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Victoire !

L’accord de coopération entre la mission « Olympus » et la République de Chine-unie est enfin finalisé.

Après des heures d’âpres pourparlers, nous sommes enfin parvenus à un terrain d’entente. Il m’a fallu redoubler d’efforts et de ruse pour débusquer les pièges tendus par les juristes de l’équipe adverse, et ce jusqu’à la dernière minute de la négociation, et malgré l’heure avancée. Mais, au final, je m’en sors plutôt bien, l’accord stipule que seule une mission diplomatique chinoise réduite à cinq personnes sera tolérée dans le secteur européen d’ici un mois, et, cerise sur le gâteau, avec un nouvel ambassadeur à sa tête. La Chine renonce également à ses prétentions sur les matières premières et les ressources minières du secteur européen, et s’engage à fournir l’aide nécessaire au rétablissement des communications avec notre quartier-général terrestre d’ici un mois.

En contrepartie, nous nous engageons à respecter le secret technologique chinois, « en toutes circonstances », selon la lettre de l’accord, et acceptons que le dôme « Bienvenue » soit progressivement transformé en centre de coopération scientifique entre l’Europe et la Chine.

Ne reste plus qu’à faire parafer l’accord par Volker et par Mei, seuls ici habilités à engager la responsabilité de leurs missions et nations respectives. Une simple formalité. Après avoir échangé une poignée de main appuyé avec les juristes de la mission chinoise, je sors de la salle de réunion le visage épuisé mais radieux, la poitrine gonflée, pas peu fier de pouvoir enfin apporter ma contribution et prouver ma valeur ajoutée à la mission « Olympus », qui, jusque à présent, a plutôt fait la part belle aux pilotes et aux scientifiques.

Comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, que les négociations touchent à leur fin signifie également que je vais enfin pouvoir quitter le dôme et aller m’installer à mon tour à Crater Europeis. Retrouver un peu d’intimité, une forme de routine, aussi, une vie un peu plus normale, en somme, si tant est qu’on puisse qualifier de « normale » l’existence d’un colon européen sur Mars. Seule ombre au tableau, mon départ imminent sonne également la fin de la cohabitation avec Ryu, le capitaine coréen, avec lequel j’ai passé une excellente soirée la veille. Nous avons dîné ensemble, et, pour la première fois, avons échangé bien plus que de simples plaisanteries envoyées à la volée, aussi brèves qu’inconséquentes.

Je lui ai parlé de moi.

De ce qui, depuis tout petit, depuis toujours, finalement, m’a poussé vers l’espace, vers Mars, vers la colonisation extra-terrestre, cette envie irrépressible de repousser les limites du possible, de repartir à zéro, ailleurs, de trouver un endroit vierge de toute influence humaine préalable, aussi hostile soit-il, où construire tout ce qui doit l’être à partir de rien, libre des entraves et des dépendances du passé, toujours effroyable. Après quelques verres d’un alcool de synthèse non-identifié, au goût infect, je lui ai aussi parlé de la Bretagne, des Etats-Unis, et de Adam, aussi.

Le beau coréen m’a écouté, longtemps, ponctuant mes phrases de regards et de sourires pleins d’empathie, sans toutefois en révéler beaucoup sur sa personne à lui. Du moins, pas de tout de suite. Au fur et à mesure de la soirée, et, encore une fois, alcool de synthèse aidant, Ryu a fini, lui aussi, par s’ouvrir un peu plus, et m’expliquer comment il en était arrivé là.

Il est né dans l’ancienne Corée du nord, quelques années avant la réunification, dans une famille de militaires. Il a grandi entre la Corée et la Chine, qui, depuis la refondation de la Corée unie, s’est largement impliquée dans les affaires du tout jeune pays, frôlant régulièrement l’ingérence. Ainsi, Ryu a-t-il étudié en partie en Mandchourie, dans le nord-est de la Chine, où le régime chinois a installé une université spécialement dédiée à « l’amitié sino-coréenne » ou, autrement dit, à forger une élite plutôt favorable à la République de Chine-unie. Ryu y a effectué des études de pilotes, mais a refusé de s’engager dans l’armée, un rejet familial, sans doute, préférant les missions commerciales en vogue à l’époque.

Son parcours n’est pas si différent de celui de Adam, au final.

A la différence près que la Corée n’est pas les Etats-Unis, et que, si le tourisme spatial n’a finalement jamais véritablement décollé sur le marché américain, l’exploitation minière des astéroïdes à quant à elle bien explosé, en particulier dans les pays asiatiques, gourmands en métaux rares, dont leur industrie de pointe a grand besoin. Si Adam s’est donc retrouvé impliqué dans le programme « Salvare », Ryu a quant à lui pris la tête d’expéditions minières pour le compte d’une entreprise coréenne. Le but étant de rapatrier les métaux rares sur Terre, et, ce faisant, de faire fortune, de gagner suffisamment d’argent pour s’offrir une vie confortable sur la planète-mère, à l’abri du manque et des caprices du climat, le beau capitaine n’a jamais vraiment envisagé de s’établir ailleurs, et ce d’autant plus que la Corée ne dispose pas de programme colonisation martienne, du moins, pour le moment.

