Réponse à "Une boutique originale"

de Image de profil de Eki (Mari)Eki (Mari)

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Avant, c'était un magasin de donuts à l'américaine, avec une grande pancarte pastel qui disait, « Jenny's Donut Factory », en anglais, bien évidemment. Théodora Moiré avait acheté la boutique quand elle avait fait faillite. C'était petit, vétuste, mais ça suffisait bien.

Du haut de son mètre quatre-vingt, look butch, cheveux bouclés courts et pommettes saillantes, Théodora était une femme plutôt sympathique. Elle souriait aux clients et leur serrait franchement la main. Si on lui parlait de politique ou d'économie, on pouvait entendre des avis tranchés, sans concession, mais éclairés. Il y avait malgré tout un sujet à ne pas aborder. On ne demandait pas à Théodora où elle trouvait la marchandise.

De dehors, on aurait dit une de ces charmantes petites boutiques d'artisan. Des boîtes en bois clair étaient alignées, chacune avec une étiquette écrite à la main. Comme le nom de la boutique, « Chez Théodora », pouvait aussi bien indiquer un café qu'une boutique de sex-toys véganes et locaux, il arrivait que des curieux entrent pour voir de quoi il s'agissait. Ils repartaient le plus souvent au bout de quelques minutes, après avoir ri un bon coup. Théodora ne les retenait pas. Ces badauds n'étaient pas son public-cible. S'ils s'obstinaient à voir sa boutique comme une vaste blague ou comme une installation d'art contemporain, ils ne venaient pas la déranger et ne faisaient pas fuir ses vrais clients. C'était le plus important.

Si l'on s'approchait de l'une de ces boîtes, on pouvait lire « Vol », « Téléportation (<100 m) », ou encore « Force (<300 kg) ». À côté, une étiquette plus petite indiquait des durées et des prix : « 72 heures : 90€ », « 24 heures : 60€ »...

Certes, ce système de location arrangeait bien Théodora, mais c'était le gouvernement qui le lui avait imposé. Sa boutique était absolument inédite. Si, à cause d'elle, une caste de super-héros se créait, une nouvelle communauté d'êtres qui pouvaient résister à la police ou à l'armée, cela désorganiserait fortement la société et remettrait en cause le pouvoir de l'État. Alors on ne pouvait pas louer le même pouvoir à la même personne plus de trois jours d'affilée. De plus, après avoir obtenu un pouvoir, il fallait attendre de longs mois avant de se le procurer à nouveau, de façon à ce qu'aucun client ne développe un trop grand savoir-faire. Théodora respectait ces règles à la lettre, et elles étaient affichées sur un grand panneau à l'entrée de la boutique. Elle ne voulait pas risquer de perdre son affaire.

Bien sûr, il y avait les junkies. Il y avait Vincent, ce gringalet rendu soudainement quinze à vingt fois plus fort grâce à l'un des pouvoirs loués par Théodora. Ce n'était pas donné, mais, en soulevant une voiture, il était parvenu à séduire sa copine actuelle, un top-model bolivien qui, heureusement, passait le plus clair de son temps dans son pays d'origine à cause de sa carrière. Mais à chaque fois qu'elle rentrait en France, Vincent revenait supplier Théodora de lui donner sa dose. Avec son poste de responsable de rayon dans un supermarché, Vincent ne roulait pas sur l'or, et il n'avait souvent pas de quoi se payer le pouvoir qu'il convoitait tant. À cause de lui, Théodora avait dû placarder partout des pancartes « La maison ne fait pas crédit ».

Et puis, il y avait Elisabeth. C'était une grande blonde couverte de tatouages bon marché qui avait regardé Suicide Squad plus de cinquante fois et qui était persuadée qu'obtenir durablement des super-pouvoirs ferait d'elle l'être le plus puissant de toute la galaxie. On la reconnaissait à son odeur de cigarettes et de parfum de supérette. Comme Vincent, elle n'avait pas les moyens de se payer sa dose, mais elle était passée maîtresse dans l'art d'obtenir des crédits à la consommation. Théodora avait légalement le droit de lui vendre tout ce qu'elle voulait, puisqu'elle consentait à demander un pouvoir différent à chaque fois. Elle disait avoir un laboratoire dans son garage où elle travaillait à confectionner ses propres pouvoirs, mais, pour le moment, elle n'avait obtenu qu'un urticaire tenace et des bleus suspects au niveau du cou. Il lui arrivait de tenir la jambe à Théodora en lui racontant sa romance tourmentée avec un homme qui se faisait appeler Joker et dealait du LSD.

Théodora avait un principe : elle ne prenait pas sa propre marchandise. Elle disait qu'elle n'en avait pas besoin. Elle faisait de la boxe, ce qui, en plus d'être utile pour dissuader les clients les plus difficiles de la pousser à bout, lui apportait, selon elle, une béatitude similaire à ce que peut ressentir le consommateur moyen en recevant son ticket de caisse.

À dix-neuf heures tapantes, elle fermait boutique. Les lumières s'éteignaient, et elle montait dans son petit appartement, juste au-dessus. Certains promeneurs, en passant, la nuit, disaient avoir vu d'étranges lueurs venir de l'étage. D'autres prétendaient qu'on entendait, très tard, des couinements, et qu'on voyait des ombres aux formes cauchemardesques s'agiter sur les murs. Mais, le lendemain, la boutique ouvrait à nouveau, et Théodora était là, souriante, un café à la main.

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En réponse au défi

Une boutique originale

Lancé par Drak_D

Présentez nous une boutique origniale (que vous devez imaginez, bien sûr)

Commentaires & Discussions

Chez ThéodoraChapitre4 messages | 2 ans

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