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Le mess du centre d’entraînement est ouvert tous les jours jusqu’à minuit. La nourriture qui y est servie est de piètre qualité, bien que de loin supérieure à tout ce que les Etats-Unis m’avaient habitué pendant la décennie passée outre-Atlantique. Et, détail pas si anodin, elle est également gratuite pour les futurs membres de l’équipage de Olympus I. Y inviter Volker n’est donc pas un geste démesurément généreux de ma part. L’ambiance, plus proche de la cafétéria d’un établissement scolaire que d’un restaurant cinq étoiles, n’a rien de romantique non plus. Pourtant, je me suis quand même fait beau, du mieux que j’ai pu - douché, parfumé, vêtu d’une chemise en tissue thermo-réactif bleu, coiffé à la va-vite - pour accueillir mon collègue allemand avec qui j’entretiens d’excellents rapports, que d’aucuns n’oserait qualifier d’ambigus, du moins, pas devant moi.

Je descends les marches de l’escalier qui mène au mess quatre-à-quatre. Une fois de plus, la chaleur habituelle qui se dégage de ma poitrine quand je suis le point de rencontrer Volker, qu’il s’agisse de lui, en chair et en os, ou de son hologramme, qui rend hante régulièrement nos réunions, ne manque pas à l’appel. Et monte d’un cran quand je pose mon regard sur bel allemand qui m’attend dans l’embrasure de la porte du restaurant.

Pensif.

Il est toujours aussi grand, sa taille ne cessera jamais de m’impressionner. Le Volker holographique est généralement assis, coupé à la taille, comme l’homme tronc du journal télévisé, et donc bien moins imposant que la version originale. Il porte un pull beige, par-dessus une chemise bleue dont le col dépasse, et vient joliment trancher avec la peau couleur pêche de son cou mangé par une barbe de trois jours, qui assombrit légèrement son beau visage clair.

Ses yeux gris perdus dans le vide s’illuminent lorsque nos regards se croisent. Il me tend la main en souriant. Je la serre avec vigueur, lui rendant son sourire tout en regrettant secrètement l’époque où il était encore acceptable de faire la bise à ses collègues, comme on pouvait parfois le voir dans les films d’époque. Bon, de toute manière je ne crois pas que ça n’ait jamais été applicable à l’Allemagne. Et j’aurais sans doute été un peu ridicule, forcé de monter sur la pointe des pieds, et lui de se voûter considérablement pour que nos joues puissent se toucher. Pas de regrets, donc.

Nous passons à table après avoir échangé quelques politesses de circonstances. Le menu du soir : cocido madrilène végétarien, avec option viande-de-culture, une spécialité espagnole développée en laboratoire pour concilier tradition locale et exigences de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pas terrible. Mais toujours plus appétissant que les végé-steaks américains. Autre avantage, et pas des moindres nous concernant, la viande-de-culture peut-être produite dans l’espace, et ce sans avoir besoin de transformer Olympus I en arche de Noé. Autant s’y habituer, donc.

Volker ne semble pas convaincu par la viande-de-culture, à en juger par la grimace qu’il fait en portant la première cuillère de cocido jusqu’à ses lèvres. Je tente de le rassurer en évoquant mes infortunes culinaires américaines. Il pouffe de rire. Le bel allemand n’est décidément pas le plus grand fan des Etats-Unis.

- Plutôt crever que de toucher à une de leur végé-saucisses ! dit-il, mi-amusé, mi-sérieux.

- Pourtant, si tu savais combien j’ai pu en avaler, en dix ans, de ces satanées végé-saucisses...

Réalisant trop tard la possible interprétation tendancieuse de ma sortie pourtant tout à fait innocente, je laisse la phrase en suspens, incapable de trouver une chute acceptable. Je sens le rouge me monter aux joues. Je baisse la tête et me concentre sur mon assiette. Mortifié. A contre-cœur, je jette un regard furtif à Volker, qui a bien noté ma gêne. Il est un peu rouge, lui aussi. Et semble tenter de contenir un éclat de rire. Ma bourde ne lui aura donc pas échappé. Pour autant, il n’a pas l’air de s’en formaliser, au contraire, il semble sur le point de surenchérir, sans oser toutefois rompre avec le professionnalisme que sont censés conserver nos échanges.

- De toute manière, ils ont l’air bien décidés de vouloir se les garder, leurs végé-saucisses, reprend Volker, feignant d’être imperturbable. Mais c’est plutôt bon signe. Ils nous espionnent depuis des années, et dès qu’ils ont compris qu’on ne tarderait plus à se joindre à la course à la colonisation martienne, ils se sont empressés de fermer leur programme aux européens. Tu en sais quelque chose...

- En effet... Le rejet de ma candidature au programme « Salvare » était accompagné d’une note explicative qui mentionnait « Olympus », justement. J’ai cru que ce n’était qu’un prétexte, sur le moment, puisque « Olympus » était au point mort, mais quand je vois à quel vitesse avance notre programme, je comprends qu’il y avait une bonne raison de ne pas embarquer un européen sur Salvare III.

- Si tu veux mon avis, ils veulent également éviter de nous mettre trop de bâtons dans les roues en monopolisant nos experts. Je crois qu’ils seront bien contents de ne plus être en tête-à-tête avec les chinois, là-haut. C’est plus facile, plus fluide comme environnement diplomatique, d’être à trois plutôt qu’à deux. Tout ne repose pas forcément sur l’équilibre des forces. Il peut y avoir alliance, coopération, pour faire pression sur l’autre et le faire plier.

- Et les chinois pensent pareil ?

