il y a bien un parmi eux qui ne supporte  d’avoir un chef, c’est bien lui. Eian grogne, le cri résonne, rocailleux, au fond de sa gorge. Sa langue caresse ses canines, elles sont là, il les sent. Son pas s’accélèrent encore un peu plus, le décor de gratte-ciel défile, invariable. A la fois identique et différents. Il n’y a rien de plus ressemblant à un gratte-ciel qu’un autre gratte-ciel. La pluie bat sur ses boucles blondes, elle les alourdit, les allongent. D’habitude, c’est à ce moment-là que Parvati commence à jouer avec de ses doigts sombres, comme une envie irrépressible. Et lui qui a pourtant horreur qu’on le touche, se laisse faire comme le plus docile des chiots. Mais Parvati n’est pas là. Parvati est quelque part, loin. Il ne l’a pas cherché, il a promis, contre son gré mais il a promis. Et sa chevelure blonde se raidit, retrouvant toute sa longueur, une longueur presque aussi importante que les cheveux blonds cendré de Quinto, quand il les attache en catogan.

 

Quinto. Il a débarqué au petit matin, en tambourinant si fort la porte du petit deux pièces que Nathanaël a cru que les flics ou les fédéraux  étaient en train de défoncer sa porte. Un instant, dans son esprit brumeux mal réveillé, Eian a senti l’éclair de son regard acier le transpercer de colère. Pourtant personne ne sait qu’il est ici, il n’a pas approché un ordinateur à moins de 2 mètres, distance qu’il doit y avoir (à peine) entre le canapé et la table sur laquelle le russe et sa compagne manipulent leur chiffre à coup d’algorithmes et de statistiques. Et sans ordinateur, ni délits, ni crimes de sa part. Nathanaël lui a interdit de toute façon, une règle encore parmi les innombrables et inénarrables autres règles. Seulement Quinto semble en avoir décidé autrement. Après quarante-huit bonnes heures de réflexion, il a décidé que lui, Eian, devait absolument se remettre au travail que c’était vital. A croire que l’événement, l’explosion, lui a secoué les neurones. D’habitude, ça ne lui fait ni chaud ni froid mais là, quelque chose l’a ébranlé dans ses fondements. Peut-être le fait qu’Evangeline ait été touchée par ricochet. Eian a d’ailleurs fait le vœu pieu d’aller la voir pour un autre de leur dialogue silencieux. Ou alors quelque chose  lui a fait prendre conscience qu’on ne peut pas gérer  tout cela avec seulement le sarcasme comme seul allié. Le sarcasme est un excellent bouclier, là-dessus, rien à redire. Mais il ne fait pas tout. On ne peut pas tout affronter avec cette unique protection. Soit, c’est une bonne chose que cette tête de pioche de Quinto se soit remis en question. Par contre, si cela pouvait arriver à un autre moment qu’à cinq heures du matin, cela serait tout aussi bien. En tout cas à ses yeux. Sa requête avait eu l’air d’un ordre, presque pas dissimulé d’ailleurs. Pirater les serveurs de la police de New-York, rien que ça. « Ils ont fait tout le boulot d’enquête à notre place. De toute façon, nous n’avons d’expert en explosif parmi nous. Autant réutiliser pour rendre utile ces analyses ». Le raisonnement se tient. Seulement, s’il reprend ses activités dans le deep web, il lui faudra repartir, vivre caché. Quinto s’est engagé à financer, il en a les moyens, Eian a même carte blanche au niveau des achats ou de l’endroit où il souhaite s’installer.

 

L’islandais s’arrête, il est arrivé au bout, à l’Hudson River, il ne peut pas aller plus loin. Aussi étrange que cela puisse sembler, il se sent à l’étroit dans la ville de New York, il a besoin de grands espaces pour se dégourdir les jambes. Il a aussi besoin d’endroit où la connexion est suffisamment bonne pour creuser dans les méandres du monde binaire. Et pourquoi ne pas oublier la peine de cœur dans laquelle il se morfond depuis maintenant un mois.  Avancer, bouger, vivre, espérer. Il veut prouver mais il veut aussi en finir. S’il découvre un lien, un indice, parce lui sait quoi chercher, où et comment, alors on pourra agir, sans problème. Repérer l’ennemi, le détruire. Et cette fois ci, pas seulement les serveurs. Comme la première fois qu’il a affronté de face son ennemi, leur ennemi. Un regret. S’il s’y remet, Organisation ou pas organisation, s’il se remet à naviguer dans le deep web, Parvati lui enverra toute sa colère, toute sa rancune et son inquiétude. Elle refusera de la revoir, mais lui en meurt d’envie, de la revoir. Il préfère devoir passer ses soirées à réparer les portes de leur logement commun à cause d’une colère de la dame plutôt que de se retrouver seul, encore. C’est bien la première fois que la solitude lui pèse autant. Alors il s’assoit, balance ses jambes au-dessus de la mer, installé sur son quai. Il est presque seul, un pécheur attend que sa ligne trouve preneuse en poisson. Eian inspire, sort son téléphone. Il va essayer. Appeler Himitsu. Avec ce qu’il a lui dire, elle ne le mettra jamais en relation avec son amie. Alors Eian s’arrête. Appeler ne sert à rien. Un autre système. Où elle l’écoutera, elle entendra. Il l’enverra par mail, elle ne lui a pas interdit le mail, après tout. Avec un peu de chance, elle ne le supprimera pas tout de suite. Elle l’ouvrira. Elle ouvre toujours ses mails. Surtout s’il demande à quelqu’un de l’envoyer à sa place. L’islandais ferme les yeux, laisse glisser son index sur l’écran tactile de son téléphone. Fonction enregistrement.

 

« Parvati.

Je t’en supplie, n’éteins pas l’enregistrement tout de suite. Juste écoute moi. Ne détruit pas ton ordinateur de colère aussi, je ne suis pas sûr que tu puisses expliquer cette mésaventure à ton groupe de recherche. Ils n’ont pas l’habitude de faire face aux fureurs d’un éléphant tricéphale. Moi, si.

Je ne serais pas long. D’abord, sache que je n’ai jamais cessé de t’aimer. Que tu me manque. Terriblement. Que je tente de corriger ce que tu me reproches. Cependant, nous avons passé un cap. Mon ordinateur, c’est mon arme, ma seule arme. Mon seul bouclier. Je ne le lâcherais que lorsque je serais en sécurité. Lorsque nous serons en sécurité. Moi, toi. Les autres. C’est à mon tour de disparaitre. Je refuse l’idée de te mettre en danger. Eian Svenson va mourir encore une fois. Plus vite j’aurais fini, plus vite je reviendrais. Peut-être que tu m’en voudras encore quand je reviendrais, peut être que tu ne m’attendras pas. On verra bien. Je ne sais pas combien de temps ça durera, ni si j’en sortirais vivant et en seul morceau. Ce ne sera pas la première fois. Mais ce sera la dernière. Tu as ma parole, Parvi.

Je garde pour moi mes souvenirs et mes rêves, ils se substitueront au vrai Toi pour ce temps de retour à mon état de loup solitaire. »

 

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