Un démon à l’intérieur moi.

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Le suicide, voilà ce que je cherche, je me nomme Adel, dans cette ville, Paris, la plus peuplé de France, je me sens si seule.

Ma vie est un échec. À ma naissance, je suis abandonné, puis mon généreux père adoptif m'a battu à mainte reprise. Je porte encore les stigmates de ses coups dans ma chair, un os fêlé et des réactions de repli au moindre mouvement brusque venant d'un homme. J'échoue dans toutes mes tentatives d’êtres heureuses, je passe mon temps à faire des boulots ingrats et mal payés aux ambiances aussi pourries que ma vie tout entière.

Je vis mal, j’ai tout juste de quoi payer de la nourriture à peine correcte. Je ne suis même pas aimée. La preuve, on ne m’invite pas, et même si quelqu’un le voulait, ce serait des gens que je n’apprécie pas. Vie de merde.

Mon premier suicide fut la drogue, j’en prends tellement que même mon dealer était inquiet, à tel point qu’il refuse de m’en vendre. J’ai dû en trouver un autre.

Cette nuit-là, j’ai fait une overdose en pleine rue, on m’a sauvé et je ne me souviens même plus comment.

Alors je décide ce soir de me faire saigner, dans ma baignoire. Lentement, le sang coule, lentement, je perds connaissance, lentement, je vais m’endormir dans un sommeil éternel qui m’apportera la paix. J’ai froid, je sens l’étreinte de la mort me sortir de ce corps gelé et je m’évanouis enfin pour toute l'éternité. Adieu monde cruel.

Me revoilà consciente et dans un lit d’hôpital. Mais comment ?!

Selon une infirmière, quelqu’un m’a sauvée en me déposant devant l’entrée de l’hôpital, ils m’ont cru morte tellement, j’étais mal en point, c'est un miracle selon eux. Quelles malchances, j’y étais presque !

On me dit de faire un suivi psychologique, j’ai refusé, je n'ai pas besoin de leur aide aussi utile que la question que tout le monde pose « Ça va ? ». J’ai envie de leur hurler dessus mon désespoir, mais si je le fais, ils feront ce qu’ils font toujours. Continuer sans regarder. Des Hypocrites aux grands sourires. Je me débrouille très bien sans eux. D’ailleurs, en parlant de suivi. Qui m’a sauvé cette nuit-là ? Personne ne sait où je n’habite pas même mon dealer et surtout mon dealer.

Alors un certain temps passe, très bref, mais qui me semble durer une éternité jusqu’à ce qu’une nouvelle envie survienne. Il y a un endroit où je pourrais tenter de me tuer, le pont des suicidés. Non, trop fréquent. Bien que mourir au milieu de la végétation serait agréable. Je me vois bien le visage tourné vers l’infiniment grand, entouré de mon propre sang, souriant à l’univers.

Le côté romantique de la scène me fait vraiment envie, c'est une belle manière de clore le chapitre de mon éphémère et insignifiante existence. La route ainsi qu’un bus ou un camion pourraient faire l’affaire, non, je risque de trop souffrir. Puis je n’ai pas envie de tuer quelqu’un par cet accident volontaire. Il y en a qui veulent vivre, quelle bande de fous.

La Seine alors ? Oui, très bonne idée, ce sera plus doux et sans risque pour les autres. C'est décidé, un poids dans mon sac à main, un pont pour plonger et mon pied attaché à ce dernier.

De nuit, je me rends au pont de Notre-Dame, j’attends un moment pour être sûr et certaine qu’il n’y est personne pour intervenir.

Je saute en même temps que la charge que je lance, je coule et m’évanouis. À nouveau, je sens une étreinte froide qui m’entoure, mordante comme l’hiver, des ténèbres qui obscurcissent la dernière lumière de la ville.

Mais je me réveille à nouveau, seul et au bord du fleuve. Je sens quelque chose dans ma nuque, cela pique. On m’observe ?

- Qui est là !

Personne, quelque chose en moi me dit, je ne sais comment, qu’il y a forcément quelqu’un et cela ne peut être autrement.

