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Je suis incapable de trouver le sommeil. Les yeux grands ouverts dans la pénombre, les jambes agitées par l’excitation, je me passe le film d’anticipation de la journée de demain, lors de laquelle je prendrai le maglev en gare de Rennes à neuf heures du matin et me retrouverai à Madrid pour l’heure du déjeuner. L’heure française du déjeuner, d’ailleurs. Probable qu’il faille même que j’attende encore quelques heures afin de respecter l’horaire espagnol.

Je trépide d’impatience.

A mes côtés, Romain dort à poings fermés, lui. Nu comme un ver. Une jambe par-dessus la couette qui laisse apercevoir son joli petit cul rebondi.

Romain ?

Mais si, rappelez-vous ! L’été dernier, à l’apogée de mon oisiveté, je m’étais pris de passion temporairement pour ce jeune brun au visage lisse et au corps ciselé, rennais de sa condition, rencontré sur Humpr, d’abord, puis en vrai, au cœur d’un été caniculaire qui avait rendu nos ébats plus éprouvants qu’agréables. Nous avions assez vite perdu l’intérêt l’un pour l’autre, faute de points communs autre que la lubricité, qui survit rarement plus de quelques minutes après avoir joui.

Bon, et bien, le fait est qu’il habite Rennes, et que le maglev part de Rennes, et pas de Saint-Malo.

J’aurais pu réserver une chambre d’hôtel près de la gare après avoir quitté la cité corsaire la veille, et serré très fort mes parents sur le quai, le regard plein de larmes. Mais j’ai jugé plus efficace encore pour lutter contre le vague à l’âme que de contacter cet amant presque oublié, Romain, donc, pour lui proposer une dernière partie de jambes en l’air avant de quitter la Bretagne, la France et la Terre, une bonne fois pour toute. Du moins, c’est comme ça que je lui ai présenté la chose, et je crois que le côté « tu ne me reverras plus, c’est certain, c’est l’occasion de faire quelque chose que tu n’as jamais osé faire, sans avoir à craindre de me recroiser un jour » a fait mouche auprès du jeune homme, qui ne s’est pas prié pour m’inviter à passer la nuit tout entière dans son studio du centre-ville.

Et, s’il est désormais dans les bras de Morphée, je peux dire sans rougir qu’il a été dans les miens une bonne partie de la soirée et de la nuit, sans la moindre retenue, dans le don de soi absolu et le lâcher-prise le plus total. Magnifique. Jubilatoire. S’il avait été aussi entreprenant lors de notre première fois, je suis certain que nous nous serions revus plus tôt.

J’ai plusieurs fois cru perdre la raison en me vidant entre ses lèvres, sur son visage pourtant si propre, si innocent, déformé par le plaisir, ou dans la capote sauvagement enfoncée dans son derrière rougi par la férocité de mes va-et-vient. Lui n’a pas été en reste, me rendant la pareille sur le canapé, dans son lit, et une troisième fois sous la douche, joignant ses doigts à sa verge enflée pour honorer de la sorte mon intimité, qui n’avait pas connu tel assaut depuis un sacré bout de temps.

Rien que d’y repenser, je sens une érection venir déformer la couverture au-dessus de mon entrejambe, et je dois réprimer une envie irrépressible, celle de réveiller Romain pour qu’on puisse baiser, une dernière fois. Ou une avant-dernière fois. Il nous reste encore quelques heures. Je culpabilise à l’idée d’interrompre le sommeil du bel endormi, qui semble si paisible. Et en même temps, pourquoi s’en priver. Je ne sais pas quand est-ce que j’aurais l’occasion, la prochaine fois. Pas sûr qu’il y ait grand choix sur Mars.

Doucement, je viens donc caresser la jambe nue de Romain, rabattue vers moi, et remonte lentement jusqu’à sa cuisse, et sa fesse.

Il grogne.

Sans toutefois se réveiller. Je vais devoir y aller plus franchement que ça.

J’ai quitté Rennes, Romain et son studio au lever du jour, après avoir déposé sur les lèvres du joli brun un dernier baiser volé. Un peu précipité, je crois. Un peu distrait, aussi. J’avais désormais autre chose en tête.

