la requête de Clémentine Tarocco

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 — Désirez-vous boire une tasse de thé ?

 — Je ne dirais pas non à un bon café.

 Clémentine Tarocco avait emmené le commissaire et les enfants dans sa chambre d’hôtel. Elle louait quatre pièces, dont un vaste salon et une cuisine entièrement équipée. On aurait presque pu dire qu’il s’agissait de son appartement, car elle s’y montrait très à l’aise. Cependant, deux valises posées sur les divans étaient témoins de son arrivée récente en ville. Les garnements s’étaient installés autour d’une table en compagnie du père de Romulus.

 Elle revint de la cuisine avec une tasse fumante et des verres de jus d’orange. En voulant boire le sien, Juliette s’était cependant figée. La couleur du jus de fruit tirait sur le rouge. Autre part, elle ne se serait pas posée plus de questions, mais chez une vampire, c’était autre chose. Elle déposa son gobelet sans rien dire, attendant de voir les réactions des autres.

 Clémentine ne l’avait pas remarquée. Elle s’était assise face à Agatha et avait les yeux rivés sur la petite sorcière, fascinée. Celle-ci appréciait cet élan d’attention à son égard, mais, chose rare, elle appréhendait un peu plus la suite. Si l’affaire était terminée, qu’attendait-on d’elle ?

 — Madame Tarocco…

 — Appelez moi Clémentine.

 — Madame Clémentine… Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur la mort de votre mère ?

 — Bien sûr, c’est pour ça que je vous cherchais, après tout… Je suis la fille de Mary Tarocco, une baronne vampire d’origine sicilienne. Notre famille est riche. Très riche. Ma mère a longtemps été attachée aux traditions vampires et à tout un tas de protocoles. Puis elle a rencontré mon père, Ivan Demarbre. C’était une gargouille, et un brillant pianiste.

 Agatha la laissa parler, attentive. Tous autour de la table se taisaient. Même le commissaire restait muet comme un câpre, sirotant lentement son café. Passé le dégout du jus aux teintes suspectes, Juliette avait les oreilles grandes ouvertes, tout comme Romulus et Lisa qui, depuis son tableau, avait installé des coussins sous ses coudes.

 — Ce n’était pas le premier mariage de papa. J’avais ainsi un beau-frère, de trois ans mon ainé, Pierrot. Nous habitions en Sicile, où nous avions nos terres, mais nous revenions parfois à Halloween, car c’est là que mes parents s’étaient rencontrés, lors d’une réception donnée par ma mère.

 — Vous dites que c’était le second mariage de votre père ?

 — Oui, sa première femme est morte en couche.

 — Ça veut dire qu’elle est morte en accouchant, précisa le commissaire face à la grimace de son fils.

 — Et pour votre maman ?

 — De ce que j’en sais, ma mère ne s’était jamais mariée avant. Pourtant, elle avait 252 ans. Mais bon, pour nous autres, vampires, ce n’est pas très vieux.

 Agatha acquiesça. Si Jérémy avait leur âge, ils n’avaient aucune idée de celui du Comte Carotide. Encore une fois, les rumeurs sur le sujet allaient bon train. Toujours était-il que la sorcière ne laissait transparaitre aucune surprise. Après tout, le père de Lisa avait fêté son six-centième anniversaire ce mois-ci.

 — Notre résidence à Halloween se trouve près des frontières de la ville. C’est un vieux manoir qu’on nomme « Agrume’s House ». C’est là-bas que le drame a eu lieu.

 — Et que s’est-il passé exactement ?

 — Eh bien, je me souviens de m’être rendue dans la chambre de mes parents car maman ne répondait pas à nos appels pour venir partager le repas. Quand je suis arrivée, je l’ai trouvée par terre… Il m’a fallu du temps pour comprendre qu’elle était morte.

 — Madame Clémentine, Monsieur Scotyard a dit tout à l’heure que l’affaire datait de quinze ans… Quel âge aviez-vous ?

 — Sept ans.

 Clémentine n’avait prononcé ces deux mots que dans un faible souffle. Pourtant, ils n’avaient échappé à personne. Lisa parvint à peine à étouffer une exclamation tandis que Juliette cachait sa bouche avec une main fébrile. Romulus s’était contenté d’échanger un regard peiné avec son père. Enfin, la petite sorcière s’était mordue les lèvres, acquiesçant au passage pour encourager Clémentine à continuer. Même les enfants ne pouvaient qu’imaginer l’horreur de découvrir le cadavre de leur propre mère à si bas âge.

 — J’ai appelé mon papa, il a demandé à ma gouvernante de s’occuper de moi et… Et puis je ne sais plus très bien. J’étais trop affectée pour me soucier de ce qu’il s’est passé autour de moi à la suite de ça.

 — C’est parfaitement compréhensible, madame Clémentine.

 — Et la police a trouvé quelque chose, à ce moment-là ? demanda Romulus, en s’attirant un regard méfiant de son père.

 — J’ignore quoi exactement. Tout ce que je sais, c’est que le prétendu coupable a clamé son innocence jusqu’au bout, et qu’il a quand même été exécuté.

 — Et de qui s’agissait-il ?

 — Mon papa, Ivan Demarbre.

 Le commissaire déposa sa tasse vide et scruta la petite sorcière du coin de l’œil. Elle ne paraissait pas aussi abasourdie que ses camarades. Au contraire, elle avait les traits sérieux, avec peut-être une pointe de malaise. Cela, le loup-garou le comprenait aisément. Il avait eu bien du mal à faire comprendre à Clémentine Tarocco qu’il ne pouvait rouvrir une enquête passée sans élément nouveau, surtout si celle-ci avait déjà trouvé son coupable.

 — Vous souhaitez donc que je prouve l’innocence de votre père, Madame Clémentine ?

 — C’est ça.

 — Dans ce cas, j’aimerais vous poser une question avant d’accepter… Que ferez-vous si, d’aventure, mes conclusions devaient être les même que la police ?

 Clémentine resta un instant muette, immobile, telle une statue. De marbre. Peut-être était-ce un héritage de son père ? Seul un détail lui donnait vie, ses yeux devenaient peu à peu humides. Des secondes qui parurent des heures s’écoulèrent avant qu’elle ne donne sa réponse.

 — Je pense que je ne vous croirai pas, et que je continuerai de penser que papa ne peut pas avoir tué ma mère.

 — Merci pour votre honnêteté, madame Clémentine. Dans ce cas… J’espère vraiment que mes conclusions vous conviendront.

 Agatha attrapa son verre de jus d’orange et le but d’une traite, sous l’expression dégoutée de Juliette. Clémentine offrit un sourire de remerciement à la petite sorcière tandis que le commissaire surveillait cette dernière avec surprise. Il s’était attendu à ce qu’elle refuse, surtout suite à cette dernière déclaration. Mais c’était bien mal connaitre l’amour qu’Agatha vouait aux enquêtes, plus fort que la peur de voir naitre une querelle avec une vampire. Quant à Romulus et Lisa, ils échangèrent un regard résigné. Qui sait dans quelle galère leur amie allait encore les embarquer pour le bien de ses recherches ?

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