- pourquoi me suivez-vous !? Pourquoi ne me laissez-vous pas en paix !?

J’entends un souffle, il est éloigné et pourtant, il est omniprésent. Qui que ce soit, il n’empêchera pas ma volonté de s’accomplir.

Alors, le lendemain, j’attends sur une passerelle qui passe au-dessus des rails de train sortant et entrant à la gare de Lyon pour sauter au dernier moment, avec cette nuit noire, il se sera impossible de me voir jusqu’au tout dernier instant. Pourvu que personne dans les immeubles ne me remarque.

Je vois les lumières du train, alors je saute et ferme les yeux. J’attends le choc, mais rien ne se passe. J’ouvre les yeux, toutes les lumières sont éteintes, je ressens pourtant encore cette caresse qui m’entoure, le train s’est arrêté, j’ai échoué.

Le souffle omniprésent encore, c’en est assez.

- mais où êtes-vous !? Montrez-vous !?

La nuque me démange, je la gratte frénétiquement, c’est agaçant !

- Cessez de vous mêler ce qui ne vous regarde pas !

J’entends une voix venant du ciel.

- Il y a de si belles étoiles ce soir. Aucune ne s’éteindra.

Je lève les yeux.

- Il n’y a rien d’autre qu’un ciel noir et nuageux !

Et le lendemain, j’essaie encore de trouver la tranquillité. Je monte la plus haute des tours, celle d’Eiffel, je sors de mon sac de quoi couper la grille de sécurité. C'est un succès, mais avant de sauter, je prends le temps de regarder autour de moi, agripper à la grille.

Une chose m’interpelle, je ne ressens aucun vent, c'est si calme, si romantique, je m’égare dans un rêve, en moi, j’espère quelque chose de plus, une illusion où je serais heureuse. Ce vieux souhait persiste encore en ce lieu où je me sens bien, enfin. Je veux que cela dure pour l’éternité, alors lâche prise Adel. Laisse-toi porter par la brise tel un pétale de fleur et meurs.

Je tombe avec le sourire et les larmes.

- Comme si j’allais vous laisser faire.

Non, non ! Impossible !

- Trop tard !

Je la vois, la mort et son crâne funèbre décharné enveloppé d’une brume de ténèbres sautant depuis le sommet de la tour. Tout est si lent, le temps, la gravité, rien n’a plus de signification, rien ne peut expliquer pourquoi cet être saute avec moi à me tendre la main, ni même à me sourire. Je la repousse et m’éloigne d’elle, à ce moment, elle rayonne d'une irradiante lumière céruléen intense, perçant les ténèbres qui l'entourent.

- Il y a de si belles étoiles ce soir, Adel, vous ne vous éteindrez pas.

- Oh que si ! Le sol s’approche, regardez !

Elle me saisit ?!

- Quoi ?!

Non, non ! Elle me tient !

- lâche m…

- Accrochez-vous.

Et j’obéis sans savoir pourquoi. Le sol s’approche dangereusement, ses pieds touchent la tour, le frottement brutal fait étinceler le fer, elle la descend en courant sans tomber et surtout sans mal ! À quel moment, c’est possible à cette vitesse ?!

Vers la fin, elle fait un seul saut qui devrait nous briser les os, pour finalement retomber sur le sol dur comme la pierre intacte. Je suis en plein trip sous cocaïne, c’est ça ?! Non, parce que là ses jambes auraient dû traverser ses épaules !

- Nous voilà saufs.

Je m’échappe de ses bras, je suis frigorifié, mes bras ne me tiennent même pas chaud.

- Qui êtes-vous !? Comment avez-vous fait ça et pourquoi vous me harcelez !?

Elle répond avec un certain détachement.

- Et pourquoi je ne le ferais pas ?

Elle remet ses longs cheveux noirs en place et me regarde droit dans les yeux. Une humaine ? Ce n’est pas la mort ? Oh, non.

- Je vois, vous voulez absolument me sauver à tout prix ! Je n’ai pas besoin de vous, j’ai besoin que d'une seule chose.

Elle répond du tac au tac.

- C'est faux, vous en voulez trois, la sérénité, le silence pour l'éternité.