- Je ne crois pas, répond Volker, doucement. Tu sais, Igor, celui que tu remplaces... Il n’a pas abandonné l’idée d’aller sur Mars. Il a simplement rejoint les rangs de la mission chinoise. Ils ont dû lui offrir un gros salaire et une place de choix sur un des prochains vols de la CNSA, et, en échange, il leur fournit des informations sur « Olympus ».

- Oh, je ne savais pas...

- Myrto a passé la nouvelle sous silence, mais ce n’est un secret pour personne. Mais c’est un mal pour un bien, ça nous a permis de te recruter, et tu es beaucoup plus agréable et plus futé que Igor, fais-moi confiance...

J’ai rougi, une fois de plus, flatté. Il a souri. Un large sourire, si franc et si pur que je n’ai pas pu m’empêcher de laisser échapper un petit rire attendri. Et nous avons terminé notre repas, feignant de ne pas remarquer la tension, pourtant évidente, qui électrise nos regards et provoque nos sourires inéluctables.

En sortant du mess, alors que nous nous apprêtions à nous dire au revoir, bonne nuit et à demain, j’ai noté une lueur de désir dans ses grands yeux gris. Par réflexe, j’ai jeté un coup d’œil aux alentours. Le couloir était désert. Il en a fait de même. Et, sans nous concerter, sans rien dire, osant à peine respirer de peur de briser le fragile équilibre de ce moment suspendu, nous nous sommes approchés l’un de l’autre, lentement, craintivement, mais irrémédiablement, jusqu’à ce que nos corps se frôlent. J’ai levé le visage vers lui, et ai senti ses lèvres se poser sur les miennes. Délicatement. J’ai fermé les yeux. Pour mieux savourer son baiser. Et, quand je les ai finalement rouverts, me suis écarté à regret du bel allemand, non pas pour mettre un terme à notre étreinte, mais pour lire dans son regard s’il sentait la même chose que moi. Je crois que oui.

D’un simple signe de la tête – les mots m’ont soudain semblés superflus, inutiles – je l’ai invité à monter dans ma chambre.

Il m’a emboîté le pas, en silence.

Quand la porte de ma chambre s’est refermée derrière lui, Volker a pris mon visage entre ses mains, et, le regard enfiévré, est revenu poser ses lèvres sur les miennes. Le baiser fut moins chaste, cette fois. J’ai senti sa langue se frayer un passage jusqu’à la mienne, alors que ses mains glissaient le long de mon corps, épousant la forme de mon torse, de mon abdomen, et ce jusqu’à finir par agripper ma taille. Mes fesses. Nous étions comme piqués d’un désir irrépressible. Presque animal.

Il n’a donc pas fallu longtemps pour que nous dégrafions nos pantalons respectifs, découvrant ainsi pour la première fois ce que nous avions sans doute maintes fois imaginé, seuls, le matin dans la douche, ou le soir après avoir éteint la lumière, la main frénétiquement plongée dans le caleçon. Il m’est même arrivé, en pleine réunion, de devoir rappeler mon esprit vagabond à l’ordre. J’ignore si c’est également son cas. Mon hologramme lui fait peut-être moins d’effet que celui que me procure le sien. Toujours est-il que de voir Volker en personne - juste là, devant moi, le regard brûlant de désir, la respiration saccadée, le pantalon et le slip aux chevilles - et pouvoir ainsi admirer son sexe enflé se dresser lentement vers moi, à mesure que son excitation monte, me procure une sensation toute autre encore, qu’aucun hologramme ni film porno en réalité augmentée, aussi réaliste soit-il, ne pourra jamais égaler.

Je n’ai même pas tenté de résister à l’envie de m’agenouiller devant lui pour le satisfaire. Observant avec joie le masque de plaisir qui a soudainement pris possession de son beau visage, en déformant les traits. Une moue béate chassant le sourire de ses lèvres retroussées. Les yeux tour à tour écarquillés et révulsées. Le regard ardent. Je l’ai sucé avec dévouement jusqu’à ce que Volker daigne enfin me prendre, d’abord contre le bureau, puis dans mon lit, plus intime et confortable, accessoirement. Quand j’ai enfin repris mon souffle, quelques minutes après avoir joui, j’ai jeté un coup d’œil à mon LiPhone pour vérifier l’heure.

Minuit moins cinq. Dans cinq minutes, c’est la Saint-Valentin.

Je me suis bien gardé cette remarque pour moi, de peur de voir Volker prendre ses jambes à son cou avant même me laisser le temps de terminer ma phrase. Le bel allemand somnole à côté de moi. Les yeux clos et les cheveux en bataille. La chaleur de son corps irradie contre ma peau. Je lui caresse l’épaule, tendrement. Susurre à son oreille :

- J’en ai rêvé pendant longtemps, de ce moment...

- Moi aussi, répond-il dans un soupir. Moi aussi, Yann...

- Ça ne pourra pas se reproduire, n’est-ce pas ?

- Non, je ne crois pas...

- Je me doute bien. Je suis déjà content que ça ait pu nous arriver au moins une fois avant que je parte pour Mars.

- Et moi, alors...

Volker basculer vers moi et m’accorde un long, dernier baiser. La mission passe avant tout. Et d’avoir le personnel de sol entretenir une relation amoureuse avec un membre de l’équipage, pire, du conseil, ce n’est pas ce qu’il y a de plus sain pour la mission. Tant pis. Je le savais déjà. Lui aussi. Ça ne doit pas nous empêcher de profiter du moment présent, tant qu’il dure, et de vivre aussi intensément que possible les quelques minutes qu’il nous reste, coupés du monde et des règles et des enjeux qui nous dépassent.

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