5.Neela

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Je suis allongée dans un lit. Face à moi, de lourds rideaux grenat laissent filtrer un nuage de rayons de lune. Je n’ai pas de doute sur le lieu dans lequel je suis : mon rêve. La décoration riche habille l’ensemble : des tapisseries, des bibelots en tous genre, des boiseries nobles ainsi qu’une banquette de velours gris au pied du lit. Les draps sentent un mélange de fleurs d’oranger et de cannelle. Je me redresse lentement. La voix de cet homme commence toujours de la même manière.

— Je t’attendais.

Je soupire sans répondre et me contente de me lever. Ma robe de coton glisse sur le parquet lisse. J’ouvre les rideaux aussi doux que la peau d’une pêche. Dehors, l’obscurité dévore tout à part le firmament étoilé. Combien de temps avant que le soleil chasse cette couleur encre ?

— Tu ne veux toujours pas me parler ? me sollicite la voix.

Je secoue la tête, plus pour moi-même que pour lui donner le change.

À quoi bon ? Tu n’es pas réel.

Je serre mon buste entre mes bras. Je n’ai pas froid, j’éprouve simplement de l’anxiété. Est-ce le fait que ma conscience exprime sa lucidité ? Où le contrecoup des évènements qui se sont produits aux portes de la cité ? Cette sensation détachée me trouble, je sais que mon corps vit, mais je n’ai aucune idée de ce qui se passe à l’extérieur de ces murs. Les images de cette mésaventure tournent en boucle dans ma tête et m’angoissent. Je ne peux que prendre mon mal en patience et attendre de refaire surface. En tout cas, je ne suis pas morte. Je dois dormir très profondément, mais depuis quand ?

Je ferme les yeux et tout un tas de questions désordonnées m’assaille : mon père est-il rentré ? Fala et Flanie sont-elles en sécurité ? Les habitants ? Le capitaine ? Et cette femme qui se fait passer pour moi ?

Je pose ma main sur la vitre, elle laisse une empreinte de buée. Je l’observe s’effacer. Jaal doit s’inquiéter, je n’ai jamais sombré avec autant de force lors de nos entrainements. Des étourdissements, des maux de tête, des douleurs musculaires et j’en passe, mais jamais au point de perdre conscience.

Prépare-toi Neela ! Il va te réprimander pour avoir utilisé la technique du « touché de l’âme ».

Une leçon méritée. Les seuls essais que nous avons entrepris remontent à plusieurs mois et uniquement sur sa forme spectrale basique. Un chaton comparé à ce qu’il était. Pour peu que Fala y mette son grain de sel, ils seront en train de se disputer quand je quitterai cette chambre. Le conseil me punira-t-il pour avoir utilisé mes pouvoirs ? Jamais ce golem n’aurait dû apparaitre aux portes de Narbète. Jamais « Je » n’aurais dû m’y trouver aussi. Peut-on parler de coïncidence ?

Des bras musclés m’enlacent les épaules, je me laisse faire. À quoi bon lutter ? Ce rêve ne prendra fin qu’une fois les premières lueurs de l’aube levées. Je n’ai jamais réussi à en sortir avant, même en faisant appel à toute ma volonté. Alors épuisée comme je suis, je n’ai plus qu’à patienter gentiment. Un torse puissant se colle contre mon dos, il diffuse une tiède chaleur à la surface de l’étoffe. Ma peau frisonne.

— Ce n’est pas grave, me susurre tendrement la voix à l’oreille. Une autre fois…

Pour je ne sais quelle raison, elle est remplie de désespoir. Il serait si facile de me perdre. Sa beauté m’émeut et je suis si seule. Je pourrais profiter de ce que projette mon esprit. Faire de lui un ami, un amant… puis me réveiller et reprendre le cours de ma vie. Suspendue. Mais à ma grande déception, je n’y arrive pas et je ne sais même pas pourquoi je le repousse avec autant d’ardeur.

Je me sens subitement stupide.

Toute cette illusion n’est qu’un rêve récurrent qui me torture depuis le jour où la Flamme s’est manifestée. Une simple perturbation dans la stabilité de notre cohabitation et pourtant… Je ressens ces effets dans l’énergie de notre lien. Souhaite-t-elle m’adresser un message ? Comment savoir ? Six mois d’esclavage dans un cycle éphémère, indécis et aléatoire. Quelques minutes ou plusieurs heures, je ne contrôle rien, je subis. Alors j’attends silencieuse, figée. Je me dis que mon esprit finira par se lasser. Flanie devait m’apporter des réponses pour y mettre fin. Tu parles d’un échec. Et maintenant cette histoire d’usurpatrice. Je soupire.