Comment le sait-elle ? Non, elle essaie sûrement d’entrer de mon esprit.

- Vous n’avez aucune idée de ce que j’ai traversé ! Ni de ma situation !

- Vous souffrez, c'est déjà une assez bonne piste pour savoir qu’elle est votre situation.

Elle m’énerve, alors je dois la fuir et lui tourner le dos.

- Fichez-moi la paix !

- Et où croyez-vous aller au juste ?

Me dit-elle avec une voix plus sombre. L'intimidation ne fonctionne pas sur moi, idiote.

- Chez moi !

Dis-je en tapant du pied.

- Chez vous ? Avez-vous seulement un endroit qui mérite d’être qualifié ainsi ? Mise à part où nous sommes.

Elle ne sait rien de moi, non, c’est pire, elle se moque de moi.

- vous bafouez mes sentiments ! Comment osez-vous !? N’essayez pas de faire semblant de vous préoccuper de moi.

- Adel, vous seriez déjà morte si je ne me préoccupais pas de votre personne. Vous vous ne vous souvenez réellement pas de cette nuit-là ? Celle où je vous ai retrouvée.

Laquelle ? Vous me pourchassez depuis des jours. Maintenant, laissez-moi apprécier ma solitude.

Elle se met rire sans raison.

- Quoi !? Qu’est-ce qu’il y a de drôles dans tout ça !?

- J’ai dit ça une fois, laissez-moi apprécier ma solitude. On se ressemble un peu vous et moi.

- Même pas un peu.

- Oh si, car vous es toute aussi perdue que l’on puisse l’être au point de ne pas remarquer qu’il y a quelque chose qui cloche.

- Oui, vous et cette sorte de combinaison que vous portez, ainsi que ce saut que vous avez fait !

- Je vous corrige, cela n'est pas une combinaison, quant à ce saut, pour moi, il est tout à fait normal.

- là, c’est sûr, vous vous foutez de ma gueule !

- non, pas du tout. Par contre, observez autour de vous ?

Je le fais vite fait.

- je ne vois rien.

- Ce n'est pas qu’il n’y a rien, il n’y a personne.

En effet, il n’y a personne, je balaye du regard les lieux, c’est tout à fait normal.

- Et alors ?

- Dans Paris, la plus grande ville de France, sous l’un de ces monuments les plus emblématiques.

- Abrégez !

- Depuis cette nuit où je vous ai trouvé à faire une overdose jusqu’à celle-ci, il n’y a personne. Parce que nous ne sommes depuis que toutes les deux, dans la même pièce.

- De quoi ?! Mais qu’est-ce vous me chanté !?

- Vous avez déjà eu un bras de coupé ?

- Mais c’est quoi cette question ?

Elle me le saisit, je n'ai même pas le temps de réagir !

- Elle est stupide, c’est vrai, pardonnez-moi.

Elle a une épée dans sa main, elle le sort de nulle part et... Elle me coupe le bras ?!

- Oh mon Dieu ! Oh mon Dieu ! J’ai mal !

- Regardez votre bras.

Je m’éloigne d’elle, je ne veux pas mourir comme ça !

- Vous êtes malade ! Espèce de folle dingue !

Mon bras me fait atrocement souffrir, je regarde et...

- Il est toujours là ?!

- Parce que vous n’avez jamais perdu de bras, vous ne pouvez savoir ce que cela fait ici. Et la douleur n’est qu’une simulation de ce que vous connaissez, en l’occurrence une fracture légère.

Une simulation, alors tout ça n’est pas réel.

- C'est faux ? Tout ça est faux ?

- Faux ? Non, ce n’est pas faux a proprement dit. Ici, on est dans votre esprit.

- Mon esprit ?

Je suis bouche bée.

- Ou votre psyché si vous préférez. Vous êtes en sommeil depuis quelques jours et votre corps est dans un sale état. Je tente de le soigner, mais il y a quelques complications.

Cette nouvelle me rend fébrile, car je ne peux pas la fuir.

- Mais qui êtes-vous à la fin ?

