Samedi Ecriture - Vous vous réveillez et vous souvenez avoir été tué(e) la veille.

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Samedi écriture 4 Juillet 2020

Vous vous réveillez et vous rappelez que vous avez été tué(e) la veille.

Gueule de bois. Laura se réveille tout en douleur. Chaque atome de son être cri et s’injurie d’avoir à subir ça. La lumière qui passe à travers le volet laisse la pièce dans la pénombre mais pour Laura c’est une attaque personnelle. Le soleil lui en veut personnellement : tel un tireur d’élite posté à presque 150 millions de kilomètres de distance, il envoie des rayons destinés à atteindre ses pupilles. Le coup touche, il perce la paupière droite de Laura, sa paupière la plus fragile. Pour se protéger elle se tourne de l’autre côté dans son lit. Erreur fatale. Son cerveau explose comme si le rayon de soleil avait posé une grenade dans sa boîte crânienne et que Laura l’avait activé en bougeant. Ses tempes éclatent, les os du haut du crâne crépitent, les yeux brûlent, les cheveux piquent, elle sent son cœur battre, ou plutôt détonner comme milles déflagrations orageuses à chaque battement, une tempête s’acharne dans son crâne, le mal s’y déchaîne.

-Mhh arhh. Murmure Laura, comme si cela pouvait la sauver de cet enfer cérébral.

Rien n’y fait. La gueule de bois s’est sublimée en migraine par l’effet du soleil.

Son lit semble tanguer, la tempête cérébrale est accompagnée d’une mer agitée dans son estomac. La tête lui tourne. Un calvaire, un supplice.

Dehors, elle entend le bruit des vagues qui s’écrasent sur la plage, à quelques dizaines de mètres de là. L’air est iodé.

Cette réflexion achève Laura. Sa chambre d’hôtel n’était pas proche de la plage. Loin de là même, elle devait séjourner dans un hôtel froid, sombre, et miteux du centre-ville de Lille. Où est-elle ?

Les yeux grands ouverts Laura contemplent le plafond de la pièce. Un ventilateur au plafond, un mobilier en bois, une odeur iodée et sablée, le bruit des vagues, une chaleur tropicale, étrange pour un mois de Décembre.

Confuse, elle sait que la migraine peut avoir cet effet, que la mémoire et la sensation de savoir qui et où elle est lui reviendront rapidement. Après un verre d’eau peut être ?

L’idée de se lever est affreuse mais Laura réussit à s’asseoir sur son lit, la tête entre les mains. Sa tête gonfle et dégonfle à mesure que son cœur bat. Elle lève la tête doucement, devant elle la porte d’une salle de bain est entre ouverte. Laura s’y précipite, elle trouve la cuvette des toilettes et vomi. Copieusement. La douleur est à son paroxysme mais elle ne peut empirer de toute façon alors autant y aller à fond. Se sentant plus légère, elle se tient désormais devant le lavabo et le miroir. Elle remarque qu’elle est en robe de chambre, pas son genre, elle est plutôt du style long t-shirt et rien. Mais c’est bien son visage qui la juge dans le miroir. Échevelée, des cernes jusqu’en bas des joues, les yeux injectés de sang. Le verre d’eau ne l’aide pas à retrouver la mémoire. Où est-elle, qu’à t-elle fait hier ? Elle tente de jeter un œil par la fenêtre mais le soleil est trop assourdissant, les vagues trop éblouissantes, oui, dans cet ordre.

Pas de poche à fouiller pour se rappeler d’avant son sommeil. Elle cherche des lunettes de soleil, elle en trouve une paire posée sur une vieille étagère devant la porte d’entrée de la petite maison, qui ressemble à une grosse cabane, une maison cabane de plage.

« Hier, hier, hier ?

Bon, qui suis-je déjà ?

Laura Pomseche, oui ça j’en suis sûre. J’ai, 30 ans ? Oui ça doit être ça. Et dans la vie, je fais quoi déjà ? Merde, ça me revient pas. Bon, j’habite à … Lille ! Oui, la citadelle, le beffroi, la grand’place, Lille Flandre. Le petit magasin oui, ça me revient. J’habite à Lille. Je loue un appartement, un petit 2 pièces près de Vauban, à l’entrée de Lille. Et, je galère à le payer, je me souviens ! J’enchaîne les boulots en intérim, en attendant un poste dans une librairie, mon rêve. J’économise beaucoup pour m’installer, à défaut de trouver un job je vais le créer moi-même. Je me souviens que j’écris aussi, classique pour une aspirante libraire.

