Ynvar d'Hestral

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Hestral était un petit port du nord du puissant royaume du Sted Rathar. Un bras de mer s'avançait entre deux collines couvertes de hêtres, de bouleaux, et de sapins à leurs sommets, et continuait jusqu'à la petite ville, au bord du fleuve Ehrnä. Un quai bordait la baie, et là venaient s'amarrer les bateaux des pêcheurs qui revenaient le matin de leur pêche nocturne. Ils débarquaient des poissons, des homards, des tourteaux, des coquillages, et les marchands qui les attendaient sur le quai leur achetaient les plus belles prises pour les proposer sur les étals de leurs boutiques, le long des principales rues du village. Les matinées étaient donc fort animées dans ce village côtier. Il y faisait froid l'hiver, et régulièrement le bras de mer gelait, clouant les bateaux sur place. Lors des longues soirées de la saison froide, quand le jour ne durait que quatre ou cinq heures et qu'un vent glacial se déchaînait au-dehors, les familles se réunissaient auprès du feu, et là, les conteurs terrifiaient ou amusaient les villageois par leur art, avec les légendes d'autrefois, provenant des temps noyés dans les brumes du mystère dans lesquels prospéraient les êtres merveilleux.

Parmi les enfants qui écoutaient ces histoires, il en était un qui se passionnait pour les légendes ratharden, surtout celles qui se déroulaient en mer : les courageux marins qui affrontaient des monstres sortis des profondeurs, les aventures des audacieux capitaines qui vainquaient les pirates. Le nom de cet enfant était Ynvar. Il rêvait d'être lui aussi de ces marins et de commander un équipage. Mais comme son père n'était pas marin, Ynvar n'était pas destiné à naviguer. Ainsi, ce fut secrètement que l'enfant conçut le projet de s'embarquer.

Quand il eut quatorze ans, il l'annonça à ses parents. Son père s'écria qu'il préférait le voir mourir de faim en mendiant son pain que de savoir son fils marin ; sa mère éclata en sanglots. Ynvar endura leurs reproches toute la soirée durant, sans céder, mais sans avoir laissé la colère s'emparer de son cœur : il savait que son père et sa mère ne désiraient rien d'autre que son bien.

Le père d'Ynvar était un petit épicier, qui souffrait beaucoup de la concurrence des riches marchands d'Hestral. Un matin de fin d'hiver, il attendait au bord du fleuve un bateau à fond plat qui devait lui apporter un chargement de charcuterie acheté à un boucher de l'intérieur des terres. À cette période de l'année, la glace qui recouvrait l'Ehrnä pendant les mois d'hiver avait presque totalement disparu, le courant était très fort, et il charriait des blocs de glace ou des troncs d'arbres. Le froid étant encore vif, l'épicier grelottait sous son manteau usé et percé en maints endroits. Le bateau qu'il attendait était d'une importance capitale pour lui, car il s'était endetté dans cet important investissement et la charcuterie fine de l'est, rare dans cette région, aurait du succès à Hestral.

Cependant les heures passaient, et le bateau ne venait pas. L'épicier commença à s'inquiéter : avec ce courant, et les blocs de glace et les troncs dans l'eau, la barge aurait pu sombrer. Il vit alors arriver une barque de pêcheurs de truite, et il remarqua que l'équipage, composé de trois bateliers, semblait s'occuper d'un homme enveloppé dans une couverture.

Quand ils accostèrent et amarrèrent leur bateau au débarcadère en bois qui longeait l'embouchure de l'Ehrnä, l'épicier se précipita à leur rencontre et les pressa de questions. On lui répondit que la barge avait heurté un récif invisible à cause du haut niveau de l'eau, en voulant éviter un tronc. Elle avait coulé en quelques minutes avec tout son chargement. L'un des deux bateliers avait pu être secouru par les pêcheurs, mais son compagnon avait été entraîné dans les flots.

L'épicier rentra chez lui, abattu. Il devait fermer boutique, vendre tout ce qu'il avait, et même après cela, il aurait encore des dettes. Lui et sa femme se demandaient comment ils allaient continuer à élever leurs cinq enfants, quand Ynvar entra.

« Je peux me faire mousse. Ainsi, je ne serai plus à votre charge, et je gagnerai seul ma vie. » leur dit-il.

Ses parents étaient tellement brisés qu'ils acceptèrent. Ils n'avaient pas le choix.

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