Le duel

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Au lieutenant Le Lièpvre

Gendarmerie de Cayenne

Monsieur le lieutenant de Gendarmerie,



  Demain, dès l’aube, à l’heure où vagissent les babouns, je vous abattrai.


  Ma femme est morte, fauchée par l’une de vos balles. Ma fille est morte, le corps transpercé par l’une de vos baïonnettes. Vous avez eu mon village. Vous avez eu ma famille et mes enfants. Vos curés feront des survivants de bons petits nègres bien dociles, qui trimeront sans faillir pour vous assurer fortune et confort. Mais le pirate que je suis, Monsieur, malgré la peine et la colère, garde toute sa fierté. Avant que vous ne puissiez profiter de votre succès, je vous aurai châtié.


  Ainsi, je vous convoque, en toute solennité, à venir vous battre en duel avec moi. Nul besoin de témoin, la mort d’un chien n’en nécessite aucun. Je sais votre lâcheté, vous n’avez même pas daigné vous déplacer pour la curée. De grâce, cette fois, ne tentez nullement de vous dérober.


  Demain, dès l’aube, alors que dorment encore les braves gens, nous serons seuls sur la berge, dos contre dos. Je sentirai votre souffle court et les effluves de peur qui transpireront par tous vos pores. Lorsque, après vingt pas nous nous retournerons, je verrai la frayeur blanchir votre faciès déjà blafard. Vos membres trembleront et vos tirs me rateront. Vous pourrez toujours accuser la fraîcheur matinale… Votre regard fuyant ne pourra feindre le courage. Fieffé coquin, nulle facétie, nulle flagornerie de votre part ne pourra empêcher votre citrouille d’éclater.


  Alors que vos projectiles siffleront, sans précipitation, je pointerai mon revolver dans votre direction. Une infime pression de mon doigt et le marteau s’abattra sur la broche d’une première cartouche. La balle vous ira, soyez-en assuré, droit au cœur. L’odeur de la poudre aura pour moi le doux parfum de la libération, pour vous, celui de damnation. Et, alors que la fumée de la déflagration se dissipera, les ténèbres brumeuses vous envahiront. Et la sérénité me transportera.


  Alors vos gens, que vous aurez à coup sûr rameutés, pourront bien vous venger : je mourrai satisfait et en martyr de la liberté. Qu’ai-je encore à perdre ou à gagner ?


  Car, demain, dès l’aube, je vous abattrai avant de rencontrer mon bourreau.



Capitaine Ignace Saint-Fleur

Fier boucanier guyanais

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