La démone du secret.

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Je suis l’abbé Mathieu, responsable d’une abbaye située dans la Drôme, anciennement un château, un lieu imprégné d’histoire qui nous aide à trouver ce que l’on recherche, la paix et la sérénité.

Nous sommes des Bénédictins, l’ordre qui était fondé part Saint-Benoît. On confectionne des tas de produits, de plus nous avons même une partie hôtellerie où nous pouvons accompagner spirituellement nos hôtes s’ils le désirent, à condition de respecter le silence du monastère.

Un jeune homme un peu étrange demande à devenir moine.

Je ne peux m’empêcher de lui sourire, car il semble hésiter à m’appeler, frère, père. Ses cheveux sont roux, un peu frisés et ses yeux sont d’un magnifique bleu ciel. Par le passé, il a déjà fréquenté notre abbaye à maintes reprises, il nous parle de sa quête de chercher Dieu et une paix.

Il semble motivé, j’accepte de le prendre sous mon aile. Nous avons beaucoup de choses à lui apporter, lui aussi d’ailleurs. Il se dit webdesigner, il fait don de son ordinateur à notre communauté et de ses compétences pour prouver son engagement.

Le temps s’écoule comme l’eau dans un long fleuve tranquille.

Ce jeune a un talent certain, tant pour ce qu’il a déjà que pour ce qu’il n’a pas. Il apprend et comprend vite, il a un niveau de latin plus que correct et retient presque par cœur les chants grégoriens. C’en est déroutant.

Quelques mois sont passés depuis qu’il est ici. Il a commencé un noviciat et porte nos habits noirs.

La vie d’un moine est faite de beaucoup de silence, de recueillement et de contemplation.

D’ailleurs, je savoure ces moments où je m’attarde dans le cloître la nuit pour observer les étoiles avec le bruit de l’eau qui coule dans la fontaine.

J’observe beaucoup ce qui se passe dans l’abbaye et à l’extérieur, j’apprécie cet aspect de ma vie, en plus de vivre selon nos règles.

Le nouveau venu, frère Célestin, a toujours ce tic étrange, il regarde par-dessus son épaule. Sa nervosité est parfois palpable. Un jour dans la crypte, il y a eu une coupure de courant, il cria au démon et sortit en courant.

Juste après cet incident, j’ai voulu savoir ce qui lui avait fait si peur. Il dit vouloir trouver Dieu pour chasser les ténèbres, l’obscurité dans une pièce l’effraie. Il ne voulait pas en dire plus, qu’importe, quand il sera prêt, il s’ouvrira à nous. Avec l’aide de Dieu, il trouvera le courage nécessaire pour alléger son fardeau.

Depuis, des choses étranges se produisent, nous nous sentons épiées, une présence s’est invitée au sein du domaine, tous la ressent plus ou moins, l'atmosphère n’est plus exactement la même, comme imprégnée d’une aura, mais je ne la reconnais pas. Peut-être de la paranoïa due au fait que Célestin est un peu nerveux, sûrement du faite qu'il a du mal à s’habituer. Je veille donc un peu plus sur lui, ce serait dommage qu’il parte, c’est un jeune homme vraiment doué.

Ce soir, je contemple les étoiles dans le cloître. Le ciel nocturne est relativement dégagé, la lune cachée par les nuages. Qu’est-ce que... Il y a quelque chose sur notre toit, une forme humaine, noire, dressée sur ses jambes, qui m’observent longuement et en silence. La lune commence à lever son voile, mais rien n’est mis en lumière.

Qu’ai-je vu ? Quelle sorte d’apparition était-ce là ? Un présage ? Là encore de quelle sorte ?

À présent, mon regard n’est plus tourné vers les cieux, mais vers les toits, nuit et jour.

Dans le silence, le soir, on entend parfois une respiration, ce bruit n’est pas normal. Il y a quelque chose de malsain dans cette respiration, l’air est glacial à chaque fois qu’on l’entend, si c’est une entité, elle respire comme une bête affamée devant sa proie. Lentement, avec retenue, comme si elle attendait le bon moment.

Il est vraiment difficile de dormir, et déjà une semaine que ce souffle murmure sa présence. On eut beau chercher dans toute l’abbaye pour constater d’où provenait ce bruit. Rien, aucune personne ou bête, elle est forte, parfois audible comme si elle était juste à côté de nous, et pourtant impossible de la voir.

Cette nuit, je prie, puis j’entends un cri, il vient de l’abbatiale, alors, nous sortons de nos chambres et accourrons. Nous entrons avec fracas, nous constatons qu'il n'y a que célestin au sol, il est apeuré, priant le Seigneur de le sauver, les mains jointes et tremblantes. Je m'avance pour mieux voir.

- Que se passe-t-il, frère Célestin ?

Un chapelet nous est lancé du fin fond de l’abbatiale, là où se trouve la croix de Jésus-Christ suspendue. Il atterrit à mi-chemin entre nous et Célestin.

Et le souffle se fait entendre à nouveau, résonnant sur chaque colonne et chaque mur. Célestin court vers nous et ramasse le chapelet. Je demande à mes frères de rester loin et le rejoins.

