LOG41_DAY11

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J’ai mal au crâne.

Depuis la fin de ma réunion avec le QG de Bruxelles, une migraine lancinante me prend la tête comme dans un étau. Deux heures entières passées à éplucher les accords de Kolkata et à comparer le texte avec la situation sur le terrain, telle que répertoriée par les satellites et les drones européens déjà présents sur Mars, laquelle semble en perpétuelle évolution. Un survol américain du cratère qui accueillera Crater Europeis, la première colonie européenne sur Mars. Des incursions chinoises dans le secteur GB.345.F, avec peut-être même une mission d’exploration minière sur zone, menée par le branche « space mining » d’un conglomérat d’entreprises basées en Chine, le sous-sol de cette petite parcelle de sol martien étant réputé riche en tantale.

Les juristes du siège ne me sont pas d’une grande aide, je connais mon sujet. Et je me passerai bien de la voix de crécelle de Cecilia Dimitrova, qui a le chic pour s’immiscer dans les conversations les plus techniques et insignifiante, obsédée par le contrôle sur la mission qu’elle dirige d’une main de fer depuis Bruxelles. Et dire que, si Myrto n’avait pas eu son accident avant le départ, ç’aurait été à Volker d’assumer le rôle de principal point de contact entre Olympus I et le siège... Il aurait eu une toute autre approche, j’en suis certain, ce qui m’aurait évité bien des migraines. Toujours est-il que je ne suis pas mécontent de l’avoir dans le vaisseau plutôt que par téléphone, sans quoi je n’aurais sans doute plus jamais vu son visage. Un hologramme n’aurait pas été envisageable, trop gourmand en bande passante pour la simple connexion satellitaire qui relie Olympus I à la Terre.

Lessivé, je quitte le cockpit, que je laisse à Polona, qui remplace Volker au pilotage. Quoique, EVA a largement pris le relais, donc je ne suis pas sûr de l’intérêt d’avoir un pilote aux commandes, mais je suppose qu’il faut bien occuper la pauvre slovène, déjà pas franchement pleine de vie, qui ne supporterait sans doute pas d’être laissée seule à son oisiveté. M’agrippant aux poignées prévues à cet effet, je me propulse en avant de compartiment en compartiment, jusqu’à parvenir au point de jonction, et pénétrer dans « l’arche ». Je me suis habitué à alterner entre apesanteur et gravité artificielle, et passer de l’un à l’autre ne fait quasiment plus rien.

Plutôt que d’aller m’étendre sur la couchette de ma cabine, je décide de faire un rapide passage par l’infirmerie, dans l’espoir d’obtenir de quoi soulager mon mal de tête. Le médecin de service, un certain Șerban, qui, comme son nom ne l’indique pas à mon oreille visiblement peu habituée aux confins orientaux de l’Europe, est d’origine roumaine, grand brun un peu taciturne et, ma foi, plutôt agréable à regarder, me prend la tension et la température avant de me prescrire une microcapsule de Dolifen ultraconcentré. Au moment où le jeune médecin prononce le nom du médicament, un flash mémoriel me ramène brusquement quelques mois en arrière, quand, après une soirée de nouvel an un peu trop arrosée, je m’étais retrouvé chez un parfait inconnu – un certain Jon, je crois – commercial dans l’industrie pharmaceutique et étonnamment suréquipé en analgésiques. Je tombe des nues. Je n’avais pas repensé à ce fameux Jon depuis une éternité. C’est étrange comment les souvenirs fonctionnent, parfois.

J’avale le Dolifen d’une traite et, quelques minutes plus tard, mon mal de tête est complètement résorbé. Je suis même tellement en forme que je décide de faire un tour par la salle de sport, histoire de travailler encore un peu sur mon renforcement musculaire, toujours perfectible d’après le dossier médical que Șerban m’a rapidement lu à voix haute avant de me laisser quitter l’infirmerie.

La salle de sport est quasiment déserte. Il faut dire qu’elle n’est pas franchement accueillante. Les murs n’ont pas été habillés d’algo-plastique grisé comme dans les cabines, mais ont été laissés nus, métalliques et froids. Quelques machines ont été disposées ça et là sur un espace aveugle, faiblement éclairé, qui n’occupe l’espace que de deux ou trois cabines comme celle que je partage avec Ótavio. Un tapis roulant. Un banc de musculation. Un vélo elliptique. Quand je pénètre dans la pièce, une grande femme blonde et charpentée, le front trempé de sueur, sort après sans doute une petite demi-heure de course à pied, et me tient la porte.