Combien de temps encore avant que le soleil me libère ?

Mes yeux quittent le firmament pour se poser sur le reflet présent sur la vitre. Je le connais par cœur. Son visage brut aux traits sauvages est serti jusqu’à la nuque de magnifiques cheveux bruns bouclés. Son regard d’un bleu céruléen flatte le vert des miens. Sa bouche fine causerait la fonte des neiges en plein hiver. Je me surprends à lui rendre son sourire. Il plonge son nez dans mon cou et y dépose un baiser. Cet élan de tendresse me désarme. Il me fait oublier la détresse dans laquelle je suis et l’espace d’un instant, je succombe à ces avances. Mon père et Jaal n’approuveraient pas cette situation. Ils briseraient cet étranger, heureusement qu’il n’est pas réel.

Je me retourne toujours emprisonnée dans ses bras puissants, puis soulève le menton pour le contempler. Malgré ma grandeur, il me surplombe. Une longue mèche cache l’un de ses deux saphirs étincelants, je la replace derrière son oreille. Ils brulent d’une intensité profonde dont je ne peux me soustraire. Il incline la tête sur le côté, les sourcils froncés, méfiant. Je ne peux l’en blâmer. Je m’étonne moi-même. Depuis six mois, je n’ai pas cessé de le rejeter jusqu’à l’ignorer depuis peu. Est-ce mal de l’utiliser, même pour un rêve ? Tant pis, s’il me prend pour une femme velléitaire, cette nuit j’ai besoin de réconfort pour affronter demain.

Il me presse fort contre son torse musculeux. Je sens le souffle léger de son haleine sur ma peau. L’éclat de la lune projette des fragments argent dans ses iris, m’attirant comme un papillon sur une flamme. Vais-je me consumer ? Pourquoi ne me repousse-t-il pas ? Ce serait légitime après tout. Je l’ai tant de fois blessé. Qu’attend-il pour me briser ? C’est l’occasion. Son visage parle pour lui. J’y lis une immense tristesse voilée de tendresse. Ma gorge se noue d’émotions. J’ai l’impression qu’il ressent mes tourments, qu’ils transpirent à travers lui. Mais la vérité est bien plus douloureuse. Il ne vit que dans ma tête. Mon esprit le fait apparaitre chaque nuit dans cette chambre ternie par les ombres.

Que cherche-t-il à me dire ? Que j’ai besoin d’amis ? Foutaises, Jaal, Fala et surtout Flanie tiennent déjà ce rôle. Ils me couvent comme un père et une mère. Ils ont toujours veillé sur mon bien–être. M’ont défendue corps et âme sans rien demander en retour. En ce moment même, ils doivent prendre soin de mon corps. Je les aime tellement.

Un sentiment d’impuissance me submerge tout à coup à la pensée de les perdre. Que vont-ils devenir si le conseil m’enferme dans une prison dorée ? Je tremble. Fala et l’essaim n’auront plus de protecteur ? Flanie risque le pire pour m’avoir toujours soutenue surtout face au capitaine. Et Jaal, sans l’aura de l’amulette de terre, disparaitra-t-il ? Non ! Mon père les défendra. Il demandera l’indulgence des anciens. Ils l’écouteront, il est notre guide.

J’aimerais hurler, me soulager de cette tension, mais cet étalage d’émotions ne résoudrait rien, à part me faire passer pour une folle devant cette ténébreuse apparition. Je secoue la tête. Pourquoi me soucier de son opinion ? Il n’est qu’un songe, bougre d’idiote. Et voilà, maintenant, j’ai envie de rire. C’est pathétique, mais une fois que l’on a tout tenté, le désespoir prend le dessus.

Je me retiens un moment en pinçant mes lèvres, mais l’air contenu dans mes poumons trouve le moyen de s’échapper. Un grognement ? Par instinct, mes mains couvrent ma bouche, mais je gémis encore plus fort. Je ris, je ris à gorge déployée sans pouvoir m’arrêter. La folie me gagne et je l’accueille avec plaisir. Mes rires s’entrechoquent, résonnent puis se coincent en travers de ma gorge qui se serre. Un immense vide s’empare de mon cœur, et je comprends trop tard ce terrible besoin. Alors je pleure, je pleure dans les bras de celui qui me tient.

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