- Célestin qui est là ?

Totalement paniqué, il hurle, les mains tenant sa tête comme pour saisir la réalité.

- Un démon ! Il y a un démon qui me chasse !

J’ai déjà eu affaire à un cas ici, il fallut appeler un exorciste officiel de l’église. Ce fut très difficile, mais avec son assistance.

- Quel est son nom ?

- Je ne le connais pas !

Je prends ma croix pour tenter de repousser ce démon qui le possède.

- Courage, Célestin, Dieu est avec nous !

Mais une voix se fait entendre, noire, gutturale, elle n’est pas humaine.

- Célestin, ainsi voilà ton nouveau nom, toi et tes frères de sang, vous m’avez bien fait courir.

Je vois cette forme, celle du toit. Elle rit, le corps brillant d’un bleu similaire a celui de Célestin, le peu de lumière qui nous vient de la lune s’éclipse. Il n’y a plus qu’elle et cette noirceur. Je prononce à peine quelques mots que le spectre réagit sur un ton moqueur.

- Oh, s’il vous plaît, même en latin, vos mots ne me feront aucun mal.

Je m’approche d’elle, la croix brandie pour la repousser, ma foi inébranlable pour bouclier, je lui tiens tête.

- Ceci est bien dangereux.

Dit-elle, en désignant ma direction. Puis une détonation. Quelque chose est passé près de moi, le démon souriant sort une épée de ténèbres qui dans un tintement puissant, brille d’azur. Une triste couleur qui se reflète sur toute chose dans la pièce, deux petites choses tombent de son arme. Du métal ?

- Célestin, je ne savais pas que tu avais une arme de poing. C’est ton nouveau hobby, les armes à feu ?

Je me retourne et le vois avec en effet un pistolet fumant.

- Frère Célestin ?

Je suis déçu, comme un père, je me sens trahi.

- Mon père, il faut au moins ça pour arrêter les ténèbres...

Sa main tremblante tenant l’arme, doigts sur la gâchette et prêt à ouvrir de nouveau le feu du mal. Son visage crispé, les dents grinçantes, il est devenu fou ! Le démon alors s’adresse à moi.

- Vous devriez vous écarter, à moins de vouloir rejoindre votre Seigneur.

- Non ! Les armes sont interdites dans la maison de Dieu. Posez-les !

Célestin d’une voix vacillante rétorque.

- Je ne peux pas, mon père.

Et le démon avec un ton presque moqueur.

- C’est un peu tard pour demander cela, abbé Mathieu.

- Sacrilège !

Crie un frère qui donne de toute sa voix pour se faire entendre.

- La violence n’a pas sa place ici !

Dis-je à ces deux âmes belliqueuses.

Soudain, je suis poussé puis tombe à terre, je relève la tête et vois cette chose fendre l’air avec l’épée, à chaque coup, des éclats de feu et de métal retentissent avec les tirs de Célestin. Je me redresse pour les en empêcher.

- Arrêtez !

Quand je regarde Célestin, le chargeur tombe. Le silence fait place avec le vent de l’effroi, cela venait bien d’elle, la chose à la forme de femme et aux longs cheveux noirs. Son abdomen se contracte et se dilate au même rythme. Célestin toujours possédé vocifère.

- Qui êtes-vous !? Qui êtes-vous !? Bon sang ! Que voulez-vous !?

- Le saviez-vous abbé, cet homme ainsi que ses cinq autres frères de sang ont violé et tué une dizaine de femmes ? Oh…

Elle se tourne lentement sa tête et se divertit de mon ignorance.

- En voyant votre surprise, j’imagine que non.

- Elle ment !

Célestin, rentre dans une rage telle qu’il en devient rouge. Elle répond avec froideur cette fois.

- Je surveillai leur onzième victime pour une autre raison et c’est là que j’ai découvert leur charmante fratrie. Ainsi que dans un ordinateur, des photos de leur victime et les lieux où elles sont encore enterrées. Avec un descriptif d’une sorte de rituel en latin.

Célestin d’un revers de main nie encore.

- Démon ! Elle ment !

- Qu’importe Célestin, vous allez mourir devant Jésus-Christ ici même. Par l’amour et pour l’amour.

Un frère appelle à la raison.

- Cessez cela, immédiatement ! Il faut éclaircir la situation !

Et j’ajoute avec autant de ferveur.

- S’il s’agit de meurtre, allons en parler aux autorités avec vos preuves !

- Les preuves, elles ont explosé avec l’appartement alors que j'étais dedans. Les corps ne sont que des cendres. Tout ce qu'il en reste, ce sont d'ignobles images imprégnant ma mémoire. Il n'existe plus de trace recevable devant un tribunal, que ce soit de leurs morts ou de leurs disparations, comme si elles n'avaient jamais existé, toutes des chômeuses, toutes isolées de la société. Des femmes solitaires ou qui ont coupé les ponts avec leurs familles à cause de querelles. Une année que cela dure, une année de silence et ces actes de violence gratuite continueront avec pour seul témoin mes yeux et peut-être votre Dieu.

Je rebondis sur cela pour qu’elle m’entende.