A ma grande surprise, je me retrouve alors seul avec l’unique autre occupant de la salle de sport, qui n’est autre que notre commandant, Volker Ganz, en personne. Je salue le bel allemand d’un geste chaleureux, sans pouvoir m’empêcher de lui adresser mon plus beau sourire, contre mon meilleur jugement. Volker me rend la pareille, comme à son habitude, jamais à court d’un sourire franc quand il s’agit de moi.

Il est assis sur le banc de musculation, et semble avoir terminé son exercice. Il porte la tenue de sport fournie par la mission « Olympus », un débardeur sans manche qui laisse entrevoir de jolis biceps ciselés, et un short en tissu respirant qui ne cache pas grand-chose de ses cuisses épaisses, recouvertes d’un duvet blond. Je l’admire sans trop m’attarder, de peur de le mettre mal à l’aise. Ça n’a pas l’air de le perturber plus que ça.

- Yann, finit-il par dire sur le ton de la plaisanterie, quelle surprise de te voir ici !

- Pourquoi donc, rétorqué-je sur le même ton, je n’ai pas l’air d’un addict à la salle de sport ?

- Si, si, bien sûr... pouffe Volker, l’œil rieur. Mais du coup, c’est quand même un sacré hasard que ce ne soit que la première fois qu’on se croise ici, toi et moi, au onzième jour de voyage !

- Je préfère les horaires creux...

- Ça doit être ça !

On rit de bon cœur.

Volker boit une gorgée d’eau et éponge les minuscules perles de transpiration qui coulent le long de sa tempe à l’aide de la serviette qu’il porte autour du cou. Je manque de défaillir en voyant sa pomme d’adam onduler le long de sa gorge alors qu’il déglutit.

Yann, il va falloir te calmer...

Une idée me traverse alors l’esprit. Volker a soulevé quelque chose sans le savoir – ou peut-être savait-il très bien ce qu’il faisait, le bougre – en affirmant qu’il s’agissait de la première fois que lui et moi nous retrouvions tous les deux depuis le début du voyage. Profitant de l’occasion, trop rare pour être gâchée, je m’autorise une question un peu plus intime que ce que la teneur professionnelle de nos échanges permet en temps normal.

- Volker, je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais je me suis demandé qui était venu te dire au revoir, l’autre jour, juste avant notre départ...

- Oh...

- Tu n’es pas obligé de me répondre, je n’insisterais pas ! Mais comme tu sais ce qu’il s’est passé, entre toi et moi, au centre d’entraînement, j’ai peut-être été un peu surpris...

- Tu penses que j’ai trompé mon mari avec toi ? demande Volker d’une voix douce, presque trop douce pour être tout à fait honnête, si vous voulez mon avis.

- Ce n’est pas ce que j’ai dit... mais ça pourrait fortement y ressembler, non ?

- Ça pourrait oui... Mais je n’ai jamais été marié avec Tim. Lui et moi avions une relation un peu particulière. On était ensemble depuis des années, depuis la fac, même. Je te laisse calculer, vu mon âge canonique. On s’est aimés très fort pendant très longtemps, mais tout en se laissant beaucoup d’espace. Surtout les dernières années. Ce qui s’est passé entre toi et moi ne l’aurait pas gêné le moins du monde.

Je suis complètement désarçonné par la tirade du bel allemand. C’est un peu comme si une version germanique et un peu plus âgée de moi-même me racontait mon histoire à moi, ou plutôt, notre histoire à moi et Adam, si nous étions restés ensemble sur Terre un peu plus longtemps.

- Je comprends tout à fait... dis-je alors d’une voix basse, presque un murmure. Je suis vraiment désolé, Volker, ça a dû être dur de lui dire au-revoir et de le laisser derrière toi...

- C’est comme ça... Ça été dur, oui. Pour lui, surtout, je crois. Je lui avais pourtant promis que les sorties dans l’espace, c’était terminé pour moi. Mais prendre le contrôle de la mission « Olympus », je n’ai pas pu refuser...

- Il a compris, tu penses ?

- Compris, oui. Pardonné, je ne pense pas.

- Il n’avait pas l’air fâché, le jour du départ, si ça peut te rassurer. Emu, sans aucune doute, mais sans rancune.

- Oh, crois-moi, Tim a toujours eu le don de cacher ce qu’il pense vraiment devant les autres... Il est capable d’une grande chaleur en public, et de la plus glaciale, la plus effroyable des colères une fois que les invités sont partis.