- Moi ? On me nomme dans le monde réel l’Ombre Bleutée. J’ai répondu à votre cri de détresse.

Elle ment.

- Je n’ai jamais appelé à l’aide !

Elle s’approche, je recule, mais elle me saisit l’épaule, puis désigne mon buste.

- Votre cœur criait cette nuit-là, je l’entends toujours.

Mon cœur ?

- Il est brisé.

Elle caresse ma joue, ses yeux emplis de compassion.

- C'est pour ça qu’il crie.

- Qu’allez-vous…

Elle m’interrompt, je n’ose pas la regarder dans les yeux plus longtemps, le contrôle qu’elle exerce sur ma vie m’effraie.

- Pourquoi vous détournez les yeux ? Suis-je si terrifiante que ça ?

J’entends de la peine dans sa voix imprégner de sincérité, je fais tellement pitié, mais ce n’est pas non plus ce que je veux que l’on éprouve à mon égard.

- Je me soucie de vous, Adel.

- Arrêtez de me prendre par les sentiments. Ombre Bleutée, arrêtez de hanter mon esprit. Je vous en prie.

- Quand je vous laisse ici, toute seule avec vos pensées les plus noires. Je ne peux m’empêcher de m’inquiéter pour cette fille que je laisse dans ce lit, entourer de mes équipements qui maintiennent son corps en vie. Je la vois elle, puis je me vois moi, impuissante, encore une fois.

- Encore ?

- Oui encore.

Ce chagrin est palpable, je la sens m’envahir, les ténèbres qui éteignent toutes les lumières de la ville, la tour, et même le ciel, seule la lune nous éclaire, puis elle s’éteint progressivement. Cette accolade frigide m’accable, une étrange aigreur dans mon estomac survient et pourtant, son souffle balaye mes angoisses les plus profondes.

- De qui viennent ces ténèbres ?

- De nous deux. Elles sont animées par ton désir de mourir et mes regrets. Seulement…

Un claquement doits, je suis sûr une colline verdoyante avec des lucioles qui danse de fleur en fleur, un ciel nocturne avec la galaxie qui nous éclaire de splendeur, l’ombre bleutée est à mes côtés, tout aussi brillante que le ciel.

- cela ne m’empêche plus de vouloir briller.

Elle le contemple au point de s’y perdre jusqu’à me retrouver.

- Et toi veux-tu scintiller ?

- J’aimerai tellement, mais c'est im…

Elle pose son index sur ma bouche.

- Ne dite pas ce vilain mot dans mon esprit.

- C’est le vôtre ?

Elle acquiesce, alors je pleure.

- Il est plus beau que le mien.

Elle m’enlace à nouveau.

- Faux, il est différent, Adel. Paris, cette ville et cette tour, c’est un monde merveilleux. Quand tu l'as monté et que tu as contemplé l’horizon, je l’ai sentie, tu étais en paix.

- Ce Paris n’existe pas et cette paix non plus ! Vous savez ce que je veux et il n’y a que la mort qui peut me l’apporter !

- Les instants que tu cherches existent, mais ils ne sont pas éternels même ici. La mort elle-même n’est pas un état permanent et tous tes problèmes reviendront un jour te submerger.

Avec tendresse, elle caresse une de mes joues et de l’autre main, me réconforte en tapotant mon dos.

- Nous sommes tous enchaînés à des démons à l’intérieur. Ce qui nous définit, c'est la manière dont on vit et meurt avec.

- Alors j’aimerais les vaincre.

- Les vaincre ? C'est possible, mais ils reviendront toujours, ont les repousses, vie après vie, morte après mort.

- Alors la paix alors n’existe pas.

- Elle existe, entre chaque affrontement et chaque victoire.

- Un combat sans fin. Je ne veux pas de ça. Je n’ai pas la force nécessaire, Ombre Bleutée.

Mes épaules sont si lourdes, je plie.

- Tu as la force Adel !

Elle me redresse en me tirant vers le haut.

- Tu as réussi à vivre jusqu’à cette nuit, tu peux encore en vivre une de plus ! Rien ne t’en empêche !

- Je ne sais rien faire de mes mains !