- Et seul lui a le droit de vie ou de mort, non vous, Madame.

Elle m’écoute, mais je sens que son cœur est plongé dans un abysse tel que mes mots ne sont qu’un écho qui se perd autour d’elle et se déforme. L’amour en son sein est vicié par une chose que je ne connais que trop bien, la colère.

- Nous sommes à son image, tels des reflets dans un miroir. Ainsi, c’est dit et écrit. À votre avis abbés, lequel d’entre eux suis-je ?

Elle regarde au plus profond de mon âme.

- Et le fragment que je suis ne se nomme pas Madame, mais Ombre Bleutée.

Un tir, puis la femme bougent au rythme de chaque détonation, un pas pour chaque détonation, elle s’approche de lui inéluctablement.

Célestin n’a plus de balle, l’Ombre brandit son épée.

- Non !

J’accours pour le sauver, à chaque pas que je fais, il crie de douleur. Elle tranche dans la chair et éclabousse le sol du sang de Célestin, son corps tombe sur le marbre. L’Ombre qui m'a tourné le dos m’arrête de sa main, la paume ouverte et ensanglantée.

- Ceci…

Elle me regarde et me dit droit dans les yeux.

Est-il le sang du Christ ?

- Quoi ?!

Elle approche son visage couvert de sang, les yeux imbibés de larmes rouges ruisselantes sur ses dents.

- Ceci, est-il le sang du Christ ? Ou celui qui est mort pour tous nos péchés. Je pose la question, car je ne vois pas la bonté et la compassion dans cet homme, alors...

Si prêt, je vois l'enfer qu'elle pave dans le reflet de son esprit, un long chemin qui n'aura jamais de fin.

- Ceci, est-il le sang du Christ ?

J’entends un gémissement, je regarde, Célestin respire. Je pousse un soupir de soulagement.

- Il est vivant.

- Pas pour longtemps. Ce sataniste mourra avant l’aube.

Elle range son arme dans sa gaine sifflante la fin de l’horreur. Seigneur, ai-je bien entendu ?!

- Sataniste ?!

- Oh, ne vous l’ai-je pas dit ? Les textes en latin, c’était toutes des invocations pour Satan.

Elle ricane face à cette réalité qui est à la limite d’une farce.

- le démon, c’est lui et ses cinq autres frères.

Elle prend par le pied et le traîne sur le sol, alors j’ordonne.

- Mes frères empêchaient là d’emporter Célestin ! -

- Son prénom est Albert, il se vide de son sang, vous voulez qu’il meure ici ? Vous avez vraiment des difficultés à vous décider.

- Il n’ira à nulle part ! Je vous en conjure, laissez-le ici !

Sa tête se retourne lentement, pencher sur le côté. Mais quel sombre dessein lui est parvenu ?

- C’est ce que vous voulez vraiment ? Finalement, on en vient à ce que j’ai dit au début.

Elle lâche le pied, prend la tête et la déboîte !? Le craquement est brutal, je suis choquée ! Et toujours en souriant à pleines dents, satisfaite, elle ajoute à cette infamie.

- C’est malheureux, il est maintenant ailleurs.

Cela me dégoûte, mon cœur est révolté par autant de cruauté. Alors je la sermonne !

- Comme osez-vous faire cela !

Je lui prends l’épaule et l’oblige à me regarder vraiment cette fois.

- Vous ne connaissez donc pas la pitié !? Vous n'avez donc aucun sens du sacré !?

- Je n’ai pas de pitié quand on porte une arme et que l’on choisit de la brandir pour tuer par simple plaisir, on ne doit avoir aucune compassion pour ces gens-là. Pour ce qui est du sacré, je considère chaque lieu important. Pas de chance pour vous, cet homme ne fonctionnait pas comme ça. Sinon, il n’aurait pas souillé cette terre de sa violence, de ses mensonges et du sang d’innocents. Maintenant abbés Mathieu.

Elle rejette ma main comme le ferait une fille rebelle.

- Vous allez continuer à consacrer votre vie à Dieu, comme vous l’avez toujours fait, méditez en silence sur l’existence. Et moi, je repars dans le même silence pour découvrir des vérités cachées.

- Vous… Que cherchez-vous en ce bas monde ?

- Mais la même chose que vous tous, Abbés Mathieu. La paix et…

Elle prend le corps de Célestin sur son épaule, un poids qui ne lui fait même pas courber un peu l’échine.

- Je la trouve à chaque fois que je sauve des vies, même si je dois tuer pour cela. Je veux faire de ce monde un paradis. J’ai seulement pris un chemin différent du vôtre.

- Alors très cher enfant, vous êtes perdue.

Tout en me tournant le dos.

- Ironique, je sais exactement où je suis.

Mes frères s’écartent et elle disparaît dans les ténèbres de la nuit.

Depuis, le calme est pesant, car l’ombre bleutée s’y trouve. Un être entouré d’une aura sombre et imbibé de l’odeur de la mort. Elle est la démone du silence, observant sans bruit les pêcheurs pour les envoyer en enfer.

Je prie pour que ne soit jamais un innocent. Je prie pour qu’elle trouve la paix et la sérénité.

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