Encore un peu sous le choc de ma conversation avec Volker, je rumine mes pensées en retournant vers ma cabine. Une fois arrivé, j’entreprends de me changer, pour me débarrasser de ma tenue de sport et revêtir mon pyjama. Je me défais du short, puis du débardeur, et commence à enfiler le t-shirt de la tenue de nuit réglementaire. Ma tête est encore prisonnière du tissu quand j’entends Ótavio pénétrer à son tour dans la cabine. Il me découvre donc les jambes à l’air, en slip, et le visage dissimulé par un t-shirt dont j’ai décidément toute la peine du monde à trouver l’encolure.

- Euh... d’accord, je vois, on a franchi ce cap, si je comprends bien.

- Quel cap ? demandé-je en pestant, parvenant enfin à passer la tête par le col, découvrant le visage mi-médusé, mi-admiratif du jeune portugais toute juste rentré du travail, un trace noire de graisse à moteur lui barrant le front.

- Le cap où il ne me reste plus grand-chose à deviner en ce qui concerne ton anatomie, cher VandenBuddy... rétorque-t-il du tac-au-tac, d’un ton suggestif.

Je réponds par un sourire, amusé par l’espièglerie de mon camarade de chambrée, et, inutile de le cacher, quelque peu excité par le sous-entendu. Ótavio referme la porte derrière lui et laisse tomber ce qui lui embarrasse les mains – une bouteille d’eau et une combinaison de rechange – sur le sol. L’espace de la cabine est pour le moins réduit, et il n’y a presque rien qui nous sépare, lui et moi. Il ne semble d’ailleurs pas spécialement intéressé par l’idée de me faire de la place et ainsi me permettre de terminer de me changer, me préférant visiblement à moitié nu, devant lui, sans pour autant oser s’approcher un peu plus encore, tout timide qu’il est, de peur de me brusquer. Les bras ballants, ne sachant que faire de ses mains, Ótavio reste donc planté là, le regard sombre parcourant mon corps de la tête au pied avec appétit.

C’est donc à moi qu’il revient de faire le premier pas. Doucement, observant sa réaction pour être sûr de ne pas aller trop loin, trop vite, j’effleure la peau nue de son bras du bout de la pulpe de mes doigts.

Il frémit. Mais ne recule pas.

Je plonge mon regard dans le sien, et y décèle une lueur de désir, de plus en plus ardente, qui prend le pas sur la bonté infinie qu’on y lit habituellement. Son visage maculé de cambouis prend alors un aspect moins juvénile, plus masculin, à la virilité presque animale. Je me risque à caresser sa barbe brune, à prendre sa joue dans ma main. Avec toute la douceur dont je suis capable. Puis, je fais un petit pas en avant, approche mon visage du sien, et, lentement, retenant mon souffle, dépose un baiser sur ses lèvres rouges, qu’il entrouvre au contact des miennes.

Je ne résiste plus.

Je l’embrasse franchement. Et il répond présent.

Ses mains jusque-là inutiles m’empoignent à la taille et me pressent contre lui. Je sens le parfum mâle de son torse collé au mien. Je le respire avec satisfaction. L’embrasse de plus belle. Très vite, ses doigts parcourent mon torse, la courbe de mon dos, de mes fesses, la peau nue de mes jambes.

Sa main s’aventure sous l’élastique de mon slip.

Je lui mords l’oreille.

- Tu veux peut-être que je passe à la douche ? me lance-t-il alors dans un souffle.

- Je reviens de la salle de sport, donc si tu es d’accord avec ça, je ne vois pas comment je pourrais me plaindre...

- En effet, je trouve que ce serait un peu audacieux de ta part...

Il m’arrache un baiser. Un de plus. Et abaisse la fermeture éclair de sa combinaison pour découvrir sa poitrine imposante, recouverte de poils bruns et drus. Je me jette dans ses gros bras et, alors que notre étreinte se fait plus torride que jamais, mon slip glisse jusqu’à mes chevilles. Ótavio prend le temps d’admirer ce qu’il y a à admirer. Et s’efforce lui-même de s’extraire davantage de sa combinaison, pour libérer sa verge prisonnière.

Un dernier regard brûlant échangé pendant une fraction de seconde à peine, et il me plaque contre la paroi en algo-plastique du mur, pour ce qui restera à tout jamais notre première fois. Pas la meilleure. Pas la plus longue. Pas la plus habile. Mais sans aucun doute la plus mémorable.

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