Âryni

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Le Maître Confrère ne s’inquiéta pas de sa très juste remarque. Il avançait, implacable, vers le petit groupe d’adolescents. Elle le rattrapa et insista :

« Ils ont quoi… douze ans en moyenne ? Ce sont des enfants !

— De toute évidence.

— Me pensez-vous donc si faible ?

— Te penses-tu donc si forte ? »

Amalia ne sut que répondre. Ce que Kentigern lui avait infligé au chalet ne pouvait entrer en ligne de compte à un âge si bas. Elle était persuadée d’être plus puissante que n’importe quel gamin. Malgré tout, le ton de l’homme l’alarma. Existait-il réellement un enfant capable de rivaliser, concentrateur à la main, avec elle ? Malgré sa magie et son instinct ? En dépit de son don ?

L’évidence la frappa quand ils arrivèrent à côté du professeur : elle ne sentait rien. Elle cherchait autour d’elle des sentiments, des pensées auxquelles se raccrocher, mais il n’y avait rien. Seuls quelques très jeunes gens laissaient flotter l’application visible avec laquelle ils suivaient les mouvements lents du mentor qu’ils imitaient les yeux fermés. Il ne pouvait s’agir une chorégraphie : les gestes de l’adulte et ceux de ses élèves souffraient de quelques secondes de délais. Amalia fronça les sourcils, perplexe. Comment communiquaient-ils ?

Puis, d’un même mouvement, toute la classe s’arrêta. Ils adoptèrent une posture droite, les pieds légèrement écartés, dans une position d’attente qu’Amalia imaginât très militaire.

« On fait une pause », déclara le professeur.

Aussitôt, les enfants se relâchèrent et Amalia eut l’impression de les voir reprendre un comportement normal. L’un affichait une expression railleuse en se vantant d’avoir réussi l’examen, un second l’accusait d’avoir triché. D’autre, plus jeunes, s’éloignaient déjà en courant, concentrateur à la main, pour s’amuser à la chasse bleue. Elle esquissa un sourire rassuré, submergée par une vague de nostalgie ravivée par de vieux souvenirs de cours de récréation. Elle aussi avait assidûment pratiqué ce jeu. Gamine, elle aimait par-dessus tout le rôle du Chat et éliminer ses adversaires en bleuissant leur peau.

Kentigern écourta sa plongée en enfance et lui infligea une pique mentale. La douleur soudaine qu’il lui causa lui fit fléchir les genoux et elle manqua de tomber. La souffrance disparue aussi vite qu’elle s’était imposée et la sorcière se redressa prête à s’insurger contre cette nouvelle violence. Elle s’arrêta immédiatement en constatant le sérieux avec lequel il la regardait. Elle comprit le message et choisit de s’y plier.

À côté de lui, le mentor des enfants baissa sa capuche rouge. La peau matte, le regard sombre et les lèvres rieuses, l’homme ne dégageait pas grand-chose hormis cette assurance qui semblait propre à chaque Confrère. Il était beau. La cinquantaine passée, des rides soulignaient son âge et elle fut frappée de constater l’harmonie du visage qu’elle avait en face d’elle.

« Merci, je suis flatté », lui répondit le sorcier dans un sourire.

Kentigern lui jeta un coup d’œil agacé. Amalia tiqua et tint profil bas. L’idée que ces Confrères puissent lire en elle comme dans un mnémotique l’anima d’une vive colère, qu’elle prit soin de ravaler pour ne pas aggraver sa situation. Elle dressa les plus belles défenses mentales qu’elle n’ait jamais montées.

« C’est bien, commenta le sorcier. Rien d’infranchissable, mais mieux que la moyenne des personnes de ton âge.

— À qui ai-je l’honneur ? se contenta de répondre la jeune femme.

— Abd Ar-Rahman, Grand Maître et officiel de rang trois, guérisseur. »

Il lui tendit la main et elle n’hésita pas à la saisir.

« Je suis Amalia Elfric.

— Je me doute. Maître Kentigern me parle de toi depuis quelques mois déjà. »

Il se tourna vers ledit Maître et demanda

« Pas de casse, à Dubaï ?

— On en parlera plus tard. »

L’évocation de la grande Cité Arabe fit pâlir Amalia, mais elle se concentra sur la tenue du guérisseur. La cape, identique à celle de Kentigern, arborait un blason sur son côté gauche, au-dessus du cœur.

« Qui est-ce que tu me conseilles ? », demanda Kentigern.

Il n’y eut pas de réponse, mais leurs regards parcouraient ensemble les enfants et adolescents. Amalia fronça les sourcils. Ces deux-là échangeaient, sous son nez, et la gardaient volontairement étrangère à leur dialogue. Elle émit un claquement de langue agacé :

« Vous pourriez avoir la politesse de ne pas parler dans mon dos. Comment faites-vous ça ? »

La télépathie n’existait pas, pas à sa connaissance. Elle n’obtint pour toute réponse qu’un coup d’œil amusé et Abd Ar-Rahman appela une élève :

« Âryni ! »

Une gamine leva la tête, souffla et laissa l’élève avec qui elle parlait. Elle s’avança vers les deux Maîtres en refermant son kimono rouge d’un geste précis. Sur les quelques mètres qui les séparaient, elle redonna une allure impeccable à sa tenue. Amalia ne l’avait pas vue pendant l’entraînement : petite, frêle… Âryni se cachait très certainement derrière ses camarades. L’enfant avait le type de ceux du Gange et l’air prétentieux de ceux qui se savent excellents. Elle se mit en position d’attente, en face de son Maître, sans accorder la moindre attention à Amalia.

« J’aurai le temps de continuer la pause avec Usem ? demanda-t-elle.

— Non, votre combat fait partie du cours. »

Le reste de la classe reprenait en effet sa place. La gravité de la situation arracha un rire nerveux à Amalia. Ils comptaient réellement laisser s’affronter une sorcière adulte et une petite fille.

« Vous vous foutez de moi ? lâcha-t-elle enfin.

— Écarte-toi, répondit Kentigern. Gardez 10 pas entre vous deux pour commencer.

— Dix des miens ou dix des siens ? railla Amalia. Parce que là, ça change la donne.

— Maître Kentigern, n’ayez crainte. Même de l’autre côté de la court, cela ne me posera pas de problème. »

La voix d’Âryni, plus grave que celle d’une fillette, traina juste assez pour que son intonation frôlât l’insulte. Amalia serra la mâchoire et se persuada que l’intégralité de la classe avait ri, entre eux, sans l’inclure. Inadmissible. Elle recula de plusieurs pas et brandit son arme.

« Comment connaît-on le gagnant ?

— C’est celle de vous deux qui tiendra debout à la fin du combat. »

Elle ne sut dire qui de Kentigern ou Abd Ar-Rahman lui répondit. La gamine en face d’elle estima que la bataille avait commencé et chargea le galet d’Iris calé au creux de sa paume d’un sortilège scintillant.

La magie pure que dégageait le concentrateur emplit l’espace et Amalia prit conscience de la puissance de l’enfant. La petite se déplaça en un clin d’œil sous sa garde et envoya un poing dans son estomac. La douleur la plia en deux. Un coup de pied faucha ses jambes et elle s’étala vers l’arrière. Âryni chargea un dernier sort et visa la tête. Amalia perdit connaissance sans avoir pu ne serait-ce que réfléchir à quel enchantement lancer.

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