Le maglev a de nouveau parcouru le trajet entre Rennes et Paris, familier, désormais, en un temps record, puis, à Paris-Grand-Carrefour, nous avons pris la direction du sud. Plein sud, même. Très rapidement, le ciel d’automne s’est dégagé, et les arbres roux sont redevenus verts. Les vignes de Touraine ont laissé place aux oliviers du Bordelais, puis aux orangers de la région de Toulouse. Après la traversée des Pyrénées, effectuée en un éclair grâce au tout nouveau tunnel transpyrénéen, inauguré en grande pompe il y a tout juste un an, un paysage bien plus aride a pris place de l’autre côté de la vitre pressurisée de la rame.

L’Aragon, un immense désert de cailloux jaunes, au milieu duquel le maglev marque un arrêt, à Saragosse, oasis de verdure, comme un mirage, qui, l’été, respire un air à cinquante degrés à l’ombre, survivant principalement grâce à l’usage massif de la climatisation permis par l’énergie solaire, pour le moins abondante dans la région. La Castille, et ses reliefs nus. Ses moulins à vents, de nouvelle génération, désormais. Et, enfin, au bout d’un périple de trois heures effectué dans le confort ouaté et thermorégulé du maglev de EUrail, Madrid. Mon terminus.

Enfin presque.

Le spatioport européen se trouve à Tolède, pour être précis, ville millénaire, capitale déchue reconvertie en véritable Mecque des technologies de l’air et de l’espace. C’est de là que le vaisseau de la mission « Olympus » s’élancera vers les cieux. Et c’est aussi à Tolède que j’effectuerai mon entrainement en préparation de cette même mission, lors des prochains mois. « Entre six mois et un an » d’après la brochure du programme qui m’a été remise virtuellement dans le mail d’invitation reçu il y a quelques semaines de la part de Volker.

En parlant de Volker, je décide de lui envoyer un rapide message en débarquant du maglev en garde Madrid-Chamartín.

« En route pour Tolède, l’excitation monte. J’ai hâte de faire plus ample connaissance avec le reste de l’équipe. Merci encore pour la confiance que vous m’avez accordée. Bonne journée à toi, Yann ».

Je souris bêtement en relisant le message, juste avant de l’envoyer. Il est un peu niais. Un peu trop familier, aussi. Après tout, lui et moi ne nous sommes vus que deux fois, une première dans un avion de ligne et une seconde lors d’un entretien d’embauche, et nous n’avons décidé de nous tutoyer qu’il y a quelques jours seulement, sans aller bien au-delà, d’ailleurs. Mais peu importe. Je me sens en confiance, avec lui. J’ai le sentiment de pouvoir être simple, être naturel, sans qu’il ne trouve rien à redire, voire même que ça lui plaise.

Je sors de la gare, pris à la gorge par la sécheresse de l’air. J’ai l’impression de respirer de la poussière. Imitant la foule qui m’entoure, visiblement habituée au phénomène, je place un mouchoir devant ma bouche, et m’engouffre dans le premier taxi que je trouve, à qui je donne l’adresse du centre d’entraînement de la mission « Olympus ».

Nous avons laissé derrière nous Madrid, ses gratte-ciels début vingtième et ses tours de verre et d’acier aux lignes futuristes, les platanes rabougris et les lampadaires-brumisateurs qui ornent les allées cossues de ses beaux quartiers, et le réseau tentaculaire de rocades et de voies de contournement qui ceignent chaque cercle concentrique de son aire urbaine qui s’étend à perte de vue sur la meseta assoiffée qui coiffe la péninsule ibérique. Et nous arrivions déjà presque à Tolède quand j’ai senti mon LiPhone vibrer contre ma cuisse.

C’est Volker.

« Bonjour de Bruxelles, Yann. Et bonne chance pour tes premiers pas parmi nous. Je passerai vous (te) rendre visite après les fêtes. Bien à toi, Volker ».

Le message est à la fois formel et tendre, attentionné. J’esquisse un sourire sans même m’en apercevoir, décontenancé par la douce sensation de tiédeur qui se dégage lentement de ma poitrine. « Bien à moi », donc.

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