- Alors, trouve !

- Mais je….

Je ne veux pas le dire.

- Tu quoi ?

Sa voix est si tendre, ses mains continuent de me réconforter, mais je ne peux pas dire ça, cela me fait si mal.

- Je suis abandonné.

- Mais ce n’est pas ça que tu veux vraiment me dire.

- Si.

- Non, ne me mens pas, ne te mens pas. Dis-nous à toutes les deux la vérité.

Je n’en peux plus. Je suis à genoux et lui hurle au visage.

- Je me hais !

Elle reste impassible un instant, comme si je devais en dire plus, mais ses trois mots suffisent à eux seuls.

- Mais cela signifie aussi que tu éprouves de l’amour pour toi.

- Quoi ?

Elle acquiesce.

- On ne peut pas s’aimer tout le temps, il y a des moments où on ne se supporte pas. Même moi des fois, je me déteste. Mais…

Elle me lâche et effleure d’une manière voluptueuse sa cuisse d’une main jusqu’à la hanche et le cou de l’autre du bout de ses doigts.

- Quand je me regarde, malgré cette apparence, je ne peux m’empêcher de me faire des compliments. La belle femme fatale vêtue de noir aux courbes envoûtantes et aux longs cheveux noirs.

La différence de contraste entre son macabre costume et son attitude polissonne est drôle.

- L’estime que nous avons pour nous-mêmes est très différente.

- J’ai beaucoup plus de raisons de me détester que tu le crois. Tu as gardé ton innocence, moi pas.

- Qu’est-ce que cela veut dire ?

- Tiens-tu vraiment à savoir ? Tu veux…

Elle me tend la main munie de griffes entourées d’un alliage noires et souple, je n'avais pas remarqué cette apparence de prédateur.

- Savoir ce que cette main a fait ?

Je sens de l’animosité, beaucoup trop et quelque chose de bien plus mauvais qu'une simple rancœur, une envie meurtrière.

- Tu la sens, pas vraie ? Cette ignoble envie qui habite mon esprit.

Un bref instant, j’entraperçois une forme qui se cache dans les abysses et se nourrit, elle m’observe. Une sorte d'animal qui dort, l’œil à moitié fermé.

- Adel.

Je… Je suis sur le dos ?

- S’il te plaît, prends ma main, relève-toi.

Je la saisis, et de toute sa force elle m’aide.

- Réveille-toi et enflamme-toi.

Un battement de cils, mes poumons qui inspirent et une lumière blanche qui m’éblouit. Une intense chaleur traverse mon être de part a en part, le cœur tonne comme mille tambours, expiration, cette force qui est en moi désire s’exprimer, hurler. Je me sens vivante.

Mon poing cogne une matière solide, une vitre qui m’entoure. Je suis allongé sur un lit et sous perfusion. Non loin de moi, il y a l’Ombre sans ses lumières, assise sur un fauteuil. Elle est branchée à un câble dans la nuque, quand je touche la mienne, je sens la même chose.

L’Ombre s’anime, les yeux s’allument comme ceux d’une machine.

- Ah, c'est troublant de te voir réveiller dans ce sarcophage.

La vite s’ouvre, je suis libéré de ce câble et des entraves. Mon corps est recouvert d’une texture fibreuse et de petits scintillements violets.

- Je ne comprends pas.

- C’est très simple, je soigne ton corps, cette enveloppe aide à le maintenir en vie. Il traite aussi ta dépendance en faisant croire à ce dernier que tu continues à prendre la drogue.

En effet, le manque me ronge puis disparaît lentement, elle me prodigue une plaisante sensation qui me rend un peu euphorique.

- Tu as perdu depuis trop longtemps ta lucidité.

Alors l’effet s’estompe, je commence à réaliser la souffrance que je me suis infligée. Des pincements douloureux sur chacune des parcelles qui composent ce que je suis, légère certes, mais inquiétante.

- Je vais t’aider à reprendre pleinement ta vie en main.

- J’aurai toujours les mêmes problèmes, Ombre Bleutée.