Bon, ça c’est moi, ça me revient. Mes amis… Oui j’en ai, je me souviens d’eux : Marine, Lena, Cassandre, Hugo, Auguste (Hugauguste comme on aime les appeler, toujours identique ces deux-là, même quand ils veulent être différenciés l’un de l’autre) et Martin. Et moi, Laura, mouton noir de la bande, intérimaire chômeuse rêveuse, eux : posés dans leurs vies, avec des rêves déjà en réalisation, des maisons, des emplois avec un sens. Je l’ai remarqué depuis quelques temps, on se voit de moins en moins, ils n’ont plus de temps. Mais ils en ont encore pour les soirées couples entre eux, à la maison avec un verre de vin. Ça colle pas avec moi qui ne ramène que de la bière pas chère. La vie, elle avance, il faut surfer pour ne pas se noyer, lâcher du lest pour ne pas s’écraser et continuer de planer. Bah, une mauvaise passe, après tout c’est pas entièrement de leur faute, ni de la mienne.

Tiens, je suis encore en train de parler toute seule et de préparer des plans d’avenir.

Un éclair de souvenir me revient. Enfin une odeur. Noix de coco ? Hier, le malibu coco que j’ai avalé d’une traite. Arhh, odeur nauséante. Retour cuvette. Bon, hier c’était une sacrée soirée si j’ai bu ça cul sec. Moi qui dit sans arrêt être allergique à la noix de coco tellement ça m’écœure. La seule explication c’est que j’étais déjà bourrée, mais genre beaucoup.

Et bien ma fille, faut que tu te rappelles de tout ça !

Le malibu, on l’a bu… dans une chambre d’hôtel, spacieuse, presque luxueuse, à Lille je crois.

Un autre éclair de souvenir, la voiture. Merde, on n’a pas conduit dans cet état ? Non, la voiture semble grande, une limousine, un hummer, une limhummer ? Un truc comme ça, ils étaient 7 dans la voiture, donc 8 en comptant le chauffeur. Direction le Touquet ?

Oh, le Touquet, on a fait ça ? Mais, il fait trop chaud ici pour qu’on y soit encore.

Laura se souvient d’une boite au Touquet, beaucoup d’alcool, de folie, de danse, de chant, d’un départ vers la plage au petit matin.

MERDE ! NON !

La mémoire est revenue à Laura : Aspirante libraire →gagnante millionnaire. 2 7 31 32 48 et 4-5. Combinaison gagnante, elle se souvient d’avoir sauté de joie en voyant ça Vendredi soir. 130Million d’euro ! Elle n’avait pas dormi de la nuit, elle s’était renseignée sur les démarches, elle a appelé ses amis, pas pour leur dire mais pour faire une soirée le lendemain. Une seule a répondu, de mauvaise humeur, trop occupée, vie de couple… Les autres répondirent le lendemain, ok mais pas tard, vie de couple… Bande de relou coincé bordel de merde ! Je sais que vous voulez arrêter de me voir, que je vous freine dans la vie. Eh bien, on ne va plus se voir !

La plage du Touquet, la mer est haute. Laura rit avec ses amis, adieu la vie, adieu cette vie. Elle se dénude, ivre c’est plus facile. Les talons restent sur le sable, Laura se baisse, les prend en main, les jettes au loin. La culotte suit le même chemin, accompagnée par le soutien-gorge. Laura se débarrasse de sa robe, ses amis sont bouches bées. La voilà nue sur la plage, puis ils rient tous. Certains suivent l’exemple, mais Laura s’en fiche, elle court déjà vers les vagues à quelques mètres de là. Pour démarrer une nouvelle vie, il fallait quitter l’ancienne. Se laver de ses pêchés, pas d’au revoir, pas d’explication. Elle plonge, nage, fonce à travers les vagues froides de la Manche de Décembre. Des cris l’appellent, dans l’obscurité ils ne peuvent la voir. Elle nage encore un peu plus loin, là elle bifurque. Elle a froid, tout son corps est maintenant glacé, mais dans son cœur brûle une nouvelle vie, prête à éclore. Elle vise désormais la côte, à plusieurs centaines de mètres de son point de départ, ils ne la trouveront pas. Le chauffeur est dans la confidence, il l’attend, avec une serviette et des vêtements neuf. Ils montent dans une nouvelle voiture, direction l’aéroport. Un petit sac l’attend dans la voiture, ses affaires de voyages, neuves elles aussi.

Elle se souvient, son compte en banque rempli à ras bord, l’avion, de la Manche aux Caraïbes. Les Bahamas.

Elle a dormi après avoir mis le pied dans l’avion. Elle a dû rejoindre sa nouvelle maison au bord de mer en pleine nuit, s’est rendormie, encore ivre et fatiguée. L’avion lui fait peur, elle s’est servie en alcool lorsqu’elle s’est brièvement réveillée au-dessus des nuages.

Elle enverrait un mot à ses anciens amis, qu’ils ne préparent pas l’enterrement. Pas de famille à prévenir. Seule désormais. Elle peut écrire.

Mais d’abord, se rendormir. C’est épuisant et ça colle une sacrée migraine de mourir.

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