Notre discussion, aussi passionnante que passionnée, s’est prolongée jusqu’à tard dans la nuit. Les regards se sont fait moins timides, plus doux, parfois admiratifs. Dans un moment de faiblesse, ou peut-être juste de vulnérabilité, dirons-nous, je lui ai demandé pourquoi il était venu spontanément s’asseoir à ma table, il y a plusieurs mois de cela, lorsque nous étions encore à bord du Olympus I.

La réponse du coréen m’a tout autant bouleversé qu’elle m’a rempli de joie :

- Ton visage est le premier que j’ai découvert, au moment où la porte du sas entre le Olympus I et le Cheolseon-7 s’est ouverte. Dès ce moment-là, j’ai su que tu étais quelqu’un digne de confiance. Tu as quelque chose dans le regard, quelque chose de bon.... En Corée, la croyance populaire est que le groupe sanguin détermine ta personnalité, et je suis quasiment sûr de moi en disant que tu es du groupe A...

- Je suis O négatif...

- Je te rassure, cette superstition n’a aucune valeur scientifique. Mais simplement pour dire que, quand je t’ai vu pour la première fois, dans ce moment pourtant terriblement douloureux, alors que nous étions tout bonnement entourés de cadavres, je me suis senti envahi par un puissant sentiment de sérénité... J’ai immédiatement su que j’étais sauvé.

- Et pourquoi avoir attendu si longtemps avant de venir me parler, après le sauvetage, alors ?

- Je suis un peu timide par nature, et l’accueil de l’équipage m’a un peu refroidi, je dois bien avouer. Mais Volker m’a conforté dans mon impression positive de ta personne, il ne m’a dit que du bien de toi, il m’a poussé à prendre mon courage à deux mains, et j’ai fini par le faire...

- Je suis désolé que ça en soit resté là pendant si longtemps, j’étais un peu déprimé, et préoccupé par beaucoup de choses, surtout après qu’on ait perdu le contact avec Bruxelles...

- J’ai bien compris, ne t’en fais pas. Je savais qu’il y aurait une autre occasion. Ce n’est pas comme tu allais disparaître dans la nature, une fois arrivé sur Mars !

- C’est vrai que le besoin en eau et en oxygène nous conditionne plutôt à rester groupés, désormais...

Nous avons ri de bon cœur, et la soirée s’est achevée sur cette note positive.

C’est donc avec un drôle de sensation dans le ventre que je retrouve Ryu dans un réfectoire toujours aussi désert, assis seul à l’une des immenses tables vides. Le sourire de la victoire encore imprimé sur mes lèvres disparaît presque aussitôt en découvrant la silhouette du beau coréen, qui, visiblement, m’a attendu pour dîner. Je tente tant bien que mal de conserver une attitude positive et de chasser le cafard qui me guette.

Le sourire chaleureux avec lequel le capitaine m’accueille n’arrange rien à mon désarroi naissant.

- Il y a quelque chose de différent dans ton expression, dans ton attitude, me dit-il d’un ton presque inquiet, après quelques minutes d’une conversation poussive, résultat de ma tentative vaine de repousser l’inévitable.

Je lui avoue alors que ma mission est terminée, que l’accord de coopération est finalisé, et que, sans doute dès demain, il me faudra partir pour Crater Europeis, où je prendrais mes quartiers de manière permanente.

- Je vois... répond-il simplement, l’air songeur.

- Je suis désolé, Ryu, crois-moi ! Tout s’est accéléré dans la journée, je ne pensais pas que ça irait si vite...

- Ne sois pas désolé, me rassure-t-il d’une voix calme, c’est ton travail et tu l’as fait. Et puis, quelque part, ça me donne une sacrée bonne excuse !

- Une excuse pour quoi ?

Plutôt que de répondre par des mots, Ryu se lève brusquement de sa chaise et, par un mouvement impulsif, rapide, bien trop rapide pour que j’aie le temps de comprendre, de réfléchir, de penser, même, approche son joli visage ciselé du mien, et, les yeux fermés, avec une douceur infinie, alors qu’un incendie se déclare dans mon ventre, dans ma poitrine, une panique délicieuse, une poussée d’adrénaline presque aussi forte que celle qui a traversé mon corps au moment du décollage du Olympus I, il a un peu plus de neuf mois, vient déposer ses lèvres rondes sur les miennes, et me donne l’un des plus beaux baisers que je n’ai jamais connu. Mon cœur bat la chamade. Respirer devient secondaire, quelque chose qu’il convient de remettre à plus tard. Le plus tard possible. Pour que ça baiser dure une éternité.

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