Elle ne peut qu'acquiescer à ça. Comment tant d'épreuves pourraient être effacées ? C'est bien simple, c'est impossible même si ce mot, elle ne l'aime pas.

- Tu souffriras toujours de cet abandon dont tu me parles, de ces plaies si profondes que même ma technologie ne peut l’atteindre. Mais pour le reste, j’ai des solutions. Suis-moi.

Elle prend un dossier sur une table. Nous montons un escalier, elle ouvre une porte et surprise, c’était un sous-sol d’une maison, faite de bois du sol au plafond et de pierre pour les murs.

- Nous sommes dans une ancienne ferme que j’ai restaurée et modifiée, cependant ce n’est pas ma résidence principale. Nous sommes très loin de l’Île-de-France après tous.

- Où sommes-nous ?

- En Auvergne, plus précisément la Haute-Loire, tu reconnaîtras peut-être l’un des monts.

Je comprends mieux, il existe donc bien ce lieu dont nous avons rêvé.

- Que veux-tu faire de moi ?

- Toujours la même chose, aidée. Je vais te donner l’occasion de prendre le temps de réfléchir à ce que tu veux vraiment. Loin de ton ancienne vie.

Elle tend le dossier.

- Je vais te payer deux-mille euros net par mois pour entretenir les lieux. Tout est expliqué là-dedans. Rien d'exceptionnel à faire en soit, mais qui a pour ces lieux de l’importance.

Il y a un nom d’inscrit sur le contrat.

- Miria Chevalier.

Son casque s’ouvre, sa peau blanchit, ses yeux bleus deviennent marron foncés comme le bois.

- C’est moi.

Son sourire est beaucoup moins effrayant sous cet aspect.

- Je… J’hésite, personne ne m’a tendu la main jusqu’à présent. En-tout-cas pas de cette manière.

- As-tu vraiment les moyens de me payer ?

- J’ai une entreprise, Adel. Je suis indépendante et j’ai de gros revenus, plus qu’il n’en faut pour vivre. Cela répond à ta question ?

Je hoche de la tête et elle me tend un stylo.

- Si tu signes, tu devras garder le secret sur tout ce que tu sais sur moi, l’Ombre Bleutée et ces installations. Aussi, tu n’inviteras personne à entrer ici. Tu m’as bien comprise ?

À nouveau, j’acquiesce, je prends le stylo, réfléchi un instant, puis je me souviens de ces boulots ingrats, fatigants. J'ai fait le ménage chez les gens qui sont parfois d’une exigence aberrante et parfois des porcs. Il y avait aussi ces moments où j’ai changé de métier pour trouver pires.

Alors je signe, elle me sourit à pleines dents, aucune hypocrisie là-dedans, juste un plaisir radieux qu’elle ose montrer sans complexe.

Elle me présente ma chambre, certes modeste, armoire, lit et un petit bureau, une bibliothèque vide. Mais je pourrais m’y plaire en faisant deux ou trois changements dans la décoration. Les lieux sont pleins de charmes, le ciel nocturne notamment, aussi magnifiques que ce dont j’ai rêvé.

Quant à Miria, elle m’explique avec passion sa technologie les effets effrayants et surtout incroyables qu’elle a sur un être humain. À ce stade, plus intrusif, tu meurs, heureusement que c’est moi qui contrôle cette étrange peau, du moins si elle ne me branche pas à l’un de ces appareils.

Heureusement, elle est bienveillante, contrairement à ce qu’elle veut faire croire avec son masque.

Je crois que j’ai trouvé une amie, qui régulièrement vient me voir où m’appelle pour savoir comment je vais. Même un appel de dix minutes me procure un étrange sentiment de soulagement, pour une fois que quelqu’un se soucie vraiment de ma personne.

Cependant, elle a beaucoup de soucis, je le sens bien. Même si je suis rémunérée, c'est avec cœur que je m'attelle pour entretenir la maison, ne serait-ce que pour la remercier de cette chance qu’elle m’offre et surtout pour la rassurer.

Ici, dans ce lieu isolé, j’ai enfin trouvé la sérénité. Mais un tout petit détail me taraude. Qu'est-ce que j'ai bien pu voir dans son esprit ?

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